Alors que les réserves de pétrole tarissent, l'Algérie n'a pas de véritable stratégie pour l'avenir.
Puits de pétrole à Hassi Messaoud. AFP
Si l’Algérie est riche grâce à ses ressources naturelles, elle n’en demeure pas
moins pauvre dans leur gestion.
Quinzième producteur mondial de pétrole—troisième en Afrique (derrière la Libye
et le Nigeria)— et dixième producteur de gaz naturel —deuxième en Afrique—,
l’Algérie, 50 ans après son indépendance, reste prisonnière d’une économie de
rente.
Ainsi, 97% de ses entrées en devises proviennent de l’exportation des
hydrocarbures. Le pays dépend donc aujourd’hui et plus que jamais, pour son
fonctionnement, de l’étranger: il importe quasiment tout, des produits
manufacturés en passant par les services, jusqu’aux dérivés de pétrole (sic!).
Pis encore. Ironie de l’histoire, l’Algérie qui, autrefois, était le grenier de
l’Europe, est désormais obligée de se tourner vers les marchés internationaux
pour faire ses emplettes alimentaires; parfois au prix fort (l’Algérie est le
premier pays importateur de blé au monde).
Une gestion d’épicerie
Comment est gérée la manne? Pour schématiser, on dira que l'Algérie vend son
pétrole et son gaz, encaisse l'argent, distribue une partie au «peuple», à coup
de plans quinquennaux d’investissement public, pour entretenir un semblant de
paix sociale.
Beaucoup de cet d’argent se volatilise dans de sombres affaires de corruption et
de détournements en tout genre avant d’arriver aux destinataires.
Le reste sert à maintenir le pays dans le statu quo politiquo-économique et
prolonger la survie du régime. Cette vision à court terme est évidemment sans
avenir et atteint ses limites dans un contexte mondial et régional en
ébullition.
L’hiver dernier, une partie de la population algérienne a subi dans sa chair les
contrecoups de cette politique d’épicier.
Une pénurie de gaz butane avait provoqué l’ire de beaucoup de foyers algériens,
qui ne pouvaient se procurer ce combustible pour faire face au froid,
particulièrement dans les régions isolées du pays.
Des images montraient d’interminables files d’attente aux stations-service où
les bonbonnes de gaz butane étaient distribuées au compte-gouttes.
L’hiver passe, un autre disfonctionnement pourrit la vie de millions d’Algériens
au mois de ramadan: les délestages électriques en pleine canicule.
A qui la faute? Evidemment, les responsables du secteur ont trouvé la parade
pour expliquer ces tristes évènements: selon eux, ce serait Mère Nature qui,
sans (les) prévenir, a décidé que l’hiver soit un peu plus froid que d’habitude
et le thermomètre un peu plus élevé en été. En résumé, c’est la faute aux
changements climatiques. La belle excuse!
Pour le consultant international Hocine Malti, ancien vice-président de
Sonatrach (1972-1975) et auteur de «L’histoire secrète du pétrole algérien»:
«Le secteur est géré au jour le jour. On ne fait que répondre aux urgences,
telles que la pénurie de gaz butane, la saturation des raffineries (L’Algérie va
importer 120.000 tonnes d’essence en 2012, ndlr)… C’est une gestion
catastrophique. Il n’y a pas de stratégies d’avenir.»
Concernant justement la pénurie d'essence, le spécialiste pointe encore une fois
la mauvaise gestion: les responsables auraient dû anticiper «il y a quelques
années ce problème et programmer la mise en place de nouvelles raffineries.
Maintenant que la pénurie est là, l’importation d’essence va se poursuivre, au
moins, 5 à 6 années, parce qu’une raffinerie ne se construit pas du jour au
lendemain. Il faudra 5 à 10 ans à l’Algérie pour rattraper son retard», constate
Malti.
Le début de la fin des hydrocarbures?
La multiplication des conflits dans les pays riches en ressources naturelles
(Afrique, Moyen-Orient), et les guerres larvées entre plusieurs puissances
mondiales (USA, Russie, Chine…), pour le contrôle des dernières ressources
d’hydrocarbures dans le monde, confortent les prévisions des spécialistes qui
annoncent depuis la fin des années 70, la raréfaction des énergies fossiles,
notamment l’or noir, dont le pic de production a déjà été atteint aux Etats-Unis
et en Arabie Saoudite.
