S'il est souvent chargé des grandes médiations ouest-africaines, le président burkinabè n'en est pas moins un négociateur controversé.
Mise à jour du 14 octobre: Blaise Compaoré célèbre ses 25 ans à la tête du
Burkina Faso depuis le coup d'Etat du 15 octobre 1987. Aucune manifestation
officielle n'est prévue par le pouvoir et ses partisans pour ce quart de siècle.
Le régime est suspendu à la question lancinante de sa succession en 2015 et
s'inquiète de la grave crise au Mali voisin.
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22 mars 2012, des militaires séditieux renversent le président du Mali, Amadou
Toumani Touré. Ce coup d'Etat ouvre la voie à une instabilité politique qui
vient s’ajouter à une rébellion touareg et islamiste dans le nord du pays.
Le problème malien devient alarmant, dès lors que son ampleur menace de
concerner ses voisins immédiats qui se saisissent du dossier.
Au sein du club des chefs d’Etat ouest-africains qui se rendent au chevet du
Mali, c’est le président du Burkina, Blaise Compaoré, qui est désigné comme
médiateur.
Sa double mission est de ramener les putschistes à la raison, afin que le pays
retrouvre l'ordre constitutionnel, et de négocier une solution de paix avec les
rébellions islamistes et touareg.
Ce choix ne fait pas l’unanimité, y compris à Bamako, la capitale malienne, où
l'on dénonce bien vite une ingérence de la part de la Communauté économique des
Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao), qui a mandaté Compaoré.
L'une des raisons majeures de sa désignation est sa connaissance des acteurs qui
tiennent le nord en otage. Seulement, cela joue à la fois pour et contre lui.
En effet, le dirigeant burkinabè semble en mesure de trouver un interlocuteur
chez les islamistes armés jugés infréquentables et peut se prévaloir de ses
entrées dans les milieux touareg.
Depuis son arbitrage dans un cas similaire de rébellion au Niger, en 1994, il a
conservé cette réputation.
Mathieu Guidère, le spécialiste du monde arabe et musulman avançait une raison
supplémentaire dans une interview à Slate Afrique:
«Si Compaoré s’est mis en avant, c’est parce que personne ne voulait ou ne
pouvait le faire sur ce dossier. Sa médiation s’est imposée par défaut. Personne
n’a dit qu’il était l’homme de la situation. Bien au contraire, tout le monde
pense que ce n’est probablement pas la bonne solution que Compaoré soit le
médiateur attitré.»
Rôle trouble au Mali
Et certains n’hésitent pas à le dire. Très vite, l’entregent du Burkina est
dénoncé. Les journaux maliens se répandent en accusations de partialité. On le
soupçonne de vouloir faire le jeu des Touaregs.
Aux premières heures de la rébellion touareg, un chef militaire du MNLA s’était
permis de s’exprimer librement dans les colonnes d’un grand quotidien ouagalais,
depuis son refuge burkinabè.
Ce qui n’avait manqué d’être perçu comme un cautionnement de la part du pays
d’accueil. Un rappel à l’ordre des autorités burkinabè vis-à-vis de l’hôte
encombrant rappelé à son devoir de réserve de «réfugié» avait permis de clore
l’incident.
Mais lorsque survient une tentative de contre-putsch, dans la nuit du 30 avril
au 1er mai 2012, le rôle trouble de Blaise Compaoré est de nouveau indexé.
La junte évoque la présence de militaires burkinabè parmi les bérets rouges, qui
ont tenté de la neutraliser. Ils auraient été arrêtés en possession de pièces
d’identité étrangères qui prouve leur provenance.
L’affaire est finalement vite étouffée entre Bamako et Ouagadougou. On ne parle
plus de ce sujet qui fâche. Amadou Sanogo, le chef de la junte, a-t-il été
amadoué avec la promesse d’obtenir le statut d’ancien chef d’Etat? Ladite
promesse ne sera de toute façon, qu’à moitié tenue.
