Après la Libye et la Côte d’Ivoire, la France va s’impliquer dans un nouveau conflit au cœur du Sahel. Attention aux dommages collatéraux.
François Hollande à l'Elysée, octobre 2012. © PATRICK KOVARIK / AFP
Des experts africains, y compris
algériens, européens et onusiens se sont réunis le 30 octobre à Bamako pour
mettre au point le "concept d'opération" d'une intervention armée dans le nord
du Mali occupé par des islamistes armés, une intervention jugée "inévitable" par
le ministre malien de la Défense.
Des représentants de la Communauté économiques des Etats de l'Afrique de l'Ouest
(Cédéao), de l'Union africaine (UA), d'Algérie, de l'Union européenne (UE) et
des Nations unies vont plancher jusqu'à dimanche sur ce plan qui sera présenté à
l'ONU fin novembre.
— Pourquoi la France est-elle en pointe pour intervenir au Nord-Mali?
La France n’est pas seule. Les Européens et les Américains, tout comme les pays
africains voisins, s’inquiètent de la constitution progressive dans le Nord-Mali
d’un sanctuaire islamiste.
Les qualificatifs changent: nouvelle Somalie, Afghanistan africain, Sahélistan.
Mais la réalité est là: des bandes armées islamistes contrôlent une région
grande comme la France, au cœur du Sahel, une région pauvre et instable, située
entre Maghreb et Afrique subsaharienne.
Au sein des Occidentaux, la France a pris les devants en raison de sa
connaissance de la région, tissée depuis plus d’un siècle. Et de forts liens
politiques, économiques, culturels et linguistiques.
De plus, la France est la seule puissance à disposer de forces militaires dans
le voisinage: une implantation militaire à Dakar, au Sénégal, une autre à
Abidjan, en côte d'Ivoire, et des forces spéciales au Burkina Faso.
Elle dispose également de centaines de militaires postés au Tchad et au Gabon.
C’est en conséquence, le seul pays à pouvoir agir rapidement, d’un point de vue
militaire, dans cette région. De plus, Washington ne veut pas ouvrir un nouveau
front en pleine élection présidentielle et laisse son allié français à la
manœuvre, tout en lui offrant une aide logistique.
— Comment la France va-t-elle intervenir?
Paris le répète sur tous les tons: il n’y aura pas de soldats français déployés
au Mali. La France n’interviendra qu’en soutien d’une force ouest-africaine en
voie de constitution. Elle pourrait former des soldats ouest-africains, fournir
des renseignements, effectuer des surveillances aériennes.
Si le ministère français de la Défense martèle qu’il n’y a pas «aujourd’hui de
drones dans la zone sahélienne», il ne s’engage pas pour autant pour l’avenir.
Les Américains utilisent avec succès ce genre de mini-avions sans pilote en
Afghanistan et au Pakistan. Et aussi au Yémen et en Somalie.
Il existe deux types de drones: les appareils de surveillance et les drones
armés, capables de frapper une colonne de djihadistes ou d’éliminer un chef
salafiste. Les Etats-Unis possèdent les deux, mais la France n’aurait pas les
seconds.
Un demi-siècle après les indépendances africaines, l’engagement occidental, et
notamment français, doit de toute façon se faire avec beaucoup de précaution, au
risque de déclencher des réactions violentes chez des militants islamistes
fanatisés.
— Quand aura lieu l’intervention?
Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a créé une certaine
confusion en déclarant à la mi-octobre qu’une intervention armée aurait lieu
«dans quelques semaines». Du coup, la tension est montée d’un cran et la
pression des salafistes sur les otages français s’est encore accrue.
En réalité, une éventuelle intervention ne peut techniquement pas avoir lieu
avant début 2013. Mais le compte à rebours est lancé et les choses s’accélèrent.
Le 12 octobre, le Conseil de sécurité de l’ONU a enfin commencé à bouger en
adoptant une résolution préparant le déploiement de la force ouest-africaine.
Mais aussi et surtout en donnant 45 jours aux pays participants pour préciser
leurs plans et engagements. Aux alentours du 26 novembre, le conseil de sécurité
de l’ONU aura la réponse des Africains et pourra donc voter, au plus tôt en
décembre, une résolution mandatant une force pour reconquérir le Nord-Mali.
Il restera ensuite à régler l’épineux problème du financement de cette force
composée de 3.000 hommes, au moment où une très sévère crise économique frappe
l’Europe et les Etats-Unis.
Le retrait anticipé des Occidentaux d’Afghanistan, notamment des Français,
devrait toutefois dégager des marges de manœuvre, tant d’un point de vue
militaire que financier.
— Qui sont les alliés africains de Paris?
Pour l’instant, on ne se bouscule pas pour aller se battre dans les sables du
septentrion malien…
Le Nigeria, poids-lourd régional, est partant. Bien que très occupé avec ses
propres islamistes dans le Grand Nord (Boko Haram), Abuja espère asseoir son
leadership régional et africain et montrer sa détermination à combattre les
«fous de Dieu» aux côtés de Washington et Paris.
L’armée nigériane est déjà intervenue hors de ses frontières, notamment au
Liberia. Avec des effets souvent désastreux. Elle ne fait pas dans la dentelle
et ses détracteurs ne retiennent souvent que sa brutalité et son manque de
discernement entre civils et militants islamistes.
Comment va-t-elle se comporter au milieu du Sahara dans un environnement qu’elle
ne connaît absolument pas?
L’autre grand allié militaire des Français dans cette opération, c’est le Tchad.
Le président Idriss Déby est solidement vissé au pouvoir depuis plus de deux
décennies et a maté, en 2008, avec l’aide des Français, une rébellion partie du
Soudan voisin qui était arrivée jusqu’au centre de la capitale.
Avec l’argent du pétrole (120.000 barils par jour), il a modernisé son armée,
dotée notamment d’avions et d’hélicoptères d’attaque.
Quelle sera la contrepartie de son aide militaire, s’interrogent les
spécialistes. La démocratie et la situation des droits de l’Homme en
profiteront-ils? Rien n’est moins certain…
Le Burkina Faso et le Sénégal pourraient également envoyer quelques hommes, pour
le symbole. La Côte d’Ivoire hésite: son armée est en pleine restructuration et
la situation intérieure n’est encore guère stabilisée. Mais son absence totale
affaiblirait son leadership régional.
— François Hollande est-il un chef de guerre?
Impliquer militairement son pays dans une opération militaire n’est jamais chose
facile. Surtout en début de mandat. Mais on se souvient que François Mitterrand
s’impliqua au Liban en 1983 et Jacques Chirac à Sarajevo en 1995. Et Nicolas
Sarkozy envoya des renforts en Afghanistan en 2007.
Les adversaires du président Hollande le peignent comme un homme hésitant à
prendre des décisions franches, plus apte à favoriser un improbable consensus
qu’à se prendre pour un Don Quichotte du Sahara.
Mais ils reconnaissent également que celui qui a été affublé du sobriquet de
«flamby» avant son élection pour sa présumée mollesse fait preuve d’une grande
détermination dans le dossier sahélien. Hollande connaît peu l’Afrique, mais il
apprend vite.
Sa première tournée sur le continent, à Dakar et à Kinshasa, s’est passée sans
anicroche. Et il prépare avec minutie pour début décembre une visite décisive en
Algérie, un pays crucial dans la région.
Le président français sait qu’il doit avoir le feu vert d’Alger avant le début
de la «reconquête» du Nord-Mali. Et il espère bien repartir d’Alger avec le
sourire.
Adrien Hart
Source:http://www.slateafrique.com
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