Alors qu'une intervention militaire se
prépare au Nord-Mali, le sort des populations touareg est jugé préoccupant par
les sympathisants du MNLA.
Zakiyatou Oualett Halatine, le 26 octobre 2012 à Paris. Photo Kaourou Magassa
Ancienne ministre malienne du Tourisme et de l'Artisanat sous la présidence
d'Amadou Toumani Touré, Zakiyatou Oualett Halatine est aujourd'hui responsable
de l'Association des Réfugiés et des Victimes de l'Azawad (ARVRA), en
Mauritanie.
Bien qu'elle se défende d'en faire partie, elle ne nie pas sa grande proximité
avec le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), rébellion laïque
qui avait déclaré l'indépendance du Nord-Mali, en avril 2012, avant de s'en
faire évincer par les djihadistes.
Née dans les environs de Tombouctou, elle vit aujourd'hui à Nouakchott en
Mauritanie, après avoir été, selon elle, forcée de quitter le Mali au mois de
février. Une attaque menée contre sa maison dans la ville de Kati, tout près de
Bamako, l'aurait ainsi décidée à fuir le Mali. La peur de représailles
anti-Touaregs l'empêche de retourner au Mali.
De passage en France, elle a accepté de répondre aux questions de SlateAfrique.
«Un génocide, comme au Rwanda»
SlateAfrique - Pensez-vous qu’une intervention militaire
internationale soit une bonne solution pour mettre un terme aux souffrances des
populations dans le nord du Mali?
Zakiyatou Oualett Halatine - De toute façon, il faut déloger les
islamistes. Maintenant, il y a plusieurs façons de le faire et la meilleure
façon est de s’allier aux populations locales, qui connaissent le terrain, qui
savent qui sont les islamistes. Cela ne peut pas se faire sans elles.
Or, l’option prise actuellement me paraît très risquée et peut nous mener vers
un génocide, comme au Rwanda, si elle n’est pas bien maitrisé.
Tout d’abord, l’armée malienne a été complètement chassée du nord, ce qui veut
dire qu’elle n’a pas la capacité de reconquérir le territoire, car si nous
sommes dans ce type de difficultés aujourd’hui, c’est parce que l’Etat a laissé
les choses se déliter et qu'il est tombé comme un château de cartes.
Donc dire à cette armée qu’il faut reconquérir le nord, et qu’on lui en donne
les moyens, je pense que ce n’est pas logique, et qu’en réalité c’est pour aller
faire tuer les populations.
SlateAfrique - Génocide, c’est un mot fort. Vous craignez
un génocide contre les Touaregs?
Z.O.H. - Bien sûr ! Récemment, j'ai vu l’intervention d’une députée de
Bourem (Aïchata Haïdara ndlr): pour elle les ennemis ne sont pas les islamistes.
Bien sûr elle a commencé par dire qu’il fallait les chasser. Mais elle a aussi
déclaré que c'était le MNLA qui était sorti par la petite porte. Or les
instances internationales disent qu’il faut le dialogue, ce dont nous les civils
sommes convaincus.
SlateAfrique - Cela veut dire qu’on peut envisager, à
terme, un retour de l’Azawad dans le Mali?
Z.O.H. - S’il y a la garantie qu’on ne va pas tuer les gens, qu’on va
leur donner une certaine démocratie qui n’est que justice.
Car il faut savoir que l’Etat du Mali, jusqu’au moment où il est tombé, était
complètement miné par la corruption. C’est ce qui a justifié sa défaite en un
clin d’œil, ce qui n’est pas normal pour un Etat. On a vu par expérience que les
accords qui ont été signés entre les rebelles au nord et l'Etat malien sont un
mensonge à la population.
SlateAfrique - Dans quel sens un mensonge?
Z.O.H. - Dans le sens où l’Etat n'a jamais dit aux gens la vérité:
lorsque l’armée allait au nord affronter les rebelles, elle était composée
essentiellement de Touaregs. Et les gens qui mouraient dans les combats étaient
à 90% Touaregs.