Ces rebelles Ivoiriens qui venaient de Ouaga
Mais, surtout, l’histoire prend-elle un malin plaisir à se répéter? Les mises en
causes multiples du dirigeant du pays des hommes intègres sonnent comme un air
de déjà entendu.
Déjà, en 2002, Compaoré avait été accusé de jouer un rôle de déstabilisateur en
Côte d’Ivoire, par le régime de Laurent Gbagbo.
Accusations plus ou moins fondées d’implication dans la crise politico-militaire
qui se déclenche le 19 septembre 2002.
Ce jour-là, des soldats rebelles venus du Burkina Faso tentent de prendre le
contrôle des villes d’Abidjan, Bouaké et Korhogo.
Ils échouent dans leur tentative de s’emparer de la capitale économique mais
sont victorieux dans les deux autres villes, situées respectivement dans le
centre et au nord du pays coupant ainsi le territoire ivoirien en deux.
Après cinq années de crise marquées par les échecs répétés des différentes
médiations (sud-africaine et ghanéenne notamment) le pouvoir en place parvient à
la conclusion que la crise ne pourra être résolue qu’en remontant à ses
origines.
Fin politique, Laurent Gbagbo a compris que «les rebelles sont venus de Ouaga,
et (que) c’est de Ouaga qu’ils déposeront leurs armes.» Il sollicite donc le
président du Faso pour mener des négociations directes avec la rébellion qui a
pris le nom de «Forces nouvelles.»
Cela a abouti à la signature, le 4 mars 2007, de l’accord politique de
Ouagadougou (APO) entre le chef rebelle Guillaume Soro et le président ivoirien
Laurent Gbagbo.
L'élection présidentielle prévue dans ce cadre, est organisée le 31 octobre 2010
au terme de quatre accords complémentaires.
La guerre, officiellement terminée reprendra lors de la crise déclenchée à
l’issue d’un second tour qui voit les deux candidats revendiquer la victoire.
La suite est connue, un conglomérat de forces militaires onusiennes, françaises
venues en appui au Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), fidèles à
Alassane Ouattara, lui permettent de s’emparer d’un pouvoir que le monde entier
lui reconnaît.
D'Abidjan à Conakry, c’est toujours l’ami de Compaoré qui
gagne
Ce dénouement «heureux» n’est pas sans rappeler la conclusion de la crise
politique guinéenne qui s’est achevée favorablement pour un autre «ami» de
Blaise Compaoré.
Sollicité par la Cédéao pour «faciliter» la transition guinéenne en péril suite
à coup d’Etat consécutif au décès de l’ancien président Lansana Conté le 22
décembre 2008 le président burkinabè conduit une médiation mouvementée.
Avec le capitaine putschiste, Moussa Dadis Camara, subtilement écarté du pouvoir
après une tentative d’assassinat qui le laisse longtemps affaibli, il signe un
accord de sortie de crise à Ouagadougou le 15 janvier 2010.
La troisième partie signataire, le général Sékouba Konaté, jusqu’ici
vice-président devient chef de l’Etat intérimaire et se montre plus docile pour
aller à des élections qu’il organise avec empressement.
Le premier tour de l’élection présidentielle se tient le 27 juin 2010,
conformément à la feuille de route.
Après trois mois de vives tensions entre les deux candidats arrivés en tête et
une déclaration faite à Ouagadougou sous l’égide du «facilitateur» le second
tour se déroule le 7 novembre 2010. Les suffrages portent Alpha Condé au
pouvoir.
A l’instar de son homologue Alassane Ouattara, l’amitié de longue date entre
Alpha Condé et le président burkinabè n’est pas un secret. Sitôt élu, le chef
d’Etat guinéen effectue son premier voyage à l’étranger au Burkina.
«Même si Blaise Compaoré n’était pas le médiateur de la crise guinéenne,
j’effectuerais ma première visite officielle dans ce pays», confiera-t-il. La
démocratie a gagné et Condé veut se montrer reconnaissant.