Bien entendu, cette angoisse s’est saisie de l’Algérie. La question est de
savoir de combien de temps dispose le pays avant le tarissement de ses puîts.
Deux visions s’affrontent.
D’un côté, il y a des spécialistes comme l’économiste Abderrahmane Mebtoul, qui
lui donnent au mieux 25 ans d’exploitation:
«Tenant compte de l’évolution des coûts croissants, des nouvelles mutations
énergétiques mondiales et de la concurrence de nouveaux producteurs, des
exportations et de la forte consommation intérieure induits par les 20 milliards
d’euros de nouveaux investissements dans le doublement des capacités des
centrales électriques, l’Algérie sera importatrice de pétrole dans 15/16 ans et
de gaz conventionnel dans 25 ans. D’où l’importance, dès maintenant, de prévoir
d’autres sources d’énergie pour l’Algérie.»
A quelques détails près, ce constat est corroboré par l’Opep (Organisation des
pays exportateurs de pétrole) qui confirme dans son dernier rapport statistique
annuel, «le déclin sur les différents segments de la filière hydrocarbures en
Algérie».
En effet, le rapport estime les réserves prouvées de gaz à 4.504 milliards de
mètres cube. Ce qui donne, pour l’Algérie, dans les meilleurs des cas, un ratio
réserves-production de 57,7 années.
Mais si l’on prend en compte les prévisions de la Commission de régulation de
l’électricité et du gaz (CREG), qui incluent une forte demande interne de gaz
naturel (augmentation de 5 % par an) servant à faire tourner les centrales
électriques, ledit ratio sera revu à la baisse.
Même scénario pour le pétrole. Cela fait une dizaine d'années que le grand
gisement de Hassi Messaoud (800 km au sud d'Alger) montre des signes de
faiblesse. L’Opep évaluait, en 2001, les réserves de l’Algérie à 12,2 milliards
de barils.
La production journalière ayant été d’environ 1,2 million de barils par jour en
moyenne pour 2011, le ratio réserves-production était de 19,3 ans.
Or, comme pour le gaz naturel, ces estimations n’incluent pas l’augmentation de
la consommation nationale, tirée vers le haut par le développement spectaculaire
du parc automobile en Algérie et la voracité des centrales électriques qui
fonctionnent au diesel. (On prévoit la construction d’une vingtaine de nouvelles
centrales dans le sud pour répondre à la forte demande en électricité).
Si, il y en a plus, on creuse encore!
Certes, le gouvernement a reconnu, à demi-voix, que l’échéance de la fin des
réserves prouvées d’hydrocarbures approche. Mais, se voulant rassurant, il a
annoncé des solutions non conventionnelles de rechange.
En effet, outre l’ouverture des mines à charbon envisagée par Youcef Yousefi, le
ministre de l’Energie, le PDG de Sonatrach M. Abdelhamid Zerguine a déclaré
récemment qu’une étude menée conjointement avec des partenaires de l’Algérie sur
une superficie de 180.000 kilomètres a révélé un potentiel de réserves
avoisinant les 600 trillions de mètres cubes de gaz de schiste.
«Si ces réserves se confirment, elles représenteraient 4 fois nos réserves
actuelles, c'est vous dire avec bonheur que notre domaine minier n'a pas encore
dit son dernier mot», s’est enthousiasmé le patron de Sonatrach.
Ces déclarations irritent Hocine Malti par leurs approximations:
«Ce ne sont que des élucubrations… Il est impossible de savoir ce que recèle
comme richesse une superficie de 180.000 km2 sur la base de 3 ou 4 forages. Cela
ne veut absolument rien dire. Cela peut être exact comme cela peut être
complètement faux.»
Levée de bouclier chez les écologistes
Le nouveau projet de loi sur les hydrocarbures, attendu depuis 2 ans, sera
bientôt soumis à l’appréciation du Parlement algérien, fraîchement «élu». Autant
dire, que la loi passera comme une lettre à la poste; car l’APN (Assemblée
Populaire Nationale), connue pour être une caisse de résonance des décisions du
pouvoir, se contente de jouer son rôle de figurant dans une crypto-dictature.
Nouveauté: selon certaines sources, cette nouvelle loi ouvrirait la voie à la
Sonatrach pour l’exploitation, à court terme (on parle de dix ans) du gaz de
schiste. Or, si le gouvernement a l’habitude de se passer de l’avis de la
société civile quand il s’agit de gérer des richesses du sous-sol algérien,
cette fois, une résistance s’organise pour tenter de le faire reculer sur le
dossier du gaz de schiste.
