Pierre Moscovici
Coopération monétaire au sein de la zone
franc, situation ivoirienne, montée en puissance des Chinois, aide au
développement : le ministre français de l'Economie et des Finances livre sa
vision des relations entre Paris et le continent. Et revient sur la crise de
l'euro.
Alors qu'une tempête d'austérité souffle sur la France et l'Europe, Pierre
Moscovici, ministre de l'Économie et des Finances, prépare avec son cabinet la
réunion de la zone franc CFA prévue à Bercy le 5 octobre. L'événement marquera
le 40e anniversaire des accords de coopération monétaire entre Paris et ses
partenaires africains.
À 55 ans, l'ancien directeur de campagne de François Hollande est l'un des
ténors du gouvernement socialiste. Et même accaparé par la crise de la zone
euro, il demeure convaincu de l'importance de renforcer les liens qui unissent
la France au continent au moment où celui-ci commence à révéler son potentiel.
Pour autant, cet ancien élève de l'École nationale d'administration (ENA), où sa
rencontre avec son professeur Dominique Strauss-Kahn sera décisive, entend aussi
incarner une rupture avec les habitudes de la Françafrique. Pour J.A., il
dévoile en exclusivité les contours de sa stratégie.
Jeune Afrique : Le 5 octobre, la France et ses
partenaires africains vont marquer le 40e anniversaire de la zone franc. Qu'y
aura-t-il à célébrer ?
Pierre Moscovici : Ce sera un anniversaire très amical. Il y aura
beaucoup de personnalités présentes, un colloque, un livre, une exposition et
l'inauguration d'une salle du centre de conférences de Bercy. Tout cela pour
manifester l'importance que nous accordons, quarante ans après, à notre
coopération. Mais ce ne sera pas une réunion passéiste. Le présent et l'avenir,
c'est une Afrique en pleine croissance qui reste très liée à la France.
Les pays africains ont diversifié leurs partenariats.
Ne devrait-on pas arrimer le franc CFA à un panier de monnaies plutôt qu'à
l'euro ?
Si on fait le bilan des accords monétaires des zones franc, on constate
qu'il n'y a pas de tutelle de la France. Ce sont des monnaies souveraines. C'est
aussi un cadre de coopération qui a offert stabilité, faible inflation et
croissance à nos partenaires. Cela a également favorisé leur intégration
régionale. Ces traités ont déjà évolué, avec la création des unions économiques
[UEMOA et Cemac, NDLR] en 1994 ou la révision des accords monétaires en 2005
et 2007. Si nos partenaires veulent aller plus loin, c'est à eux de le décider
et nous les accompagnerons. Et puis la zone franc va au-delà de l'union
économique et monétaire, c'est une communauté pour renforcer la gouvernance et
la croissance en Afrique.
Pourquoi avoir proposé à Alassane Ouattara d'être l'invité d'honneur de la
réunion du 5 octobre ?
Il incarne notre volonté de faire le lien
entre le passé, le présent et l'avenir. Ancien gouverneur de la BCEAO [Banque
centrale des États de l'Afrique de l'Ouest], il a aussi été directeur du
département Afrique du FMI [Fonds monétaire international] et est aujourd'hui à
la tête de la Côte d'Ivoire, un pays qui joue un rôle important sur le continent
et dans les relations entre la France et l'Afrique.
Depuis quelques mois, la situation est à nouveau tendue en
Côte d'Ivoire. Êtes-vous inquiet ?
Je préfère insister sur ce qui avance. En 2011, le
PIB a reculé, mais dans des proportions moindres qu'attendu. Et cette année, le
rebond devrait être très fort, avec une croissance de plus de 8 %. La France a
été le premier bailleur à intervenir en Côte d'Ivoire avec un appui budgétaire
de plus de 350 millions d'euros. J'ai moi-même annoncé, en juillet dernier, une
très importante annulation de dette de près de 4 milliards d'euros. Quand des
tensions réapparaissent, on les surveille. Je souhaite que la reconstruction se
poursuive et la France est prête à l'aider fortement, tout comme nous soutenons
la réconciliation nationale autour du président légitimement élu.
D'une manière générale, quel regard
portez-vous sur les économies africaines ?
Il y a eu longtemps des stéréotypes négatifs : le
continent oublié, le continent qui ne sortait pas de la misère. Il y a eu des
discours plus que malheureux, à Dakar par exemple. Mais tout cela est derrière
nous. L'Afrique a démarré et l'enjeu aujourd'hui est de réaliser tout son
potentiel. Cette semaine [entretien réalisé le 25 septembre], je vais présenter
le budget de la France en me basant sur une prévision de croissance de 0,8 %, et
certains vont trouver ce chiffre trop optimiste. L'Afrique subsaharienne, c'est
plus de 5 % de croissance par an. Cela fait rêver.
