Presque rétabli, le président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, revient sur "l'accident" qui a failli lui coûter la vie et sur sa convalescence. Sans oublier ses relations avec l'opposition, qu'il souhaite voir plus responsable.
le président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz
Il a perdu du poids, son visage s'est creusé. Mais sa démarche est restée énergique et sa poignée de main ferme. Mohamed Ould Abdelaziz, 55 ans, va mieux. Beaucoup mieux que le 14 octobre, lorsqu'il était évacué vers la France à bord d'un avion médicalisé. La veille, le président mauritanien avait été blessé par balle à l'abdomen par un jeune lieutenant de l'armée de l'air. Par méprise, selon la version officielle. Rentré en Mauritanie le 24 novembre, « Aziz » a tenu à montrer que c'est encore lui le patron, bien qu'il soit contraint à un « suivi médical soutenu ». Depuis son putsch, en août 2008, et plus encore depuis son élection, en juillet 2009, il est l'homme fort de la Mauritanie. Fidèle à sa réputation, il n'a pas délégué officiellement ses pouvoirs après son « accident ». Pour sa première interview depuis son retour à Nouakchott, Aziz a reçu J.A. au palais présidentiel.
Jeune Afrique : L'épisode du 13 octobre a-t-il fait de
vous un autre homme ?
Mohamed Ould Abdelaziz : Non, je suis toujours le même. Cela n'influe ni sur mes
activités, ni sur mon comportement, ni sur ma vision des choses. Quant à
l'incident, c'était un acte isolé de la part d'un officier qui a sans doute agi
avec le souci de sécuriser une partie du territoire, alors qu'il n'en avait ni
les prérogatives ni les moyens. Il ne visait personne en particulier. En tant
que président, je n'ai pas voulu m'arrêter à ce contrôle irrégulier, c'est tout.
Vous avez tout de même failli perdre la vie. Pourquoi cet
officier a-t-il été libéré le soir même ?
Parce que l'enquête, qui a été menée le soir même, a révélé qu'à aucun moment il
n'avait pensé ouvrir le feu sur le président. Il a tiré pour arrêter un
véhicule. Certes, il aurait pu être sanctionné. Mais ce n'était qu'une
initiative malheureuse. Il était inutile d'envenimer la situation.
J'ai perdu au moins 2,5 litres de sang. Et suis resté trente-cinq jours sans m'alimenter.
N'avez-vous jamais douté de sa bonne foi ?
À aucun moment. Comment aurait-il pu s'imaginer que j'étais dans la voiture et
que j'allais passer par cette route ? Il ne m'a pas vu au volant.
Quels soins avez-vous reçus ?
J'ai subi ma première opération à Nouakchott, car il fallait parer au plus
pressé et arrêter l'hémorragie. Selon les médecins, j'ai perdu au moins 2,5
litres de sang. Après avoir été évacué vers la France, j'ai à nouveau été opéré.
Je suis resté trente-cinq jours sans manger ni boire, cela a été très difficile.
J'ai perdu pratiquement 20 % de mon poids. De 80 kg je me suis retrouvé à
environ 68 kg. Mais j'ai depuis remonté la pente, et les choses sont rentrées
dans l'ordre.
Pendant votre convalescence, avez-vous délégué certains de
vos pouvoirs à des hommes de confiance ?
Non, ce n'était pas nécessaire. J'ai toujours gardé toutes mes facultés mentales
et physiques. Même blessé, après l'accident, j'ai continué à conduire moi-même
mon véhicule. J'ai tout organisé. J'ai moi-même convoqué les médecins. J'ai
marché jusqu'à l'hôpital, je n'ai jamais été sur une civière. Je ne me suis
jamais senti affaibli.
Donc vous n'avez pas délégué ?
J'ai continué à gérer le pays et à m'enquérir quotidiennement de la situation.
Je n'avais pas à déléguer : j'étais conscient et en vie.
Pas même au chef d'état-major de l'armée, Mohamed Ould
Ghazouani ?
L'a-t-on vu renvoyer des ministres ou nommer des gouverneurs ? Il n'a fait que
tenir son rôle.
Avez-vous craint un coup d'État militaire pendant votre
absence ?
Cette idée ne m'a même pas effleuré. Si par le passé le pays a connu beaucoup de
coups d'État, c'est parce que l'armée était en déliquescence. Ce n'est plus le
cas. Cela dit, la Mauritanie n'est pas à l'abri de quelques individus qui
continuent d'agir de manière anarchique. Dans leurs meetings ou dans la rue, ils
prônent la violence ou le changement par la force. Mais cela n'a rien à voir
avec l'armée.
