Le plus grand projet
minier de l’histoire de Madagascar vient d’être lancé. Ambatovy est annoncé
comme devant apporter la prospérité sur la Grande île. Mais, les populations
crient à la malédiction.
Extraction de saphyr à Didy, juin 2012. ©ANDREEA CAMPEANU / AFP
Nous sommes le 5 octobre 2012. A
Tamatave, ville côtière de l’est de Madagascar, Andry Rajoelina, le président
malgache de transition, pose aux côtés de Mark Plamondon, le directeur du plus
important projet minier malgache.
Face aux caméras et aux notables venus nombreux, les deux hommes sont tout
sourires. Il y a de quoi. Dans un pays en grave crise politique et économique,
depuis trois ans, ils lancent le projet minier Ambatovy, le plus grand de
l’histoire de Madagascar.
Ambatovy, un nom synonyme de gigantisme. Il pèse plus de 4 milliards d’euros
d’investissements, représente cinq ans de travaux et de négociations, au moins
vingt-neuf ans d’exploitation.
Chaque année, 60.000 tonnes de nickel et 5.600 tonnes de cobalt seront extraits
de la mine de Moramanga, au centre du pays. Elles traverseront 220 kilomètres de
forêts en direction de l’usine de Tamatave, puis de l’océan Indien.
Cap enfin sur les juteux marchés asiatiques, la Chine en particulier. Quelques
mois plus tard, le nickel malgache sera composant électronique ou coin
américain. Il deviendra alors le premier produit exporté de Madagascar. Loin
devant la célèbre vanille.
«Ambatovy va changer la donne à Madagascar!»
Pour l’Etat malgache, Ambatovy, c’est une manne de plus de 38 millions d’euros
par an. Sans compter les quelque 20 millions d'euros gracieusement offerts au
gouvernement par l’usine en charge du projet.
Un cadeau âprement négocié qui ces prochains mois devrait se transformer en
routes, écoles ou hôpitaux, de milliers d'emplois censés être créés. Pour
Daniella Randriafeno, la ministre des Mines malgache, le projet Ambatovy va
changer la donne à Madagascar:
«Ambatovy, c’est l’assurance d’un développement économique et social. La
concrétisation d’années d’efforts politiques pour développer le secteur
minier. Une chance pour le pays.»
Pas tout à fait faux… Pas complètement vrai non plus. Ainsi, dans son dernier
rapport daté de la fin octobre, la Banque mondiale nuance:
«Le PIB malgache devrait connaître une croissance plus forte dès cette année,
reflétant le démarrage du projet Ambatovy. Néanmoins, il ne devrait pas y avoir
d’effets favorables à court et moyen terme sur l’emploi et les conditions de vie
des ménages.»
Autrement dit, si en ces temps de crise, Ambatovy est une aubaine pour l’Etat
malgache, il n’est pas certain qu’il le soit pour les Malgaches.
«Seuls les bœufs étaient heureux»
De cela, Andrianasolo est persuadé. L'homme a 62 ans dont quarante passés dans
l'agriculture. Au milieu de ses 700 pieds de litchis et de ses dizaines de
ruches, la vie était plutôt douce. A la maison, il y avait de quoi manger, et
même parfois de quoi se faire plaisir. «Un long fleuve tranquille», se
disait-il, jusqu’en 2007.
Il y a cinq ans, Ambatovy installe son usine à moins de dix kilomètres de chez
lui.
«Un mois plus tard, toutes mes abeilles étaient mortes, raconte-t-il. Chaque
matin, ce ne sont pas des dizaines, pas des centaines, mais des milliers de
cadavres que je retrouvais devant les ruches. Puis mes litchis ont, à leur tour,
rendu l’âme. Je n’ai plus rien aujourd’hui.»
Une histoire comme celle-là, Jean-Louis Bérard dit en avoir 1.386 à raconter. 1
386 comme le nombre de membres de son association d’agriculteurs et
d’apiculteurs, FMMT (Fikambanan'ny Mpamboly sy Mpiompy Tantely).
Tous vivent dans un rayon de 30 kilomètres autour de l’usine de Tamatave et
affirment posséder 25 kilos de dossiers contre l’entreprise. Dans leur ligne de
mire, l’utilisation de deux insecticides. Des produits qui, selon eux, n’ont pas
seulement tué les moustiques.
«Il n’y avait même plus de mouches, seuls les bœufs étaient heureux, eux qui
n’avaient plus à bouger la queue», philosophe Jean-Louis Bérard.
Mais le sort fut le même pour les abeilles:
«Et plus d’abeille, plus de pollinisation, poursuit le monsieur. Plus de
pollinisation, plus d’arbres fruitiers. Résultats: des agriculteurs ruinés.»
Rumeurs, fantasmes ou vérités
Sauf que, aujourd’hui, rien n’est démontré.
