Encerclé par la rébellion des cousins Touaregs du Mali et les groupes terroristes qui font la loi à l'Ouest, la confusion qui règne encore en Libye à l'Est et l'activisme violent de Boko Haram qui s'étend sur le flanc Sud du pays, le Niger affiche une stabilité surprenante. Pour combien de temps encore?
Chef touareg malien au Niger, 5 mars 2005. REUTERS
Octobre 2012, le climat dans la grande
vallée de l'Azawak s'est adouci après les brûlantes envolées de l'été, où les
températures montent à 50°, et les turbulences météo du Printemps arabe, qui a
aussi touché les zones mixtes arabo-africaines et réveillé les berbérités
sahélo-sahariennes.
Des bâches bleues alignées en plein désert, aux fins fonds du Sahara. Dans ces
camps précaires disséminés le long de la frontière nigéro-malienne comme à
Mangaizé, Gaoudel, Ayourou, Banibangoun, Chinagoder, Abala ou encore Tililia,
près de 100.000 Touaregs maliens fuyant les combats entre milices et les
exactions à Gao et Tombouctou, se sont réfugiés.
Pas loin de chez eux, au Niger, des Touaregs réfugiés chez des Touaregs, par une
absurde frontière coloniale de 850 kilomètres qui les a séparés. Si à l'Ouest,
la complexité est connue, entre rebelles nationalistes touaregs, islamistes
touaregs et groupes armés islamistes de l'Aqmi, Mujao et Al Qaïda, à l'Est, le
Niger est relativement stable, même s'il scrute avec angoisse les plaines arides
et regs cassants qui le séparent de son voisin.
Un peuple, deux pays
Mais quelles sont les différences entre le Nord Mali et le Nord Niger? Peu
nombreuses. Des paysages pauvres et désertiques, la même géologie avec un petit
massif montagneux au centre, l'Ifoghas au Mali (région de Kidal) et l'Aïr au
Niger (région d'Agadès), autour desquels vivent plus d'1 million et demi
d'Imouhagh et Imajaren (tels que se désignent les Touaregs, berbères sahariens).
700.000 d'un côté, près d'un million de l'autre, soit le dixième chacun de la
population de leurs Etats, Mali et Niger.
Les mêmes peuples, avec la même culture, la même langue, et qui partagent
tristement les mêmes sécheresses chroniques et les mêmes places dans les bas de
tableaux d'indices de développement humain. Une même pauvreté, avec des Etats
centraux ethno-différenciés bien plus au Sud, peu soucieux de leur sort, ce qui
a donné plusieurs et mêmes mouvements de rébellion. Les similitudes s'arrêtent à
peu près ici.
Séparés par la grande vallée de l'Azawak, affluent mort du fleuve Niger mais
reliés par ce dernier, les Touaregs de l'Igoghas malien et ceux de l'Aïr
nigérien ne sont plus d'accord sur la nécessité de créer un grand Etat targui
(touareg) au milieu de nulle part.
«On a fait deux rébellions, la seconde a coûté beaucoup de vies, un retard
énorme au nord et une troisième risque d'être l'enfer pour la communauté
touareg», a expliqué lors d'un forum sur la paix et le développement qui s'est
tenu dans l'Aïr au début de l'année, Rhissa Ag Boula, ex-rebelle armé des deux
insurrections targuies au Niger (1991 et 2007).
Le retour de Libye
Contrairement au Mali et à la suite des rébellions, l'intégration au Niger a
réussi, et nombreux sont les Touaregs dans l'armée, administration, aux postes
de chef d'état-major ou de comme l'actuel Premier ministre Brigi Riffini ou
encore Rhissa Ag Boula, ancien ministre, et qui est d'ailleurs devenu conseiller
du président nigérien Mahamadou Issoufou, élu en 2011.
Si la répression au Mali contre les Touaregs a toujours été beaucoup plus féroce
qu'au Niger, au retour de Libye, les Touaregs militarisés par Kadhafi n'ont pas
eu la même destinée. Au Niger, ils ont été désarmés à la frontière.
