Une intervention militaire dans le nord du Mali pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour ce pays.
Ville de Gao, nord du Mali, le 10 septembre 2012. REUTERS
Mise à jour du 13 octobre: le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté
hier à l'unanimité la résolution 2071 préparée par la France sur le Mali. Elle
donne 45 jours à Bamako et à ses alliés africains de la Cédéao pour présenter un
plan opérationnel en vue d'une intervention armée contre les islamistes qui
occupent le Nord du pays.
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Le «Malian bashing» est à la mode dans le petit cercle des commentateurs de
l’actualité africaine. Si on n’écoutait que certains d’entre eux, on se
convaincrait assez rapidement que le seul et unique problème du Mali est sa
classe politique irresponsable, bien décidée à se battre jusqu’à la dernière
goutte de sang pour des lambeaux de pouvoir. Ou alors que la malédiction de ce
pays est son armée, qui refuse de verser son sang pour Tombouctou ou pour Kidal,
mais qui s’arc-boute sur son orgueil outragé quand les âmes vertueuses de la
communauté internationale veulent venir mettre de l’ordre là où il y a le chaos.
Cette façon de voir les choses a «l’avantage» d’éluder une question
fondamentale: le scepticisme profond d’une grande partie de l’opinion publique
malienne quant à la capacité et à la volonté des pays de la Communauté
économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de la France et plus
globalement la communauté internationale, d’aider sincèrement le pays sinistré
de Soundjata à se tenir de nouveau sur ses deux jambes. De nombreux Maliens se
méfient, et ils ont des raisons de se méfier.
Raison numéro un: la sécession du Nord-Mali a d’abord été une perspective
acceptable pour la France
Souvenons-nous. Tant que c’était le Mouvement national de libération de l’Azawad
(MNLA, estampillé laïc) qui faisait la conquête du Nord du pays et y installait
sa loi, tout ce que Paris compte d’officiels, d’analystes et de brillants
rhéteurs considérait qu’il n’y avait pas de solution militaire à la crise
malienne.
Qu’il fallait entendre le message des Touaregs, dont le lamento identitaire
était reçu avec compassion et commisération. Il a fallu que le MNLA se fasse
rouler dans la farine par ses alliés circonstanciels islamistes pour que les
points de vue changent du tout au tout et que la diplomatie hexagonale se démène
pour débarrasser son pré carré d’un impérialisme concurrent du sien sur ce
terrain particulier: celui du salafisme international. Mais, vu de Bamako, la
question fondamentale était l’intégrité territoriale, et rien ne ressemble plus
à un barbu d’AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique) qu’un imberbe azawadien dont
le visage buriné est camouflé par le burnous bleu.
Raison numéro deux: la CEDEAO a été maladroite voire sadique avec le Mali
Très clairement, pour les chefs d’Etat de la région – en tout cas pour certains
d’entre eux –, l’avancée des rebelles était moins importante que l’urgence
d’imposer un «nouvel ordre politique», à la fois sans Amadou Toumani Touré
(l’ex-président renversé en mars 2011) dont ils ont regretté le règne avec de
trop apparentes larmes de crocodile et sans la junte dirigée par Amadou Sanogo,
qu’il fallait marginaliser afin de placer les petits et les grands copains
réunis dans le cadre d’un gouvernement de transition. Afin de gouverner le Mali
par procuration. Afin, ont dit certains intellectuels mauvais coucheurs, de
«recoloniser» le Mali pour le compte de grandes puissances en embuscade.
Pour arriver à ses fins, le chef de l’Etat de Côte d’Ivoire Alassane Ouattara
est même allé jusqu’à fermer d’autorité la frontière avec le Mali pendant
quelques jours. Ce qui revenait à asphyxier, dans tous les sens du terme, le
pays qu’il prétendait sauver. Il est vrai que Ouattara peut considérer que cette
méthode sadique lui a réussi dans sa guerre de quatre mois contre son
prédécesseur, Laurent Gbagbo. Mais tout de même! Difficile de faire du chantage
à vos voisins, même si c’est pour leur bien à vos yeux, sans vous aliéner
définitivement un grand nombre d’entre eux.
