Alain Ruscio. Historien : «Une
déclaration du président Hollande serait du plus grand intérêt pour la relation
franco-algérienne»
Alain Ruscio
Alain Ruscio, historien du colonialisme,
chercheur indépendant, a consacré l’essentiel de son travail, dans un premier
temps, à l’Indochine coloniale. Il dirige un Centre d’information et de
documentation (CID) sur le Vietnam contemporain. Depuis quelques années, Alain
Ruscio a diversifié ses travaux, notamment sur ce qu’il est convenu d’appeler le
«regard colonial». Il a récemment coordonné un travail collectif, «Histoire de
la colonisation : réhabilitations, falsifications et instrumentalisations».
Dernier ouvrage paru Y’a bon les colonies ? (éditions Le temps des cerises,
février 2011).
-Le président Hollande vous semble-t-il déterminé à
avancer sur la question de la reconnaissance du passé colonial de la France en
Algérie ?
Le parti socialiste a un passé controversé sur la question algérienne, en
particulier avec la guerre d’Algérie. Toutefois, l’élection de François Hollande
a été accueillie avec beaucoup de satisfaction par la majorité de l’opinion
française, parce que Nicolas Sarkozy était entouré de nostalgiques, voire de
militants de la nostalgie Algérie française. Toute cette aile droite de l’UMP
qui a une proximité avec le Front national était aux commandes du pays. J’ai été
sensible à la présence de François Hollande sur le pont de Clichy le 17 octobre
2011, alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle pour rendre hommage
aux victimes de la répression du 17 Octobre 1961.
Lorsqu’il a fait, cette fois comme président de la République, sa déclaration
sur le 17 Octobre, nous avons été un certain nombre à estimer que c’était un pas
en avant avec un regret que le président Hollande n’ait pas employé
l’expression de crime d’Etat. Le terme de crime est évident, le crime du 17
Octobre 1961 a été le plus grand massacre de personnes depuis la Commune de
Paris. Et il y a eu responsabilité de l’Etat puisqu’on sait aujourd’hui que
c’est un Conseil interministériel sous la direction du Premier ministre Michel
Debré, et pas seulement Maurice Papon (préfet de police de Paris) qui a décidé
de la répression de la manifestation des Algériens de Paris.
-La déclaration du président Hollande est de bon augure
pour la suite ?
Les relations franco-algériennes partent de tellement bas qu’il ne peut y
avoir qu’amélioration à la faveur du voyage du président Hollande en Algérie
dans le domaine mémoriel en particulier. Quelques phrases du président Hollande
seraient du plus grand intérêt et je pense que le président Hollande les
prononcera, parce que les gens qui sont dans son entourage savent quelle
importance cela a pour le peuple algérien. Je fais partie des personnes qui ne
partagent pas la notion de «repentance», parce qu’il y a eu plusieurs France.
Mais puisque le président élu la représente, il devrait dire, à mon avis, que la
France officielle doit regarder son passé colonial en face, qu’elle a mené une
guerre qui a été hors de toute raison humaine, qu’elle a semé des ruines et des
deuils sur tout le territoire algérien, c’était vrai aussi au Vietnam, à
Madagascar et dans une moindre mesure au Maroc et en Tunisie. Ce serait un geste
envers un pays ami comme l’Algérie, ce serait un geste fort envers la vérité et
aussi un geste envers le peuple français et sa composante franco-maghrébine.
-Pourquoi cette reconnaissance est-elle si difficile à
réaliser ?
Pour répondre à cette question, il faut s’appuyer sur l’analyse de ce
qu’étaient les piliers de la pensée coloniale. La pensée coloniale était basée
sur la notion de hiérarchie des races, des civilisations et des cultures. Il y a
un décalage me semble-t-il dans l’évolution de l’esprit des Français entre
l’effondrement du système tel qu’il était à son apogée et à sa fin, et
l’évolution dans les têtes. Il y a encore beaucoup de Français et d’hommes
politiques qui sont dans la situation de penser, non plus qu’il y a d’un côté la
civilisation et de l’autre la barbarie, mais que notre civilisation est plus
tolérante, plus humaine, plus humaniste que les autres. L’autre aspect c’est que
la France, là aussi, a avec le monde arabo-berbère en Afrique du Nord et plus
encore en Algérie, une spécificité qui concerne le racisme anti-maghrébin, plus
anti-algérien. C’est le racisme le plus ancré en France et qui agit.