Les Maliens en revanche ont gardé leurs armes, c'est toute la différence. Même
si au Niger comme au Mali, on n'était pas vraiment contre Kadhafi, qui les
soutenait financièrement et arrivait à contenir les islamistes, on dit que ce
sont les Touaregs maliens qui ont «donné» l'ex-dictateur libyen aux Français,
livrant sa position GPS lors de sa fuite, en échange d'un retour sain et sauf au
Mali, avec armes et bagages.
En cause, l'inconscience de Amadou Toumani Traoré, l'ex-président malien
renversé, ajouté à son indifférence au sort des populations du Nord, selon les
Touaregs nigériens. Entre les deux, les positions sont aujourd'hui bien
tranchées et les Touaregs de l'Aïr soutiennent leur président, favorable à une
intervention militaire internationale et qui insiste sur la nécessité de
réserver à l’Etat «le monopole de la violence», même si tous ne sont pas
d'accord sur la présence de militaires français et américains sur leu sol. Au
milieu de ce chaos qui s'annonce les réfugiés se serrent en plein désert, tirant
un peu plus sur leurs bâches bleues.
Un modèle pour la région
Des élections libres, un régime semi-présidentiel, des indicateurs
macroéconomiques en amélioration constante et des institutions qui fonctionnent.
C'est la république du Niger d'aujourd'hui, bon élève de la région.
Pour saluer les nouvelles démocraties d'Afrique, le président américain Obama
lui-même a choisi d'honorer le Niger en invitant l'année dernière Mahamadou
Issoufou, son président. Même chose pour le FMI, qui prévoit 14% de croissance
au Niger pour cette année, et Christine Lagarde qui pour sa tournée africaine, a
choisi d'atterrir à Niamey.
Depuis le retour à la démocratie en 2011 et l'élection de Mahamadou Issoufou, le
Niger est l'exemple à suivre, où toutes les vieilles querelles, guerres de clans
et de territoires se règlent dans un cadre démocratique.
Tout n'est pourtant pas simple, avec un faible PIB de 10 milliards de dollars
(uranium et un peu de pétrole), les dépenses militaires ont dû augmenter pour
contrer les menaces extérieures et des dizaines de milliers de travailleurs
expatriés ont du quitter la Libye pour venir grossir les rangs du chômage.
Le modèle du radicalisme islamique
De plus, la situation sociale est fragile. Musulmans à 90%, les Nigériens sont
comme les pays de l'islam, travaillés par les pétrodollars et la propagande
qatarie et saoudienne, qui veulent y imposer un modèle salafiste strict et
austère. Souples et bon buveurs (ancestrale bière de mil, produite localement),
les Nigériens s'inquiètent déjà.
L'alcool devient plus rare et il n'est aussi plus anachronique de voir à Niamey
des femmes en voile intégral et des milices du mouvement radical Haoussa Boko
Haram traîner dans les villes du Sud.
Si les enlèvements, d'Occidentaux en général, ont toujours lieu au Niger, la
stabilité est encore là. Pour combien de temps encore? L'intervention militaire
au Mali, prévue pour les prochaines semaines, va tout compliquer, même si pour
beaucoup de Nigériens, ce sera moins pire que le contrôle de la région par le
consortium diabolique Aqmi-al-Qaida-Mujao.
Pour les Maliens réfugiés en revanche, c'est tout le ciel et leurs bâches bleues
qui risquent de leur tomber sur la tête, avec une nouvelle guerre et de
nouvelles errances. Dans tous les cas, rien ne se fera sans les Touaregs, qui
sont aujourd'hui au centre de la bataille et qui feront de leur pays des Etats
de droit ou des terres sans Etats.
Chawki Amari
Source:http://www.slateafrique.com
Naviguer à travers les articles | |
Après sept mois de suspension, le Mali réintègre l'Union africaine | Alors que le sommet de Bamako piètine : Aqmi menace de nouveau, les otages français |
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
|