Dans ce dernier cas, si à aucun moment le rôle déstabilisateur de Blaise
Compaoré n’a été avéré de quelque façon que ce soit, l’issue avantageuse de la
crise guinéenne pour Alpha Condé n’a pas manqué de faire jaser.
Cellou Dalein Diallo, prétendant malheureux se prévalant d’un report de voix qui
le donnait mathématiquement gagnant, ne cessera jamais de contester les
résultats.
Une réputation qui s’est faite au Togo
De fait, l’homme fort de Kosyam (palais présidentiel), devenu le doyen des chefs
d’Etat de la sous-région, en termes de longévité au pouvoir, a acquis une
stature de parrain régional.
Dans ce rôle, il a peu à peu enfilé les habits, au départ trop grands pour lui,
du premier président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, décédé en 1993 et
longtemps laissé sans héritier.
Cette année déjà, Blaise Compaoré qui anticipe la succession, s’essaie à la
médiation dans la crise togolaise qui voit chanceler le pouvoir du président
Etienne Eyadema Gnassingbé.
Elle débouche sur la signature d’un accord le 11 juillet 1993. Il met fin aux
affrontements armés.
Un diplomate burkinabè analyse:
«Cette toute première médiation a retenu l’attention de la communauté
internationale et a sans doute eu une influence dans le choix du président du
Faso en tant que médiateur dans d’autres processus de sortie de crise.»
13 années, plus tard, le costume du pacificateur est plus seyant. La médiation
du président Compaoré est de nouveau demandée par les acteurs politiques
togolais, suite aux violences qui émaillent l’élection présidentielle de 2005
tenues après la mort du président Gnassingbé père remplacé par son fils, Faure.
Les négociations menées à Lomé et à Ouagadougou, aboutissent à la signature le
20 août 2006, d’un accord politique global qui permet l’organisation d’élections
législatives en octobre 2007.
Une seconde (ou troisième, c’est selon) médiation dans ce pays, à la demande de
la Cédéao fait suite à des tensions qui surgissent à l’approche de l’élection
présidentielle en 2010.
Ces nouvelles négociations menées avec l’ensemble de la classe politique
débouchent sur la composition consensuelle de la Commission électorale et à la
fixation des conditions d’éligibilité à l’élection présidentielle. A l’issue de
ce scrutin, le fils Gnassingbé est réélu.
Agent occidental inamovible?
La réélection de Blaise Compaoré, elle n’est pas certaine. Et pour cause, Il ne
peut constitutionnellement se représenter pour un mandat supplémentaire en 2015.
A moins de modifier la loi fondamentale. Si tel était le cas, la communauté
internationale, puissances occidentales en tête applaudiront-elles une telle
volonté de maintien? La France de Sarkozy ne s’était pas déclarée favorable à
cette option.
Mais d’aucuns affirment que le chef de l’Etat burkinabè est devenu le «pilier de
la françafrique» en Afrique de l’Ouest, ainsi que l’analyse Le Monde
diplomatique en janvier 2010.
En plus de détenir les clés des grandes crises régionales, Il semble
incontournable dans les problématiques de prises d’otages.
Mystérieusement, le président du Faso semble bénéficier d’une oreille chez les
professionnels de l'enlèvement qui sévissent dans la bande sahélienne. Par son
intermédiaire, de nombreuses libérations d’otages occidentaux ont été possibles.
Au fil du temps, Ouagadougou s’est progressivement affirmée comme place
stratégique dans la sous-région.
Les Américains y ont établi leur base secrète la plus importante, dans la zone
militaire de l’aéroport de la capitale d’où ils opèrent des missions de
surveillance sur toute la zone Afrique de l’Ouest.
Autant de gestes de coopération qui traduisent la volonté acharnée de se poser
comme l’allié indispensable de l’occident.
Sauront-ils faire oublier son incrimination dans le dossier libérien, où il se
trouve accusé d’avoir fourni armes et soldats à la sanglante rébellion de
Charles Taylor? Blaise Compaoré à la CPI ou prix Nobel de la paix?
Malik D. Ouedraogo
Source:http://www.slateafrique.com
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