Il convient de noter que ce racisme anti-arabe et anti-maghrébin est plus ancien
que la guerre d’Algérie, les premiers textes assimilant barbarie et monde
musulman datent des croisades. Tous ces préjugés se sont, génération après
génération, ancrés dans les esprits et donc le refus officiel de la France est
un peu le reflet de tout ce magma. En 1993 le président Mitterand, en visite au
Vietnam, a, dans une déclaration officielle, affirmé que la guerre d’Indochine a
été une erreur. C’est une reconnaissance de fait. Ce que j’attendrai du
président Hollande c’est qu’il dise que la guerre d’Algérie était sans
fondement, qu’elle n’a fait que des victimes, mis à part les grands colons qui
ont quitté l’Algérie.
Même si on s’en tenait à la fourchette la plus basse de victimes civiles
algériennes avancée par certains historiens (400 000 à 450 000 victimes, en
dessous du chiffre officiel algérien) c’est une saignée humaine qui est
comparable à celle de la Première Guerre mondiale. Les victimes de la Première
Guerre mondiale étaient des soldats, or dans la guerre d’Algérie, il y a eu des
centaines de milliers de victimes civiles. Dans une moindre mesure les appelés
français qui n’avaient rien à faire en Algérie et qui y ont été à contrecœur en
ont souffert, soit par la mort, soit par des blessures, soit par le choc
psychologue. Et si la population pied-noir n’avait pas suivi, dans sa majorité,
jusqu’au bout l’OAS, une cohabitation dans une Algérie indépendante aurait pu
être imaginable. C’est une guerre qui a été détestable pour tout le monde.
Toutes les politiques de guerre en Algérie de Mendès France à Michel Debré ont
été désastreuses également pour la société française.
-Qui sont les nostalgiques de l’Algérie française ? Que
représentent-ils réellement en termes d’influence, de représentativité ?
Certains sondages faits auprès des anciens européens d’Algérie montrent qu’ils
votent plus à droite et à l’extrême droite que la moyenne des Français mais ce
n’est pas un raz-de-marée. Il y a un groupe de pression très minoritaire mais
très actif qui continue à entretenir la haine. C’est une génération qui va
mourir dans quelques années sans avoir rien compris à son malheur et qui
continue à répéter la sempiternelle rengaine «ce pays était à nous» sans
comprendre qu’un peu d’acceptation, de partage, le refus du racisme et du
mépris, auraient pu non pas sauver le colonialisme -il était condamné- mais en
tous les cas préserver une cohabitation future dans une Algérie indépendante.
Ces gens-là ne l’ont pas compris. Ils sont très actifs à travers les sites
internet, à travers les manifestations mémorielles, bien qu’étant
minoritaires, ils réussissent toujours à faire masse autour de leurs thèmes. Je
constate qu’ils transmettent aux générations qui suivent leur rancœur et leur
nostalgie du paradis perdu. Et si ces jeunes n’ont pas l’esprit critique, s’ils
écoutent ce que disent leurs parents, s’ils ne lisent que cette littérature, ils
vont croire à la légende dorée de l’ «Algérie heureuse».
-Ils ont des soutiens et des relais politiques…
Ce lobby pro-OAS ou pro-Algérie française a su surfer sur la droitisation de la
politique française, mais également placé des pions un peu partout. Mme Tabarot
(choisie par Jean-François Copé comme secrétaire générale de l’UMP, (ndlr)
contribution de Alain Ruscio dans El Watan du 22 novembre 2012) est un exemple
éclatant. M. Tabarot père, quand il est revenu en France, en 1962, n’avait
qu’une seule idée, prendre sa revanche politique sur le gaullisme, sur la
société française. Ces gens-là sont dans un état d’esprit de guerre ouverte, de
guerre des mémoires.
Avec la loi du 23 février 2005, ils ont fait un travail de fourmis auprès d’élus
et de personnalités politiques pour réhabiliter le colonialisme. Si des gens de
gauche et de progrès ont répliqué, c’est qu’ils se sont estimés en situation de
légitime défense tellement il y avait une distorsion de la réalité. Il fallait
répliquer et rétablir les choses.
Source:http://www.elwatan.com
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