La banque Lazard a ouvert le 24 septembre
un département consacré au marché subsaharien. Matthieu Pigasse, son directeur
général délégué en France, vice-président pour l'Europe et responsable de cette
nouvelle branche, explique pourquoi il croit aux « incroyables potentialités »
du continent.
Matthieu Pigasse
Vous misez sur le
futur de l'Afrique. Est-ce le fruit de votre optimisme naturel ou d'un calcul
savant ?
Matthieu Pigasse : C'est le fruit de notre expérience. Depuis des décennies,
Lazard conseille les gouvernements africains qui veulent obtenir une notation de
leur dette, la réduire ou émettre des obligations souveraines. Nous sommes
intervenus par exemple au Gabon, au Nigeria, au Congo-Kinshasa, en Mauritanie,
en Éthiopie et au Sénégal. Nous y avons acquis la conviction que l'Afrique
subsaharienne dispose de potentialités extraordinaires. Car elle accélère. Dans
les années 1980, elle enregistrait en moyenne une croissance de 1,9 % par an. Le
rythme est passé à 2,3 % dans les années 1990. Depuis l'an 2000, il est monté à
5 %. Aujourd'hui, le continent représente 4 % de la richesse mondiale ; en 2030,
il en pèsera 7 %, et 12 % en 2050. Il sera alors plus riche que l'Europe et
pèsera les deux tiers des États-Unis et de l'Europe réunis...
Ce phénomène n'est-il pas dû à l'engouement mondial pour
les matières premières africaines ?
Non. Les études du FMI [Fonds monétaire international, NDLR] et de la Banque
mondiale montrent que les exportations de matières premières expliquent un tiers
seulement de cette croissance. D'autres forces positives sont à l'oeuvre : la
croissance démographique, l'urbanisation, une plus grande stabilité politique,
la diminution des principaux conflits, une meilleure gestion de l'économie, les
allègements de la dette, la libération des changes, etc.
Sans oublier la rupture technologique que constitue le téléphone mobile,
véritable accélérateur du développement, puisqu'il permet de pallier l'absence
d'infrastructures, de réaliser des opérations bancaires depuis les villages ou
encore d'informer le paysan des fluctuations des prix et de la demande de
produits agricoles.
Sans oublier non plus les flux d'investissements croissants, dont 40 %
proviennent du continent. Enfin les Africains croient en eux-mêmes ! Ce siècle
sera africain.
La corruption n'est-elle pas un handicap rédhibitoire pour
le continent ?
C'est une réalité que je ne peux pas mesurer, car nous n'y avons jamais été
confrontés. Mais il est vrai que j'ai rencontré des entreprises qui avaient
renoncé à investir dans un pays africain parce qu'elles avaient découvert que
derrière leurs futurs partenaires locaux se cachaient des hommes du pouvoir. En
tout cas, le continent n'a pas le monopole de la corruption et il fait des
progrès dans ce domaine, parce que ses populations sont de plus en plus
éduquées. La transparence y progresse grâce aux ONG et aux nouvelles
technologies. Je crois l'Afrique habitée d'une profonde volonté de se réformer
de ce point de vue.
Je soulignerai un autre handicap très présent dans la zone : l'instabilité et
l'hétérogénéité des règles juridiques - sur la propriété notamment -, qui
perturbent l'activité entrepreneuriale. Il faut y remédier.
Quel regard portez-vous sur la Françafrique ?
Je ne comprends pas ce que cette expression, qui appartient au passé et qui
m'est étrangère, signifie aujourd'hui. Je regrette qu'on l'utilise désormais
comme un repoussoir pour empêcher l'Afrique et la France d'avancer ensemble. Le
complexe français et la méfiance africaine bloquent le partenariat équilibré,
nouveau, reposant sur la confiance et le respect mutuels, dont les deux parties
ont besoin. Ce qui laisse le champ libre à d'autres, comme la Chine, moins
désintéressée qu'elle ne le prétend, ou les États-Unis.
Que pensez-vous de l'action des fonds vautours qui ont
abusé de la dette de pays africains ?
Lazard, qui a été historiquement l'un des créateurs du métier de conseil auprès
des gouvernements, n'a jamais été du côté des créanciers des États et s'est
toujours tenu aux côtés de ces derniers pour lutter contre les prédateurs. Les
fonds vautours sont une menace non seulement pour les États eux-mêmes, mais
aussi pour l'ensemble des acteurs de marché en raison de leur comportement de
free riders. Il ne faut pas céder au chantage. Face à ces attaques, on peut
pratiquer des tactiques défensives ou offensives : protéger les actifs que les
fonds tentent de faire saisir, utiliser des outils contractuels comme les
clauses d'action collective ou la mise en place de trusts obligataires...
Loger les recettes des exportations de pétrole ou de
minerais dans des comptes spéciaux des banques centrales n'est-il pas un bon
moyen d'éviter la corruption et la gabegie ?
La transparence est un préalable absolu. Une bonne solution consiste à créer un
fonds de stabilisation qui engrangera, au vu et au su de tous, des réserves
quand les prix du baril ou des minerais exportés excéderont les prévisions
budgétaires et qui compensera la chute des recettes quand ces prix seront
déprimés, afin de préserver l'équilibre budgétaire et les services publics. La
transparence assurée, il faut consacrer cette manne à la croissance. Ce qui veut
dire créer des fonds d'investissement et de développement, financés par les
rentes des matières premières. Ces dispositifs seront une garantie de stabilité
pour les investisseurs étrangers, qui seront plus enclins à apporter leurs
capitaux au pays qui les aura mis en place.
Source:jeuneafique
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