Vous faites allusion aux leaders de la Coordination de
l'opposition démocratique (COD) ?
Je ne parle pas de la COD, mais de quelques personnes connues dont le
comportement, inapproprié dans une démocratie, me paraît irresponsable. Si elles
veulent du changement, cela doit passer par les urnes.
L'ancien président de la transition, Ely Ould Mohamed
Vall, qui est aussi votre cousin, a tenu des propos très critiques en votre
absence...
Je suis habitué à ces critiques, qui ne changent pas grand-chose. Le pays
continue malgré tout, depuis 2008, d'avancer. Je prends cela avec beaucoup de
philosophie.
En votre absence, une partie de l'Union pour la République
(UPR, parti présidentiel) a accepté de dialoguer avec la COD. Est-ce une bonne
chose ?
Les dirigeants de l'UPR m'ont consulté, je leur ai dit d'accepter la proposition
de la COD. Il ne faut pas y voir une trahison. D'ailleurs, je suis prêt à
recevoir les leaders de la COD s'ils le souhaitent.
L'idée d'un gouvernement d'union nationale est dépassée. Cela ne rimerait à rien.
Justement, comment résoudre cette crise de confiance avec
la frange de l'opposition la plus radicale, qui exige toujours votre départ ?
Encore une fois, dans une démocratie, la meilleure solution pour régler les
problèmes, c'est les urnes. Le meilleur jugement, c'est celui du peuple. Pour
garantir la transparence des élections législatives et municipales [elles ont
été reportées sine die en novembre 2011, NDLR], nous avons d'ailleurs mis en
place une Commission électorale nationale indépendante [Ceni] et un état civil
fiable, biométrique. Aujourd'hui, on a plus de 78 % d'électeurs potentiels
recensés.
Quand ces élections vont-elles enfin se tenir ?
Le plus vite possible. Mais c'est la Ceni qui doit en fixer la date, pas le
gouvernement.
Le président de l'Assemblée nationale, Messaoud Ould
Boulkheir, propose la formation d'un gouvernement d'union nationale...
Cette proposition est dépassée. Mettre en place un tel gouvernement pour deux ou
trois mois déstabiliserait le pays. Nous avons déjà un gouvernement stable. Cela
ne rimerait à rien, et le peuple en souffrirait.
Pourquoi la Mauritanie ne veut-elle pas s'engager
militairement dans le Nord-Mali ?
Parce que nous n'aimons pas faire la guerre. Dans le passé, nous sommes
intervenus ponctuellement dans le Nord-Mali, mais c'était uniquement pour
sécuriser notre territoire. Ce n'était pas par plaisir que nous franchissions
nos frontières et perdions des hommes. Le Mali est membre de la Communauté
économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao). C'est à elle de régler ce
problème.
Concrètement, que préconisez-vous ?
Au lieu de faire la guerre à 60 % du territoire malien, il faut essayer de
résoudre les problèmes. Nous conseillons à l'État malien de discuter avec le
MNLA [Mouvement national pour la libération de l'Azawad] et Ansar Eddine [groupe
jihadiste]. Ils sont présents dans des régions où les populations se sentent
parfois lésées. On ne peut pas laisser cette situation perdurer. C'est vrai que
leurs revendications sont parfois extrêmes, mais, en dialoguant, on peut les
raisonner.
C'est une position que vous avez réaffirmée à François
Hollande lors de votre rencontre le 20 novembre ?
Je l'ai réaffirmée partout. Non pas parce que la Mauritanie serait faible et
n'aurait pas les moyens de se défendre. Nous connaissons bien la situation.
Quelles sont vos relations avec le président français ?
Nous entretenions de très bons rapports avec son prédécesseur, rien n'a changé
avec François Hollande.
Vos opposants vous reprochent de faire le jeu de la France
dans le Sahel...
Nous ne sommes inféodés à personne. Nous utilisons nos armes, nos munitions, nos
hommes, notre aviation. Il n'est pas question de la France là-dedans, même si
nous partageons la même vision des choses et la même stratégie.
Que pouvez-vous nous dire du jihadiste français récemment
arrêté à Néma ?
Il s'agit d'un Français de souche qui a été arrêté au moment où il tentait de
sortir par une zone contrôlée, après être entré par le Nord. Une enquête est en
cours. Ce que nous savons, c'est qu'il a traversé tout le Maghreb, puis la
Mauritanie pour apprendre l'arabe. Il est même déjà allé à Tombouctou. Il
n'était pas armé, il n'avait pas de grenades sur lui, ni d'explosifs, donc il ne
constitue pas une menace immédiate.
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Propos recueillis à Nouakchott par Justine Spiegel (@JustineSpiegel)
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