L’urgence de la menace terroriste au Nord-Mali a poussé le Conseil de sécurité de l’ONU à voter la résolution 2071. Johnnie Carson, le sous-secrétaire d'Etat américain pour l'Afrique analyse pour SlateAfrique la situation au Mali.
Johnnie Carson, sous-secrétaire d'Etat américain © U.S. Department of
State/Africa Regional Services
SlateAfrique - Vous avez participé aux discussions franco-américaines (du 22 au
23 octobre) sur la sécurité au Sahel, quel bilan tirez-vous de ces journées?
Johnnie Carson - Ma visite à Paris pendant ces deux jours m’a permis de
rencontrer des responsables du ministère de la Défense ainsi que ceux du
ministère des Affaires étrangères pour discuter de la sécurité au Sahel et de la
menace islamiste qui plane en Afrique de l’Ouest.
Tous les responsables du département d’Etat, de la Défense, de l'Agence des
Etats-Unis pour le développement international (USAID), des Affaires étrangères
et de l’Afrique ont pu échanger.
Nous avons axé notre discussion sur le Mali et la menace terroriste qui existe
là-bas. Ces discussions nous ont donné l’opportunité d’évoquer d’autres
questions importantes telles que l’immigration illégale, les opérations
militaires et aussi les trafiquants.
Tous ces problèmes constituent des menaces en Afrique de l’Ouest. Et ils mettent
en lumière les diverses difficultés que rencontrent ces gouvernements pour les
gérer.
Ces deux journées ont été nécessaires pour coordonner nos opinions et positions.
Les Etats-Unis sont fiers de cette collaboration étroite avec la France, pas
seulement pour traiter de la situation liée à l’Afrique de l’Ouest, mais aussi
d’autres parties du continent telles que l’est, le centre et le sud du
continent.
La clé de la sortie de crise
Slate Afrique - Quelle action envisagez-vous pour le Mali?
Johnnie Carson - Le Mali est confronté à quatre problématiques
étroitement liées et d'égale importance. Ces quatre interrogations doivent être
résolues simultanément pour que le Mali puisse se redresser.
La principale difficulté est un problème de gouvernance au Mali. Il y a un
besoin urgent à ce que le Mali retrouve la voie de la démocratie. Nous estimons
qu’il est essentiel d’avoir une feuille de route et d’établir une stratégie pour
organiser des élections.
En outre, l’armée ne doit en aucun cas interférer dans les affaires politiques
du pays. Il faut absolument rétablir le pouvoir civil.
Le deuxième défi à relever est la question touareg. Il s’agit ici d’un enjeu
politique qui ne rentre ni dans le champ militaire ou sécuritaire. La question
touareg est ancienne et n’a jamais été résolue par le Mali.
Les Touaregs s’estiment à la fois politiquement marginalisés et économiquement
négligés. Ils ont l’intime conviction que les Accords d’Alger (ces accords
fixent les modalités du développement du nord du Mali et permettent un retour à
une normalisation des rapports entre les Touaregs et Bamako, Ndlr), signés en
2006, n’ont pas été entièrement appliqués.
Il est crucial que Bamako, mais aussi les pays qui viennent au secours du Mali,
le Burkina Faso (avec son président, Blaise Compaoré, et son ministre des
Affaires étrangères, Djibril Bassolé) encouragent le gouvernement malien à
tendre la main et à entrer en contact avec les Touareg.
Ces Touaregs ne sont pas impliqués dans les opérations terroristes. Le
gouvernement malien et les rebelles touareg doivent ouvrir dès que possible une
négociation.
Le troisième axe à résoudre est le terrorisme. Et nous devons efficacement
combattre, vaincre et chasser al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) du nord du
Mali, afin de rétablir l’intégrité territoriale du pays. Ce en quoi nous croyons
fermement.
Le terrorisme est un problème d’ordre sécuritaire et militaire. C’est pourquoi
le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté, le 12 octobre, la résolution 2071.
Cette résolution autorise l’Union africaine et les autres pays ouest-africains à
réfléchir à un plan et une stratégie pour se débarrasser des terroristes.
Nous examinons et analysons actuellement ce qui peut être fait pour régler cette
situation.
