30122012
Depuis le 10 décembre, les rebelles centrafricains avancent sur la capitale
Bangui. Que veulent-ils obtenir? Explication avec Roland Marchal, spécialiste de
l'Afrique subsaharienne.
Le régime de François Bozizé est ébranlé par l’avancée de
rebelles sur la capitale Bangui. Depuis le 10 décembre, la rébellion du Séléka
(«alliance» en sango, la langue nationale) ne rencontre aucune résistance de la
part de l’armée centrafricaine, manifestement indigente.
Après avoir occupé les villes du nord (Ndélé, Ouadda et Ouandjia), les rebelles
ont continué leur avancée en direction de la capitale, jusqu’à la prise de
Kaga-Bandoro, le 25 décembre 2012.
Ils avancent depuis bientôt deux semaines, mais déclarent vouloir négocier et ne
pas entrer dans la capitale. L’explication cherchera à mieux comprendre qui sont
ces groupes de combattants communément appelés «la rébellion du Séléka» et
quelles sont leurs véritables intentions.
Rébellion hétéroclite
A l’origine, la rébellion du Séléka est formée de deux groupes dissidents de
mouvements qui contestent la mise en œuvre des accords de paix de Libreville
signés en 2008 entre le président centrafricain et les rebelles: l’Union des
forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) et la Convention des patriotes
pour la justice et la paix (CPJP). Selon Roland Marchal, spécialiste de
l’Afrique subsaharienne au Centre d’études et de recherches internationales
(CERI) de Sciences Po-Paris, d’autres groupes sont venus se greffer à la
rébellion, lui permettant de grossir ses rangs et sa capacité d’action:
« Le mouvement a crû, s’est agrandi car la victoire appelle la victoire. De
nombreux combattants qui appartenaient à d’autres groupes y ont vu la
possibilité de gagner plus et les ont rejoints, plus par opportunité que par
engagement idéologique. Ce groupe a acquis ce qui lui manquait au début, en plus
des armes et des munitions qu’il avait déjà, des moyens de transport! Des motos
et des voitures d’ONG ou de l'administration locale des villes conquises ont été
confisquées. C’est donc une force militaire plus importante.»
Les chefs rebelles: des marginaux
Au-delà du nombre, la rébellion bénéficie d’une logistique et de moyens
conséquents qui dépassent le budget alloué à une armée centrafricaine harassée.
Or, l’argent ne viendrait pas des chefs de la rébellion qui n’appartiennent pas
à la classe dirigeante de Bangui. Les rebelles et leurs chefs proviennent des
régions périphériques du nord.
«Les chefs rebelles sont des élites militaires locales qui n’ont jamais été au
centre du pouvoir dans l’armée nationale ou à Bangui même. Les deux personnages
les plus connectés avec la capitale sont Eric Massi, puisque fils d’un ancien
ministre et porte-parole du mouvement et Michel Djotodia, un haut fonctionnaire
centrafricain et l’un des fondateurs du groupe de l’UFDR. Les chefs militaires
sont souvent marginaux dans le sens sociologique du terme, c'est à dire
originaires des périphéries du pays. Les cadres les plus expérimentés ont
combattu dans des précédentes rébellions, quelquefois dans les rébellions
tchadiennes, mais ils sont minoritaires dans le mouvement», poursuit Roland
Marchal.
Alors d’où vient l’argent dont dispose la rébellion? Avec précaution Roland
Marchal mentionne un possible soutien du Tchad d’Idriss Déby:
«La seule chose qu’on puisse affirmer est que le président tchadien cultive
l’ambiguïté sur sa posture militaire. Cela veut-il dire une relation avec les
rebelles et un financement de leurs opérations? Peut-être mais rien ne l'atteste
aujourd'hui. (…) Des individus comme des grands opérateurs économiques —à la
dimension de la Centrafrique— peuvent également soutenir la rébellion. L’idée
serait de faire main basse sur les richesses minérales de la Centrafrique (or,
diamant, fer...). En effet, riche en ressource, ce pays reste très pauvre:
l'espérance de vie moyenne y régresse année après année. Pourtant le potentiel
est important.»
Les rebelles veulent le pouvoir
On n’en connait pas exactement l’origine, mais ces soutiens financiers
permettent aux rebelles d’avancer progressivement vers Bangui et de faire
entendre leurs revendications, notamment la mise en œuvre des accords de 2008,
prévoyant la réintégration des rebelles, et davantage d’investissements dans les
régions du nord, complètement délaissées par le pouvoir central.
Pour Roland Marchal, la mort de l’ex-ministre et fondateur de l’UFDR, Charles
Massi, en 2010, est l’un des griefs retenus contre François Bozizé, tenu
responsable de sa mort. Arrêté au Tchad, Charles Massi a disparu après avoir été
remis aux autorités centrafricaines.
Mais les rebelles vont-ils se satisfaire d'éventuelles concessions de la part du
régime? Pourquoi avancer jusqu’à Bangui si ce n’est pour prendre la ville?
Pour le chercheur Roland Marchal, leurs ambitions ne font aucun doute: ce groupe
de rebelles veut le pouvoir, même s’ils n’ont pas les moyens intellectuels et
politiques de le prendre.
«L’idée de renverser le régime est là. C’est l’illusion de la Centrafrique: vous
commencez, vous continuez et vous vous retrouvez progressivement au bord de la
capitale sans avoir combattu. Vous vous dites donc que le fruit est mûr!
Pourquoi renégocier avec Bozizé des aménagements d'accords de paix mal négociés
ou appliqués alors qu’ils peuvent obtenir davantage en dirigeant eux-mêmes le
pays? Je crois que les ambitions ont augmenté à mesure que les victoires
s’accumulaient.»
Les rebelles, populaires?
Quid du soutien dans la population. Depuis quelques jours des manifestations ont
lieu dans la capitale. Des centaines de femmes réunies à l'initiative
d'associations proches du régime du président François Bozizé se sont
rassemblées le 28 décembre à Bangui pour demander aux rebelles de «cesser les
combats».
Pour le spécialiste Roland Marchal, la population est mitigée. Une grande partie
ne soutient plus le régime, mais craint l’arrivée de rebelles dits «tchadiens»
dans la capitale. Les pillages de 2003 sont encore dans les mémoires.
«Les rebelles sont composés en majorité d’éléments identifiés comme des
musulmans, et sont donc perçus comme étant des Tchadiens par la population du
sud. Alors qu'une très grande partie des rebelles est centrafricaine. Le régime
est assez isolé. Les manifestations qui ont eu lieu devant l’ambassade de France
ne doivent pas faire illusion. C’est lui qui finance ces soutiens dans la
population. Les manifestants étaient 200 à 300, sans doute payés pour lancer de
la caillasse sur l'ambassade. Bozizé a eu une réelle popularité ce qu’il ne
faut pas nier, mais il l’a largement perdue durant les dernières années, et
notamment depuis 2011.»
Une prise de Bangui par les rebelles n’est pas exclue. Les prochains jours vont
donc être décisifs pour le président François Bozizé et pour l'avenir de la
Centrafrique.
Nadéra Bouazza
*L'Explication remercie Roland Marchal, spécialiste de l’Afrique subsaharienne au
Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po-Paris.
Source:slatafrique
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