«La disparition des abeilles est un phénomène mondial, rappelle la ministre des
Mines. Madagascar peut, comme d’autres, être touchée. Contrairement à certaines
apparences, nous ne vivons pas dans une autre galaxie.»
Du côté d’Ambatovy, le ton est moins assuré, même plutôt embarrassé.
«C’est la varroase, cette maladie des insectes qui a frappé», se rappelle-t-on
tout à coup.
Mais rien n’y fait: Andrianasolo l’agriculteur en est persuadé, Ambatovy l’a
détroussé.
«Je n’ai plus rien. Que vais-je faire? Où vais-je partir? Je n’ai nulle part
ailleurs où m’installer.»
Ainsi, près de la mine de Moramanga et de l’usine de Tamatave, les rumeurs sur
les dégâts du géant minier se comptent par dizaines. Certains parlent d'enfants
empoisonnés et de poissons noyés, d’autres, de terres confisquées.
Fantasmes ou réalité? Les craintes, en tout cas, ont de quoi être fondées. Il y
a par exemple cet accident en février 2102. Cette fuite de dioxyde de soufre qui
a intoxiqué une soixantaine de personnes.
Finalement, plus de peur que de mal pour les habitants. L’image d’Ambatovy,
elle, s’en est trouvée sérieusement écornée. Dans un pays où les ressources
naturelles sont exceptionnelles et souvent endémiques, il y a encore ces
dizaines de kilomètres de forêts abattus près de la mine et sur le tracé du
pipeline.
L’entreprise promet avoir évité les écosystèmes les plus fragiles, avoir
replanté les arbres déracinés.
«Mais quand ces écosystèmes millénaires seront-ils reconstitués», questionnent
plusieurs organisations environnementales. Le seront-ils seulement un jour?
Peurs environnementales
Car, alors que l’entreprise vient d’entamer sa production, c’est bien la peur de
l’avenir qui, désormais, domine dans ces régions de l’est de Madagascar. Que
vont devenir les fleuves et rivières?
Le Collectif pour la défense des terres malgaches assure que certains, comme le
fleuve Ranomainty, sont déjà gravement pollués. Que vont devenir les milliers de
déchets toxiques entreposés à l’air libre? Ils mettraient des milliers d’années
à se désagréger. Et, concernant l’air même de Tamatave, premier port du pays?
Des habitants y évoquent une forte odeur de soufre.
Face aux nombreuses questions, les réponses sont aujourd’hui rares, mais les
préoccupations réelles. En témoigne cette caution environnementale imposée à
Ambatovy par le gouvernement: un peu plus de 38 millions d’euros sont désormais
disponibles, en cas de dégâts.
Une sorte de contrat de bonne conduite auquel le géant semblait ne pas pouvoir
déroger. C’est à ce prix-là qu’avec du retard, son permis d’opérer lui a été
accordé. Et la menace étatique continue, théoriquement, à planer: l’autorisation
n’est que de six mois renouvelables. Officiellement, du moins. Officieusement,
de nombreuses sources assurent qu’elle s'étendraient bien sur vingt-neuf années.
«Nous, travailleurs, ne sommes jamais protégés»
Des risques sanitaires et environnementaux, ces travailleurs du port de l’est
n’ont que faire. Pourtant, pour eux aussi, l’entreprise est devenue un ennemi.
Employés pour construire l’usine, ils ont ensuite été remerciés.
«Ambatovy nous avait promis d’autres emplois lors de l’exploitation du site,
mais nous n’avons rien eu», dénonce Hery Rakotomalala, le porte-parole de leur
toute jeune association.
«Tsy misy miaka aketo niany», c’est le nom qu’ils lui ont choisi. Traduisez:
Nous restons ici, nous continuerons à lutter. Une mise en garde qui s’adresse
aussi bien au géant minier qu’à l’Etat. Hery Rakotomanala conclut en effet:
«Nous, travailleurs, ne sommes jamais protégés.»
«Bâtir» pour la Grande île
Ambatovy est bien un sujet politique.
«Nous sommes des bâtisseurs et je bâtis pour Madagascar», proclamait ainsi Andry
Rajoelina, devant l’usine de Tamatave.
Privé de la majorité des financements internationaux, le président de transition
ne peut en effet que se réjouir des millions d’euros de dons du géant minier.
Mais à six mois de l'élection présidentielle, cela fait bondir ses opposants.
Les proches de Marc Ravalomanana dénoncent une instrumentalisation à des fins
électorales, ne manquant de rappeler que l’ancien président est l’initiateur de
cet immense projet.
Là sans doute, réside le drame de Madagascar. Dans ces haines politiques, qui
depuis 40 ans n’ont fait qu’appauvrir sa population. Alors à qui profitera
Ambatovy? Si cette fois, ça n’est pas seulement aux dirigeants et aux
multinationales, nickel et cobalt éclaireront peut-être un peu l’avenir de la
Grande île.
Anna Sylvestre
Source:slateafrique.com
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