Et pour cause: énergie extrêmement polluante, gourmande en eau, l’extraction du
gaz de schiste reste une technologie encore non maîtrisée et très coûteuse. Ce
que confirme Hocine Malti:
«Je suis complètement contre l’exploitation du gaz de schiste, pour plusieurs
raisons. D’abord ne nous maîtrisons la technologie, deuxièmement ce sont des
investissements très lourds et troisièment c’est une industrie très polluante».
Ainsi, les militants anti-gaz de schiste, très actifs sur les réseaux sociaux,
viennent de créer le Collectif National pour les Libertés Citoyennes. Pour
mobiliser l’opinion publique, des débats sont animés dans la capitale par des
universitaires et des spécialistes sur les conséquences écologiques d’une telle
industrie.
Parmi les autres revendications de ce collectif, c’est l’implication des
citoyens algériens dans les décisions qui concernent l’avenir du pays.
Autrement dit, il est demandé au gouvernement plus de transparence dans la
gestion des affaires du pays, notamment celles inhérentes à la gestion des
hydrocarbures, via la réactivation du Conseil Supérieur de l’Energie.
Le ver est dans le fruit
Alors que le nouveau projet de loi n’a pas encore été présenté à l’APN, le
quotidien Le Soir d’Algérie, citant «des sources bien informées», a révélé que
le gouvernement algérien a d’ores et déjà donné son feu vert à BP pour procéder
à des forages dans le bassin d’Illizi pour l’extraction du gaz de schiste.
«Tout est fin prêt pour entamer les forages, mais la compagnie britannique
préfère attendre l’adoption du projet d’amendement de la loi sur les
hydrocarbures afin de bénéficier des avantages fiscaux contenus dans ce texte
pour les sociétés qui investissent dans les gaz de schiste», ajoute le
quotidien.
Si cette information se confirme, cela ferait de l’Algérie le premier pays
laboratoire où sera expérimentée à une échelle industrielle l’exploitation du
gaz du schiste. Et tant pis pour les dégâts écologiques sur le Grand Sud
algérien!
L’alternative des énergies renouvelables
Quand on s’intéresse à la question des énergies renouvelables en Algérie, on
constate que le pays dispose des ressources aussi bien financières (plus de 190
milliards de dollars de réserves de change) que technologique et humaines qui
lui permettent de développer ce secteur. Mais on se rend vite compte, qu’il lui
manque l’essentiel: la volonté politique.
Tant que le pétrole coule, la politique de la rente empêchera l’Algérie de
s’intéresser à l’exploration d’autres sources d’énergie possible. L’énergie
solaire en est une.
«Le Sahara compte 1,5 million de kilomètres carrés, il suffirait d’une surface
de 30 kilomètres carrés, plantée de panneaux solaires pour satisfaire la
consommation nationale en électricité», écrit l’expert en énergie, l’ingénieur
Yassine Mrabet.
Mieux encore:
«Des champs de capteurs solaires cylindro-paraboliques implantés sur 1/20e de la
surface du Sahara suffiraient pour couvrir la consommation mondiale
d’électricité qui est d’environ 18.000 Twh/an (18.000.000 Gwh/an)», estime-t-il.
Ce formidable potentiel solaire de l’Algérie n’a pas échappé à l’Allemand Paul
Van Son, qui porte depuis quelques années le projet «Desertec».
Celui-ci consiste à réaliser un partenariat entre l’Europe et le Maghreb dans le
but d’assurer l’autosuffisance en électricité des deux continents à travers le
procédé déjà éprouvé des centrales thermo-solaires.
Ce projet a fait couler beaucoup d’encre dans la presse algérienne, quand le
gouvernement a daigné s’y intéresser, pour sitôt l’enterrer. Le voisin marocain,
en revanche, y souscrit dans les faits.
Ce pays va accueillir la première centrale thermo-solaire pilote de Desertec. De
plus, le royaume chérifien va se doter de cinq nouvelles centrales électriques
combinant énergie solaire et gaz naturel.
Un tel gâchis pour l’Algérie ne peut être que l’œuvre d’un pouvoir nombriliste
qui confond encore la notion de bien commun avec celle d’intérêts de castes.
Fayçal Anseur
Source: http://www.slateafrique.com
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