Et enfin le quatrième volet est la crise humanitaire qui touche la région. Le
coup d’Etat du 22 mars 2012 et la sécheresse ont considérablement aggravé la
crise alimentaire. La situation humanitaire est tellement préoccupante qu’elle a
généré de nombreux déplacements de populations. 109.000 Maliens se sont réfugiés
dans des camps à la frontière de la Mauritanie et 40.000 sont déplacés au Niger.
Le nœud gordien des élections
Slate Afrique - Comment organiser des élections dans un
pays dont la majorité du territoire est contrôlé par les radicaux islamistes?
Johnnie Carson - Il est vrai que 50 à 55% du territoire malien est
actuellement dans les mains des salafistes et rebelles. Les trois principales
villes du Nord que sont Tombouctou, Gao et Kidal sont sous leur contrôle. Mais
la démocratie et les élections ne sont pas une question de territoire, mais de
citoyens ayant la possibilité de voter pour un gouvernement officiel.
55% du Mali se retrouve sous l’emprise des rebelles. Mais, selon les experts,
seulement 10 à 15% de la population malienne vit dans cette partie du pays. Et
aujourd’hui, un tiers de ces 10 ou 15 % ont fui le nord.
Et pour cause, de nombreux Maliens se sont réfugiés, comme je le mentionnais
juste avant, en Mauritanie. D’autres se sont déplacés au Niger. En outre, il y a
un grand nombre de Maliens du Nord qui s’installent dans le sud du pays.
Sachant tout cela, ce qui me semble le plus approprié dans ce genre de
situations est d’organiser des élections pour le plus grand nombre. 85 à 90% de
la population se retrouvent dans le sud du Mali, il n’y a donc aucun frein pour
empêcher la mise en place d’élections.
En outre, on peut préparer le scrutin dans les camps de réfugiés en Mauritanie
et enregistrer les déplacés du Nord-Mali.
Et ce ne serait pas la première fois dans l’histoire que des pays en guerre
civile ou divisés organisent quand même des élections. Cela a déjà été fait.
Notamment aux Etats-Unis pendant la guerre de Sécession où notre pays était
profondément divisé sur la question de l'esclavage, notamment entre les Etats du
sud des Etats-Unis et ceux du nord. Et pourtant, ces divisions n’ont pas empêché
l’instauration d’une élection nationale, car nous voulions avancer. D’autres
pays ont connu la même expérience en Europe.
L’élection et la démocratie ne se résument pas à savoir quel territoire peut
voter ou non, il s’agit du droit souverain d’un peuple à voter et maintenir
l’intégrité et la paix dans son pays.
La démocratie est le droit du peuple à participer au gouvernement. Le peuple ne
devrait jamais être pris en otage lors d’un conflit ou, dans ce cas précis,
d’une conquête de territoire.
SlateAfrique - Quand cette élection devrait-elle être
organisée?
Johnnie Carson - Le moment idéal serait d’organiser ces élections d’ici
le 23 avril 2013. Cependant, tout dépend de la feuille de route que l’on devra
suivre. Cette feuille de route précisera quel moment est le plus opportun pour
la mise en place de ces élections.
Ce scrutin ne sera envisageable que lorsque les quatre problématiques que j’ai
mentionnées plus tôt seront résolues.
Slate Afrique - Une intervention militaire internationale
est elle nécessaire au Mali?
Johnnie Carson - Il est important que le Mali et ses voisins, épaulés bien
entendu par l’Union africaine et la communauté internationale, se chargent de
cette crise et la règlent.
La crise qui frappe le Mali aujourd’hui a plusieurs facettes. Elle est d’ordre
national, car les premières victimes sont les Maliens. Nombre d’entre eux sont à
présent des réfugiés.
Il est fort probable que les salafistes installés dans le nord du Mali veuillent
exporter leur idéologie hors des frontières maliennes, afin de s’étendre dans
les autres Etats de la région.
La crise malienne est également internationale, car elle pourrait conduire le
pays à devenir un foyer stratégique pour des individus, issus d’autres régions,
partageant la même vision que les salafistes, et voulant répandre leur
philosophie dans les pays voisins, puis au Moyen Orient, en Europe, au Canada et
enfin aux Etats-Unis.
C’est pourquoi la situation du Mali interpelle la communauté internationale car,
je le répète, il s’agit d’une crise nationale, régionale et internationale.
Propos recueillis par Maïmouna Barry, Pierre Cherruau et Afolake Oyinloye
Source:SlateAfrique
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