Le point de vue américain sur le Mali
Aux yeux des Américains, le Mali serait confronté à quatre problématiques
étroitement liées et d'égale importance et qui doivent être résolues
simultanément pour que le Mali puisse se redresser.
L’administration Obama, qui a rallié in fine la solution militaire proposée, défendue et en préparation, par le président français, estime qu’il faut, au préalable sinon en même temps, favoriser le retour à la normale et à la stabilité dans ce pays, ventre mou du Sahel saharien et dont la partie nord, entre les mains de djihadistes depuis mars dernier, prend progressivement la forme d’une vaste base d’Al-Qaïda dans la région et ses périphéries (Niger, Bénin, Tchad, Nigeria, Soudan jusqu’aux rives de l’Afrique de l’Est en Somalie).
Alger qui a privilégié une solution négociée n'exclut plus une intervention
militaire, à la condition qu'elle soit “totalement africaine”. L'Algérie avait
souscrit à cette option dans une déclaration conjointe adoptée le 19 octobre à
Bamako lors d'une réunion internationale, qui enjoint le Mali à prendre des
mesures immédiates pour faciliter les efforts de la communauté africaine se
basant sur la résolution 2071 du Conseil de sécurité de l'ONU, adoptée le 12
octobre et ouvrant la voie à un déploiement d'une force internationale de
quelque 3000 hommes au Mali et donnant 45 jours à la Cédéao pour préciser ses
plans. Les Etats-Unis et la France sont disposés à fournir un appui logistique.
Pour en savoir un peu plus sur la position américaine, il suffit de lire les
déclarations de Johnnie Carson du département d’Etat qui a participé aux
discussions franco-américaines des 22 et 23 octobre sur la sécurité au Sahel et
qui y a rencontré des responsables français du ministère de la Défense ainsi que
ceux du ministère des Affaires étrangères. Selon le diplomate américain, les
deux journées ont permis d’ores et déjà la “coordination” des positions des deux
pays. La rencontre qui a vu la participation de responsables du département
d’Etat, de la Défense, de l'Agence des Etats-Unis pour le développement
international (USAID), des Affaires étrangères et de l’Afrique, dévoilera dans
un avenir proche ce qui est envisagé par Washington et Paris dans le Sahel, sous
le couvert de guerre contre Al-Qaïda et ses franchises régionales. Aux yeux des
Américains, le Mali serait confronté à quatre problématiques étroitement liées
et d'égale importance et qui doivent être résolues simultanément pour que le
Mali puisse se redresser. Un, la principale difficulté est un “problème de
gouvernance” : il y a un besoin urgent à ce que le Mali retrouve la voie de la
démocratie, ce que l’Algérie partage complètement. “Nous estimons qu’il est
essentiel d’avoir une feuille de route et d’établir une stratégie pour organiser
des élections d’ici le printemps prochain”, a souligné le sous-secrétaire qui a
ajouté que “l’armée ne doit en aucun cas interférer dans les affaires politiques
du pays. Il faut absolument rétablir le pouvoir civil”. La deuxième
problématique est la question touareg, un “enjeu politique qui n’entre pas dans
le champ militaire ou sécuritaire”, a précisé Johnnie Carson. En effet, la
question touareg est ancienne et n’a jamais été résolue par le Mali, et
l’Algérie a de son côté, à multiples reprises, servi de médiateur et
d’intercesseur avec à la clef des accords, les accords d’Alger signés en 2006,
qui avaient plus ou moins fonctionné jusqu’au putsch de mars 2012 qui a ouvert
la voie à la déferlante djihadiste. Les Touareg, qui s’estiment à la fois
politiquement marginalisés et économiquement négligés, ont ces accords d’Alger
qui fixent les modalités du développement du nord du Mali et permettaient un
retour à une normalisation des rapports entre les Touareg et Bamako, et qui
n’ont pas été entièrement appliqués.
Pour Washington, les pays qui viennent au secours du Mali doivent encourager le
gouvernement malien à tendre la main et à entrer en contact avec les Touareg qui
ne sont pas impliqués dans les opérations terroristes. L’Algérie plaide
également pour que le gouvernement malien et les rebelles touareg ouvrent dès
que possible une négociation. Troisième axe, le terrorisme. “Nous devons
efficacement combattre, vaincre et chasser Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI)
du nord du Mali, afin de rétablir l’intégrité territoriale du pays. Ce en quoi
nous croyons fermement”, a déclaré le collaborateur d’Hillary Clinton. Sur cette
question, Alger et Washington semblent être sur la même longueur d’ondes. Alger
a souscrit pleinement à la résolution du Conseil de sécurité qui autorise
“l’Union africaine et les autres pays ouest-africains à réfléchir à un plan et
une stratégie pour se débarrasser des terroristes”. Enfin, le quatrième volet de
la crise malienne vue par les Etats-Unis est que c’est également une crise
humanitaire qui touche la région du Sahel. En effet, le coup d’Etat du 22 mars
2012 et la sécheresse ont considérablement aggravé la crise alimentaire, la
situation humanitaire est tellement préoccupante qu’elle a généré de nombreux
déplacements de populations. 109 000 Maliens se sont réfugiés dans des camps à
la frontière de la Mauritanie et 40 000 sont déplacés au Niger.
Pour le nœud gordien des élections nécessaires pour tout retour à la stabilité
au Mali, comment organiser des élections dans un pays dont la majorité du
territoire est contrôlée par les radicaux islamistes, Johnnie Carson qui
souligne que 50 à 55% du territoire malien est actuellement dans les mains des
salafistes et rebelles, que les trois principales villes du Nord, Tombouctou,
Gao et Kidal, sont sous leur contrôle, estime que “la démocratie et les
élections ne sont pas une question de territoire, mais de citoyens ayant la
possibilité de voter pour un gouvernement officiel”. Quant à l’intervention
militaire proprement dite, pour l’administration Obama, “il est important que le
Mali et ses voisins, épaulés bien entendu par l’Union africaine et la communauté
internationale, se chargent de cette crise et la règlent”. C’est indispensable a
souligné Johnnie Carson, car “il est probable que les salafistes installés dans
le nord du Mali veuillent exporter leur idéologie hors des frontières maliennes,
afin de s’étendre dans les autres Etats de la région”.
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