30092012
Les hésitations de l'Algérie au sujet d'une intervention militaire au Nord-Mali
s'expliquent surtout par les craintes d'une éventuelle déstabilisation du
régime.
Pourquoi l'Algérie ne veut pas intervenir au Sahel? C’est le grand mystère qui
intrigue les diplomates installés à Alger.
La question semble ne pas avoir de réponse «logique». Pourtant, tout indique que
rien ne peut se faire sans l'Algérie dans cette région désormais aux mains des
terroristes.
Mieux, et comme pour accentuer le mystère, il est dit que lors d’une audience
accordée à Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères,
Abdelaziz Bouteflika a été clair dans la logique du flou: il avait admis qu’il
faudrait agir militairement au Mali même si «il refuse —officiellement— toute
ingérence étrangère en Afrique».
Une bonne synthèse du malaise national: comment à la fois ne pas bouger, ne pas
s’impliquer, ne pas cautionner une intervention militaire de la France et des
Etats-Unis, tout en sachant qu’il faut se débarrasser d'une crise qui menace de
gangréner la région puis tout le désert? Ce désert nourricier qui donne à
l’Algérie son pétrole.
Il est urgent d'attendre
En Algérie donc, on sait qu’il faut faire quelque chose tout en devinant qu’il
vaut mieux ne rien faire toutefois. En prose diplomatique, le ministre algérien
des Affaires africaines s'exprime cette semaine à l’ONU au sujet d'«une solution
politique globale».
D’abord, l’Algérie voit d’un mauvais œil le retour de l’OTAN dans la région,
celui de la France et des Etats-Unis. Si la frontière nord de l’Algérie est
verrouillée par une belle épopée de guerre de libération, et qu'au sud, les
tribus touareg la rende poreuse, une «internationalisation» de cette frontière
la rendra irrécupérable. Rien de bon donc pour un pays leader de la
décolonisation et fervent de la souveraineté des peuples.
Des militaires occidentaux au flanc sud ce n’est pas une bonne chose pour une
Algérie déjà cernée: à l’ouest, un Maroc pas très ami, un Sahara occidental
instable par définition; à l’est une Tunisie qui ressemble à l’Algérie des
années 90 et une Libye chaotique. En face un Occident qui veille sur sa sécurité
d’approvisionnement en gaz et en pétrole.
Autre élément qui explique que l'Algérie n'intervienne pas au Sahel est la
question des otages. Des diplomates algériens sont en effet retenus prisonniers
dans cette zone, dont l’un est entre la vie, la mort et la rumeur.
Donné pour mort par al-Qaida, il est toujours en vie pour les Affaires
étrangères algériennes. Intervenir dans la région c’est tuer les otages et
provoquer des drames. Une explication fragile cependant, car un peu trop…
généreuse.
Une dernière explication parle de solution algérienne alternative: au lieu de
libérer avec fanfares des villes occupées par al-Qaida et que l’on ne peut
garder par la suite dans un désert de 800.000 kilomètres carrés, il vaut mieux
opter pour un plan d’assèchement des recrues d’al-Qaida et une solution qui
permet d’isoler cette holding.
La guerre par factures interposées
Pour certains, s’il faut chercher une réponse à la question de l’année, c’est
bien du coté de la psychologie. Celle du régime algérien, vieux, soupçonneux,
paranoïaque mais aussi très intuitif, prudent et calculateur.
Pour l’histoire, il faut rappeler que l’Algérie n’intervient jamais
militairement hors de ses frontières. Les deux derniers mouvements de troupes
remontent aux premières décennies de l’indépendance, avec notamment les fameuses
guerres des Sables contre le Maroc, en octobre 1963 et en 1976.
Depuis, rien. Ou si peu. Ou clandestinement. On parle bien de discrets
mouvements de bataillons durant les années 90 pour faire peur à un agitateur
libyen du nom de Mouammar Kadhafi, mais rien d’important.
Les guerres algériennes sont «virtuelles» et dissuasives: pour faire peur à
l’ennemi ou augmenter la pression, l’Algérie achète des armes, mais ne les
utilise pas.
Le ballet des achats d’armes est cyclique entre l’Algérie et le Maroc. Quand
l’un achète un avion, l’autre achète de quoi y faire face. Depuis des années.
Intervenir au Sahel viendra donc briser cette doctrine militaire algérienne de
la dissuasion passive. L’engagement cassera des équilibres régionaux précaires,
mais qui durent depuis les années 70.
Quelle sera en effet la situation du Sahara occidental et comment va évoluer la
tension entre l’Algérie et le Maroc, si l’Algérie s’engage physiquement au
Sahel? Certains disent que c’est l’une des raisons «discrètes» de la réserve
algérienne: le souci de ne pas bousculer un ordre régional éternellement
précaire.
Une armée des frontières qui aime les guerres… internes
D’autre parlent cependant d’un souci d’équilibre interne encore plus mystérieux:
le pouvoir algérien n’est pas «personnaliste», comme on le sait depuis les
premiers états-majors FLN (Front de libération nationale) de la guerre
d’indépendance.
Il s’agit bel et bien d’un conseil d’administration entre plusieurs centres avec
pour socle idéologique le nationalisme protecteur, et avec pour gardien de la
légitimité l’armée et les vétérans de la guerre. La chefferie est une sorte de
directoire collégial né de la guerre d’indépendance mais qui ne veut plus
refaire la guerre.
Selon cette doctrine de vétérans immortels, il n’y a eu qu’une seule guerre,
celle contre la France et qu’une promotion de héros, eux, justement. Engager
l’Algérie dans une guerre physique au Sahel va l’entraîner, en externe à faire
des alliances, briser son idéologie hypernationaliste antioccidentale, alerter
le Maroc et… surtout voir émerger peut-être une nouvelle caste de chefs
militaires qui auront de nouvelles armes, de nouvelles troupes et une nouvelle
autorité.
Il ne faut pas oublier qu’en Algérie, le régime est une régence de
décolonisateurs en chefs. L’armée y a le poids le plus lourd mais aussi le plus
surveillé par les pairs. D’ailleurs, en Algérie le pouvoir se méfie tellement de
lui-même que le poste de ministre de la Défense a été supprimé.
Il n’y a qu’une sorte de doublure: un ministre délégué auprès du ministre de la
Défense qui est le civil Abdelaziz Bouteflika le président de la République.
Confusément, il semble à certains, que s’engager au Sahel va avoir un impact à
Alger. Rajeunir un peu les états-majors et précipiter des retraites anticipées.
Pas dans l’immédiat, mais l’engagement miliaire externe ne sera pas sans
conséquences. L’armée algérienne a menée plus de guerres en interne (coup d’Etat
de 1965, celui raté de Tahar Zbiri en 1967, guerre des wilayas, été 1962, guerre
civile des années 90) que hors des frontières.
L’une des clefs de ce complexe est à chercher, peut-être, dans l’histoire
nationale: la guerre d’indépendance a été menée par deux armées algériennes:
celle interne qui sera décimée par la France à l’époque, entre 1954 et 1962 et
une armée dite des frontières, établie en Tunisie et au Maroc.
C’est cette armée qui prendra le pouvoir, après une guerre fratricide avec
l’armée intérieure en été 62. Cela s’appellera la guerre des wilayas. Bouteflika
était officier de cette armée des frontières, née hors du pays et qui,
apparemment n’aime pas en sortir. Par méfiance. Dans le lexique algérien, on
parle du clan de Oujda, famille politique issue de cette armée qui campait au
Maroc.
Source: slateafrique
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