À l'occasion de la réunion du
5 octobre, vous comptez aussi lancer une initiative pour des contrats
équitables. De quoi s'agit-il ?
Il faut renforcer les capacités juridiques des États
africains pour qu'ils puissent mieux négocier leurs contrats, en particulier
dans le domaine de l'exploitation de leurs matières premières. Makhtar Diop, le
premier francophone vice-président Afrique de la Banque mondiale, sera là pour
en parler. Ainsi que Donald Kaberuka, le président de la Banque africaine de
développement [BAD], qui a ouvert la voie sur ce sujet majeur.
François Hollande a maintes fois
annoncé son intention de rompre avec la Françafrique. Au-delà de la disparition
symbolique de la cellule de l'Élysée, comment allez-vous procéder ?
Effectivement, François Hollande a une volonté claire
d'en finir avec la Françafrique, ses mécanismes pervers et ses influences
occultes. C'est un fait, il n'y a plus de cellule Afrique. Bien sûr il y a des
conseillers. Mais ces conseillers ne sont pas des personnages sulfureux ou
mystérieux, ce sont des diplomates, des professionnels comme Thomas Mélonio. Ils
ne sont pas les héritiers de Foccart ou de Bourgi.
Sortir de la Françafrique, c'est considérer qu'il n'existe pas de « pré carré »
que nous piloterions de l'extérieur. Nous sommes tout sauf indifférents. Nous
sommes amicaux, disponibles, nous sommes en interdépendance, mais nous ne sommes
pas dans l'ingérence.
Compte tenu de la crise européenne, vous avez sans doute
peu de temps à consacrer à l'Afrique ?
Tout est relatif. Il n'y a pas de visiteur africain de haut niveau qui ne
souhaite me voir. C'est un symbole de ces liens. Un président africain qui vient
à Paris voit le président, le Premier ministre, le ministre des Affaires
étrangères et, en général, le ministre de l'Économie et des Finances. Je n'ai
jamais refusé un rendez-vous. J'ai provoqué, au contraire, des rencontres et je
prends des initiatives.
Tous les chefs d'État du continent
sont-ils les bienvenus à Paris ?
Je peux avoir des préférences. Mais il n'y a pas
beaucoup de ministres qui, comme moi, ont une conseillère d'origine africaine
- Safia Otokoré - et un directeur de cabinet - Rémy Rioux - qui, le jour où je
lui ai proposé le poste, partait à Tunis comme vice-président de la BAD ! Par
ailleurs, je compte bien me rendre en Afrique prochainement.
Grâce à ses investissements massifs, la Chine est devenue un interlocuteur
incontournable des États africains. La France peut-elle rivaliser ?
La France est encore le deuxième exportateur vers l'Afrique
subsaharienne, derrière la Chine mais devant les États-Unis et l'Allemagne. Nous
sommes aussi le quatrième importateur derrière les États-Unis, la Chine et
l'Italie. Ce n'est pas si mal. En même temps, il ne faut pas s'en contenter.
L'Afrique subsaharienne ne représente que 3 % des exportations et des
importations françaises, avec à peu près 14 milliards d'euros d'importations et
12 milliards d'exportations. C'est trop peu. Je ne veux pas critiquer la Chine,
je trouve cela désuet. C'est en réorientant le partenariat entre la France et
l'Afrique vers l'investissement que nous trouverons de meilleures réponses. En
aidant nos entreprises à mieux appréhender le risque, qu'elles tendent à
surévaluer ; à aller de l'avant, en donnant une priorité au secteur de l'énergie
où nous avons une grande expertise. Nous n'avons pas à avoir peur des Chinois.
Pour faciliter l'essor des
entreprises françaises en Afrique, faut-il les inciter à nouer des partenariats
en offrant leur expertise à des sociétés chinoises ?
Je n'ai pas spécialement envie que la France soit le
conseiller technique d'autres pays. Je n'exclus pas la possibilité de
partenariats, mais ils doivent être équilibrés. Avant tout, je souhaite qu'on
investisse et nos entreprises en ont les moyens.
Renault a ouvert une usine au Maroc
cette année et en implantera peut-être une demain en Algérie. Que pensez-vous de
ces délocalisations ?