Raison numéro trois: les forces d’interposition règlent
fort mal les crises
Fort peu solidaires pour une majorité d’entre eux de Laurent Gbagbo quand il
subissait sa rébellion à lui, les Maliens se sont tout de même rendu compte que
la MICECI (on parle aujourd’hui de MICEMA(Mission de la Cedeao au Mali), ancêtre
de l’ONUCI, n’a rien réglé mais a coupé la Côte d’Ivoire en deux pendant près de
dix ans, laissant macérer les racines de la haine
et d’une confrontation finale (?) qui a été bien plus violente que celle du 19
septembre 2002.
Et si les «forces impartiales», étaient, comme on dit à Treichville (quartier
d’Abidjan), des «aggravaffaires»? En plus, quand elles viennent, elles ne
partent plus. L’ONU et ses fonctionnaires surpayés sont toujours là au Liberia,
en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo, au
Soudan… Conflit internationalisé un jour, conflit internationalisé toujours?
Raison numéro quatre: la France et les islamistes ont les
mêmes «meilleurs amis»
Si la Côte d’Ivoire a été l’obsession des exécutifs Chirac et Sarkozy (au
pouvoir jusqu’en mai 2012), la «reconquête» du Sahel malien semble être la
priorité des priorités de l’administration Hollande. Il n’empêche qu’il est
difficile de ne pas tiquer lorsque l’on sonde la profondeur des alliances des
uns et des autres. C’est un secret de polichinelle : la France réac et la France
baba cool se retrouvent unies dans une fascination pour les «hommes bleus» des
dunes dont le MNLA est la figure emblématique.
Mais alors que Paris hausse le ton contre les islamistes liés à la nébuleuse Al
Qaida qui coupent les mains et manient le fouet plus que de raison, comment
oublier tout à fait que, selon de nombreux spécialistes du renseignement, une
partie de l’approvisionnement des salafistes provient de réseaux qataris? Ce
n’est pas un détail, puisque le Qatar d’aujourd’hui est dans le monde arabe,
pour Paris, ce qu’était la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny dans les années 1960
et 1970 en Afrique: un allié sûr, un pivot stratégique, un partenaire central.
Le Qatar est même plus que cela, puisqu’il met la main à la poche pour financer
le Paris-Saint-Germain (club de foot de la capitale française) ou pallier aux
défaillances de l’Etat français dans les banlieues.
Mais pourquoi, au lieu de financer une invasion militaire du pays qui pourrait
le transformer en une sorte de lieu de cristallisation de longue durée des
forces en présence dans le cadre d’une guerre froide qui ne dit pas son nom,
François Hollande – qui n’a pas un sou en poche, dit-on – ne prend-il pas son
téléphone pour appeler ses amis les émirs? Pourquoi les Etats-Unis ne sont pas
«chauds» pour une intervention? Iront-ils jusqu’à la saboter si elle a lieu?
Pourquoi les salafistes sont-ils les alliés, voire la force virile de l’Occident
en Syrie, comme hier en Libye, quand il s’agit de chasser de vieux régimes
«laïcs», et deviennent en Afrique subsaharienne la menace absolue?
Les Maliens ont l’impression d’être les victimes d’un grand jeu qui les dépasse.
Ils n’ont pas sollicité la guerre de Libye menée par l’OTAN sans aucun souci de
l’après-Kadhafi, mais ils sont obligés d’en subir les conséquences, dans un
contexte où ils sont divisés, mal préparés militairement, et persuadés d’avoir
fort peu d’amis dans la grande épreuve qui les étreint. C’est pour cette raison
qu’ils se méfient. Et ils ont bien raison.
Théophile Kouamouo
Source:http://www.slateafrique.com
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