17122012
A chaque président français qui visite l’Algérie, une ville de choix et un choix
de symboles. Oran pour Chirac, Constantine pour Sarkozy et, enfin, Tlemcen pour
Hollande. En voici les raisons.
Les visites des présidents français se suivent et se ressemblent. A lire et
relire le maigre programme distribué aux journalistes algériens, on a
l’impression d'un remake à petit budget.
Le président français arrive, est reçu par Abdelaziz Bouteflika, déjeune en
officiel, rencontre les gens de la Chambre algéro-française de commerce,
s’adresse aux députés algériens puis choisit une seconde ville pour un bain de
foule et un discours face aux étudiants de l’université locale.
Jacques Chirac l’a fait pour Oran, Nicolas Sarkozy pour Constantine et François
Hollande va le faire pour Tlemcen, à l’extrême-Ouest de l’Algérie. A chaque
choix donc, une symbolique aux yeux des Algériens des cafés maures et de la
décolonisation qui s’ennuient.
Résumons, par la mauvaise langue. Jacques Chirac a choisi Oran (capitale de
l’ouest algérien, seconde ville économique après Alger) parce que le voyage aux
origines était payé par son Etat.
Autant profiter de ce que les pieds noirs vieillissants ou leurs descendants
hésitants payent en euros pour marcher sur les traces d’avant l’indépendance
algérienne.
Oran, la ville «peu révolutionnaire»
Oran
A Oran, le tourisme pied-noir est discret mais il est important. On peut encore croiser ces groupes de français vieux et silencieux dans les rues d’Oran, muets comme le furent les arabes de Camus dans L’Etranger.
Chirac avait choisi Oran parce qu’il y avait fait son service militaire, à
partir d'avril 56. En pleine guerre. Oran reste aussi la région où la
colonisation française a été la plus heureuse, selon le mythe. Où la guerre a
été la moins violente et l’indépendance la plus déchirante.
Après l’indépendance algérienne, la région d’Oran est même frappée par le sceau
d’une discrète infamie: elle est vue et qualifiée comme peu «révolutionnaire» et
d’avoir été presque tiède lors de la guerre de libération.
Ses élites politiques en gardent un complexe de culpabilité, jusqu’à
aujourd’hui. Et pourtant c’est à Oran que les chefs historiques du FLN (Front de
libération nationale) ont réalisé, en mars 1949, le premier cambriolage: le vol
de la poste centrale qui rapporta, selon l’histoire, le premier trésor de guerre
du FLN, estimé à plus de 3 millions de francs.
Autres temps, autre ville. Décembre 2007, Nicolas Sarkozy est en Algérie, lui
aussi. Rencontre Bouteflika, les hommes d’affaires, dine puis s’en va vers la
ville de son choix:
Constantine, à 431 kilomètres d’Alger, dans le nord-est
Constantine
Le choix est vite interprété en Algérie, par certains, comme un clin d’œil
appuyé à la communauté supposée favorite de Sarkozy: la communauté juive. Le
premier qui lancera la bombe sera le ministre algérien des vétérans de guerre.
Du coup, un jeune étudiant se chargera de reprendre la formule à Constantine en
brandissant une pancarte frappée d'étoiles de David et portant l'inscription
«Algérie algérienne et arabe. Sarko... quelles sont tes origines? Sarko pourquoi
vous êtes raciste?»
Il sera arrêté et condamné à 500 euros d’amendes pour outrage à Nicolas Sarkozy.
A Constantine, un discours sera, là aussi, prononcé devant les étudiants de
l’université de la ville. On y parlera d’avenir commun, de morts communs, etc.
Constantine, c’est donc un choix de sens, selon les Algériens: la colonisation a
été un crime français, mais aussi algérien envers ses communautés, juives
surtout, semblait dire la visite et le visiteur.
Constantine est aussi «le plan de Constantine»: vaste hameçon de De Gaulle sous
la rubrique de «plan de développement social et économique de l’Algérie,
1959-1963». Il s’agissait de construire, creuser, aménager, loger et séduire et
affaiblir le FLN et l’idée de l’indépendance.
Contrairement à Chirac à Oran, Sarkozy sera cependant froidement accueilli à
Constantine: trop tôt ou trop tard apparemment. Le bonhomme avait mauvaise image
en Algérie et surtout dans une ville ultraconservatrice comme Constantine. La
symbolique sera un flop.
Tlemcen, la ville du pragmatisme
Tlemcen
Troisième dans l’ordre, viendra le tour de Hollande. Elu depuis peu, il devra
lui aussi passer par la case Algérie. Pays à problèmes, source d’une forte
communauté immigrée en France, pays otage de la France, mais qui prend la France
en otage.
Pays où il y a de l’argent, mais aussi des mauvais souvenirs. Pour son trip
algérien, François Hollande a donc évité Oran (trop démodée) et Constantine
(trop polémique).
A l’ère des relations dites commerciales et du partenariat dit économique,
Hollande a choisi Tlemcen, à 520 km d’Alger.
C’est la ville natale de Bouteflika (officiellement, car Bouteflika est né à
Oujda mais c’est zappé de sa bio). Les Algériens sceptiques désignent la région
sous le nom de «Kingdom of Tlemcen».
La raison? Le soupçon majeur d’un régionalisme primaire: durant ses deux
premiers mandats, Bouteflika a puisé la plupart des ministres de ses
gouvernements et ses conseillers de Tlemcen.
La ville est vue comme choyée par les investissements publics: elle a bénéficié
d’un budget d’Etat pour organiser le Tlemcen, capitale de la culture islamique,
vaste évènement des idéologies en mode dans le monde arabe: nationalisme,
arabitude, baathisme et Islam.
Le budget de plus d’un milliard de dollars consacré à l’évènement a permis à la
ville de devenir encore plus belle, plus propre et plus présentable.
Le costume de la mariée de Tlemcen vient d’être retenu comme patrimoine culturel
immatériel de l’humanité par l’Unesco, juste avant la visite de Hollande
d’ailleurs.
Tlemcen est aussi la planète du pragmatisme, dans les affaires, du commerce des
classes libérales discrètes, du patronat familial, du conservatisme sélectif et
de la culture encore vivante, malgré le socialisme ravageur des années 70.
Bouteflika y sera chez lui avec les siens. Le choix de Hollande exprime,
peut-être, ce souci de renouer avec l’Algérie d’avant l’histoire coloniale, le
souci de faire des affaires et pas des histoires justement.
L’envie de voir autre chose que les immeubles de la colonisation, le désir de
prendre une photo dans une Algérie qui n’est pas encore profondément française,
le besoin de faire plaisir à un Bouteflika courtisé pour son argent, son
pétrole, son Mali et ses grands projets qui attirent les Chinois.
Ce dernier a résumé la visite de Hollande dans son entretien (par
correspondance) avec l’AFP: pour un partenariat dit «concret et opérationnel».
C’est exactement la vision tlemcenienne du commerce, depuis toujours.
D’ailleurs, on y fabrique d’excellents tapis.
Reste une région réservée au prochain président français: le sud, le Sahara. De
Gaulle étant mort, on attendra donc le nom du suivant. Il ne viendra peut-être
pas d’Alger, mais de Gao, du Nord-Mali.
Reste qu’au sud, il y a trop de pétrole pour qu’on se permette de faire de
l’Histoire. Le pétrole est multinational, pas une question franco-algérienne.
Source: http://www.slateafrique.com
Naviguer à travers les articles | |
Algérie : ce que les patrons attendent de la visite de François Hollande | La relation algéro-française à l’épreuve du passé colonial de la France en Algérie |
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
|