L'essentiel, c'est que l'emploi en France reste
préservé. C'est toute la différence entre une délocalisation et une
colocalisation. Ce que je souhaite, c'est que sur le territoire français, les
constructeurs conservent tout leur potentiel. Il s'agit d'être capable
d'organiser une bonne répartition entre ce qui est produit en France et ce qui
peut être produit ailleurs. Ne soyons pas frileux par rapport à cela. En
revanche, lorsque des délocalisations sont des affaiblissements réels du tissu
économique français, je suis alerté.
Petit à petit, l'Europe est en train de sortir de cette crise, de retrouver des
perspectives.
Concernant la crise européenne, aviez-vous anticipé une
situation aussi dégradée ?
Je connaissais la profondeur de la crise. Ce que je ne mesurais peut-être pas
tout à fait, c'est le temps que cela prend. Il faut déployer une énergie très
forte. Moi qui ai été ministre des Affaires européennes il y a quinze ans, je
vois à quel point les mécanismes d'intégration se sont renforcés, pas toujours
pour le meilleur car ils se sont aussi beaucoup complexifiés. Mais je suis
persuadé que la politique poursuivie par François Hollande et le gouvernement
porte ses fruits et j'affirme que l'élection du 6 mai a fait bouger les lignes
en Europe. Mon sentiment est que l'Europe, petit à petit, est en train de sortir
de cette crise, de retrouver des perspectives.
Les décideurs africains s'inquiètent
néanmoins encore d'une possible explosion de la zone euro.
Ce sera un des sujets dont nous parlerons lors de la
réunion du 5 octobre. Je mentirais si je disais que l'Europe a retrouvé la
croissance, qu'il n'y a plus d'incertitude, de spéculation. En revanche, mon
sentiment, c'est qu'elle est en train de sortir des questions existentielles et
que les Européens sont en train de surmonter ce choc collectif. C'est lent,
c'est dur, mais j'ai une très grande confiance dans la pérennité de la zone
euro.
L'opposition dit que vous n'avez pas
les moyens de votre politique...
Nous avons les moyens qu'ils nous ont laissés.
On ne peut pas toujours se tourner
vers le passé pour justifier son action.
On ne peut pas non plus présenter le premier budget
d'une législature et faire comme si c'était sur une feuille blanche. Je me
passerais bien d'un budget où il faut passer en dix-huit mois de 5 % du PIB de
déficit à 3 %. C'est très dur et ça, c'est un héritage qu'ils nous ont laissé,
un héritage de chômage élevé, de croissance faible, de compétitivité affaiblie.
Par ailleurs, nous avons toute légitimité pour agir. Le président de la
République a été élu pour cinq ans, pas pour quatre mois. Il a fixé un
calendrier : deux ans de redressement et trois ans de développement, d'expansion
et de redistribution.
Pour boucler son budget 2013, la
France devra trouver 37 milliards d'euros. L'aide publique au développement
(APD) ne va-t-elle pas en pâtir ?
Dans le cadre de ce budget très tendu, l'objectif a
été de préserver un niveau d'APD comparable à celui de 2012, avec des crédits
globalement maintenus. Nous avons aussi décidé de dégager de nouvelles sources
de revenus pour investir dans les domaines de l'environnement, de la santé et du
changement climatique, avec l'affectation d'une partie de la taxe française sur
les transactions financières. L'Afrique reste évidemment la principale zone
d'engagement de l'Agence française de développement, prêts et dons confondus,
avec 40 % de ses engagements. Ce sont des signes forts pour un secteur sur
lequel on ne peut pas désarmer.
Nicolas Sarkozy avait noué des relations économiques et diplomatiques avec le
Qatar, votre gouvernement vient d'avaliser la création d'un fonds franco-qatari.
Vous poursuivez dans cette voie ?
Je ne vais pas me prononcer sur l'aspect géopolitique. Concernant le fonds, dès
lors que le Qatar, avec les ressources qui sont les siennes, veut investir en
France sur des intérêts stratégiques que nous pouvons définir ensemble, je ne
vois pas pourquoi nous nous en priverions. Donc je suis ouvert sur cette
dimension de coopération. Ce qui m'intéresse, c'est l'essor de nos entreprises
et l'emploi associé.
Vous êtes l'un des hommes forts du gouvernement, le président vous prête une oreille attentive... Vous sentez-vous « premier ministrable » ?
Je m'efforce d'être un ministre efficace. J'ai avec le président des relations fortes. Cela suffit totalement à mon bonheur. Il y a un Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, je lui suis d'une loyauté totale. Cela fait quatre mois que je suis ministre de l'Économie et des Finances, c'est une tâche passionnante et écrasante. Permettez que j'en profite sans penser à la suite.
___
Propos recueillis par Julien Clémençot et Stéphane
Ballong
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