Au sud, on donne l’impression aux gens que les soldats qui mouraient n'étaient
que des noirs et que les blancs Touaregs les tuaient. C’est ce qui a causé le
fait que des Touaregs aient été pillés à Bamako.
Des choses très graves se sont passées, et si on amène des gens à une telle
haine et que personne ne réagit, c’est encore plus grave.
L’Etat peut aller se faire voir, excusez-moi du terme, mais il ne va pas me
retourner contre mes parents, et mes amis. Car il se trouve qu’il y a des liens
de mariages, il y a toute sorte de choses entre le sud et le nord.
Le MNLA tenu pour responsable de la crise
SlateAfrique - Vous parlez beaucoup de différences
ethniques entre les populations, mais est-ce que la différence n'est pas plutôt
entre les partisans de l'Etat et les rebelles?
Z.O.H. - J’aurais voulu que ce soit comme ça, mais malheureusement, en
représailles, c’est les Touaregs qu’on tue aujourd'hui. Cela veut dire que les
gens ont perçu la rébellion comme une attaque des Touaregs contre eux, et c’est
ça qui est très grave.
Par exemple, avant le coup d'Etat, le jour où les femmes de militaires ont
protesté contre le sort de leurs maris militaires et sont allées voir le
président de la République (à l’époque Amadou Toumani Touré), il aurait pu leur
dire: « mesdames épouses de militaires, parmi les soldats maliens qui meurent,
il y a aussi des Touaregs, la majorité même sont des Touaregs». Cela aurait
calmé les gens qui étaient énervés contre les Touaregs à Bamako.
SlateAfrique - Avez-vous l’impression que les Touaregs
servent toujours de boucs émissaires?
Z.O.H. - Exactement. Et cette situation dans laqeulle se trouve le pays
découle directement de tous les coups d'Etat qu'il a subi. Chacun veut régler
ses comptes avec l’autre sans avoir à l’expliquer. Donc on dit aux gens «c'est
le nord, le nord, le nord ».
Selon moi, il faut d’abord régler le problème du sud, il faut le faire émerger,
il faut en parler et en discuter. Quand vous voyez qu'au sein même de l'armée,
les bérets rouges et les bérets verts se sont entretués, parce que certains
étaient partisans du président ATT et que d'autres voulaient le renverser...
combien de personnes sont mortes à Bamako ? Personne ne le sait aujourd’hui.
Combien de personnes ont été emprisonnées ?
On sait en plus dans quelle misère vivent les familles à Bamako. Mais le pouvoir
a préféré faire l’impasse sur ces questions, pour aller traiter un problème qui
aurait dû être réglé par voie de négociation. Et on a fait de la surenchère pour
contourner les vrais problèmes.
SlateAfrique - Ne pensez-vous pas que lorsque le MNLA a
fait acte de séparation, cela a amplifié les problèmes du Mali?
Z.O.H. - Non, cela n’a rien ajouté, absolument rien. C’est justement des
fausses idées comme celles-ci qui font qu’on ne se retrouve plus.
C’est vraiment de la propagande. Moi j’ai servi mon pays cinquante ans, je suis
née au Mali, donc je crois que je lui dois la vérité.
SlateAfrique - Beaucoup d’observateurs ont toutefois mis
en avant le rôle du MNLA dans la crise...
Z.O.H. - Ce qui a provoqué la crise, ce sont douze ans de mauvaise
gestion, douze ans de corruption, douze ans de présence islamiste et de
narcotrafiquants au nord du Mali. Mais personne n'a rien fait, car il y avait
beaucoup d'argent en jeu.
Tous les moyens étaient bons: des caisses d'argent tombaient du kidnapping des
otages. On ne sait pas qui en bénéficiait, disons les choses clairement. Après,
pour masquer la corruption, il est facile de trouver des boucs émissaires.
Propos recueillis par Pierre Cherruau, Kaourou Magassa et Ambroise
Védrines
Source:http://www.slateafrique.com
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