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Intervention au Mali: le retour en grâce de la Françafrique

Lors de la décennie précédente, les interventions militaires en Afrique étaient qualifiées de néocoloniales. Aujourd’hui, elles ne suscitent plus la même réprobation.
Le président François Hollande est arrivé le 2 février à Sévaré pour une visite éclair au Mali au cours de laquelle il appellera les pays africains à prendre le relais de la France auprès de l'armée malienne, après trois semaines d'opération contre les groupes armés islamistes.

 

 



"Je vais au Mali (...) pour dire à nos soldats tout notre soutien, tous nos encouragements, toute notre fierté, (...) pour permettre que les Africains viennent le plus vite possible nous rejoindre et leur dire que nous avons besoin d'eux pour cette force internationale", a déclaré François Hollande.


Les drapeaux français qui flottent dans les rues de Bamako ne sont pas passés inaperçus. A Londres comme à Paris ou Berlin, une question lancinante revient.
Est-ce le retour de la Françafrique? Un journaliste de la BBC pose la question qui fâche: cette Françafrique que l’on a enterrée tant de fois n’est-elle pas de retour? 


Toujours enterrée, jamais morte!

La Françafrique, ces liens incestueux qui existant entre Paris et l’Afrique francophone étaient un héritage du général de Gaulle. Même si le terme avait été inventé par le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny (président de 1960 à 1993), qui lui donnait d’ailleurs une connotation positive.

En maintenant sous tutelle les ex-colonies de la France en Afrique, le général de Gaulle espérait aider Paris à maintenir son rang de grande puissance. Dès son élection en 1974, Valéry Giscard d’Estaing avait promis de rompre avec l'«odieuse Françafrique», ce qui ne l'a pas empêché d’accepter le couronnement de l’empereur Bokassa en 1977 et de subir les affres de l’affaire des diamants. 

François Mitterrand a maintenu le système françafricain en l’état après l’avoir lui même dénoncé. Même Jacques Chirac, élu en 1995, qui se voulait héritier du gaullisme a participé à cette catharsis qui consiste à enterrer régulièrement la Françafrique.

Nicolas Sarkozy, lui-même, a tiré sur l’ambulance de la Françafrique, avant même d’être élu en 2007. Une fois au pouvoir, il a récidivé: "l'homme pressé" ne s’est pas contenté de discours et a annoncé la fermeture de bases françaises en Afrique, notamment à Dakar.

Nicolas Sarkozy entrait dans le vif du sujet: l’influence française sur le continent est très liée à ses bases militaires. Paris offre une «protection» aux chefs d’Etat qui acceptent de rester dans son ère d’influence.

Pourtant, Nicolas Sarkozy, une fois élu président en 2007, s’est rapidement rapproché du régime de Bongo, alors même que le Gabon a toujours été au cœur des réseaux françafricains. Les troupes françaises sont intervenues en Côte d’Ivoire et en Libye pendant son mandat.


La fin de la Françafrique, c'est (pas) maintenant!

François Hollande avait, lui aussi, fait du combat contre la Françafrique l’une de ses priorités. Il est même allé jusqu’à supprimer le ministère de la Coopération, afin de montrer que les temps avaient changé.

Après les années de pratiques obscures, la lumière allait surgir avec une présidence socialiste, pour reprendre la terminologie de l'ex-ministre socialiste Jack Lang, qui avait parlé en 1981, lors de l’élection de François Mitterrand, de passage de l’ombre à la lumière.

Avec François Hollande, éu en mai 2102, tout allait s'achever. «Le changement, c’est maintenant». Finie l’époque sarkozyste où la France intervenait en Côte d’Ivoire et en Libye. Pourtant, à peine arrivé au pouvoir, François Hollande envoie des troupes au Mali.

La France part seule au combat. Ses hommes font le travail que l’armée malienne s’avère incapable d’accomplir: à savoir combattre et repousser les islamistes radicaux hors des frontières du Mali.

Dans la mise en œuvre, cette intervention française au Mali n’est guère différente de celle qu’elle a pu mener par le passé sur le continent. D’autant que le pouvoir politique à Bamako manque de légitimité; dès lors qu’il est issu du coup d’Etat de mars 2012.

Pourtant, cette intervention est approuvée par 75% des Français, selon un sondage du journal Le Parisien. François Hollande remonte dans les sondages. Grâce à ce type d’intervention, la France montre qu’elle compte encore. Elle démontre qu’il existe toujours des régions du monde où elle peut changer le cours de l’histoire.

Ce coup de force permet au pays de soigner une «blessure narcissique». Une grande partie de l’opinion publique n’acceptant pas que la "patrie des droits de l'homme" ne soit plus une grande puissance, comme elle a pu l'être au cours des siècles précédents.


Quand les Français applaudissent l'opération Serval

Cette action de la France est très bien accueillie dans d’autres capitales. Alors que par le passé, ses interventions étaient considérées comme néocolonialistes et dénoncées comme telles par des pays africains, mais aussi par des dirigeants occidentaux l’opération Serval est fortement soutenue.

L’action terroriste contre la base d’In Amenas a renforcé cette légitimité. La crise malienne a cessé d’apparaître comme un conflit local, elle est apparue comme un enjeu majeur: une menace contre les puissances occidentales.

Dès lors, nombre de pays semblent contents de voir que la France a conservé les moyens d’agir au Sahel et ailleurs en Afrique. Les bases françaises qui étaient critiquées et qualifiées de néocoloniales apparaissent tout à coup comme une bénédiction pour lutter contre l’islam radical. Puissance militaire en Afrique, elle apparaît alors comme utile.

Grande puissance économique, l’Allemagne reste incapable d’accomplir ce type d’action. Les Etats-Unis sont mobilisés sur plusieurs fronts: ils ne souhaitent pas s’impliquer davantage dans la région. Même l’Algérie qui a toujours combattu le retour de Paris dans le Sahel semble désormais s’accommoder de cette présence. Signe des temps, elle laisse pour la première fois l’ex-puissance coloniale survoler son espace aérien.


La France conserve son influence

Les troupes africaines se déploient très lentement au Mali: l’intervention française devrait donc s’inscrire dans la durée. Le Mali «reconnaissant» restera sans doute dans le giron de Paris, qui est son premier partenaire économique.

De cette crise, les liens politiques, économiques et culturels entre Paris et Bamako sortiront renforcés. Il en va de même dans un pays voisin, la Côte d’Ivoire. 
Alassane Ouattara est arrivé au pouvoir en avril 2012 grâce au soutien de Paris. De Bamako à Abidjan, cette influence renforcée grâce à l’intervention de l’armée ressemble étrangement aux liens qui existaient au temps de la Françafrique.

La différence avec les interventions de la décennie précédente étant que ces actions sont désormais considérées comme légitimes. Dès lors que les islamistes radicaux font figure de danger pour l’ensemble du monde occidental.

Cette situation ressemble étrangement à celle qui prévalait avant la chute du mur de Berlin. En pleine guerre, les  interventions répétées de la France étaient considérées comme légitimes par Londres ou Washington, car il s’agissait de lutter contre la menace soviétique.

La France défendait son pré carré et les Etats-Unis s’en accommodaient. A leurs yeux, mieux valait un pays sous influence française que sous celle de l’Union soviétique.

Aujourd’hui, nombre de puissances font le même raisonnement: mieux vaut un pays sous l’influence de Paris que sous celle des islamistes. Alors, même le vieux fantôme de Jacques Foccart a cessé d’inquiéter: la Françafrique ne fait plus peur à grand monde.


Pierre Cherruau
 

Source:Slateafrique

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