Quelles sont les conditions matérielles de vie de Laurent Gbagbo au sein du quartier pénitentiaire de la Cour pénale internationale, dans la prison de Scheveningen (Pays-Bas) ? Éléments de réponse en attendant le 19 février, date de l'examen des charges qui engageraient la responsabilité pénale de l'ex-président ivoirien pendant la crise postélectorale ivoirienne de 2010-2011.
1. Pourquoi Laurent Gbagbo est-il détenu à la CPI ?
L’ex-président ivoirien est détenu dans le cadre d’une enquête concernant les
crimes commis durant la crise postélectorale ivoirienne entre le 16 décembre
2010 et le 12 avril 2011. Le 19 février 2013, la Cour examinera les charges qui
engageraient sa responsabilité pénale individuelle, en tant que coauteur
indirect, pour quatre chefs de crimes contre l’humanité :
de meurtres,
de viols
d’actes de persécution
et d’autres actes inhumains, qui auraient été perpétrés dans le contexte des
violences postélectorales survenues sur le territoire de la Côte d’Ivoire
2. Qui sont les codétenus de Laurent Gbagbo ?
Toutes les personnes détenues au quartier pénitentiaire de la CPI partagent le
même espace commun et peuvent donc se côtoyer. L’ex-président ivoirien y est
actuellement détenu au même titre que Thomas Lubanga Dyilo (RDC), premier
condamné par la CPI à 14 ans de prison - qui devrait prochainement aller purger
sa peine à l’étranger - Germain Katanga (RDC) et Jean-Pierre Bemba (RDC, jugés
pour des faits commis en République centrafricaine).
« Trois autres personnes se trouvent également au quartier pénitentiaire, ce
sont des témoins qui étaient détenus en RDC, et qui ont été donc transférés à La
Haye sous condition de demeurer en détention. Par la suite, ils ont présenté des
demandes d’asile et nous sommes dans l’attente d’une décision des autorités
néerlandaises sur ces demandes d’asile », ajoute Fadi El Abdallah, le
porte-parole de la CPI.
L'ancien président du Liberia, Charles Taylor, est lui aussi en détention à la
prison de Scheveningen suite à un accord passé entre la Cour et le Tribunal
spécial pour la Sierra Leone (TSSL), bien que son cas ne relève pas de la
juridiction de la CPI.
3. Une journée type de Laurent Gbagbo
Trois mois après son transfert à La Haye, voici ce que nous publiions dans
les colonnes de Jeune Afrique :
« Ses conditions de détention, dans le quartier VIP du centre pénitentiaire de
la Cour pénale internationale (CPI), n'ont plus rien à voir avec Korhogo : une
nourriture convenable, une cellule individuelle, un bureau, une télévision, un
accès à la bibliothèque. Il bénéficie de soins médicaux pour ses problèmes
d'arthrose et peut, chaque jour, se promener dans la cour de la prison ou aller
à la salle de sport. Sa nouvelle vie, Laurent Gbagbo l'organise autour de trois
axes : le spirituel, le politique et le juridique ».
4. Une vie en cellule
La cellule de Laurent Gbagbo, comme celle des autres détenus, occupe un espace
de 10 m² et est aménagée pour recevoir une seule personne.
Il a accès aux livres et aux journaux de la bibliothèque, ainsi qu'à la
télévision.
La Cour sert trois repas par jour :
« Les personnes détenues reçoivent une alimentation convenablement préparée, qui
est conforme en termes de qualité et de quantité aux normes de la diététique et
de l'hygiène », explique le porte-parole de la CPI.
Les personnes détenues sont également autorisées à cuisiner et peuvent passer
commande d'articles figurant sur la liste des achats du quartier pénitentiaire.
Ils peuvent ainsi accommoder les repas qui leur sont fournis en fonction de
leurs goûts et de leurs pratiques culturelles.
5. La CPI, une "cour électronique"
Les détenus du quartier pénitentiaire de la CPI ont accès à des équipements
informatiques afin de travailler leur dossier.
« Conformément au mandat de la CPI, qui se veut une "cour électronique", chaque
personne détenue dispose d'un ordinateur dans sa cellule, lequel est relié à un
ordinateur spécifique de la Cour auquel seul le conseil de cette personne peut
accéder. La défense peut ainsi transférer des informations liées à l'affaire,
auxquelles la personne détenue peut accéder et au sujet desquelles elle peut
faire des commentaires, précise M. El Abdallah. Conformément aux principes selon
lesquels une personne détenue a le droit de s'entretenir en privé avec son
conseil et de communiquer librement avec le représentant consulaire ou
diplomatique de son pays d'origine, les personnes détenues au quartier
pénitentiaire sont autorisées à communiquer en toute confidentialité avec les
personnes relevant de ces deux catégories, ce qui signifie que ces
communications ne doivent pas être surveillées par le personnel du quartier
pénitentiaire.»
Les détenus ont également accès au téléphone fixe pour communiquer avec leur
proches. En revanche, pour des raisons de sécurité, les téléphones portables,
appareils d'enregistrement et l'internet ne sont pas autorisés.
6. Qui est autorisé à rendre visite à Laurent Gbagbo ?
Depuis son incarcération à Scheveningen, Laurent Gbagbo a reçu beaucoup de
ses proches. C’est lui qui donne son accord pour toutes les visites. Ces
rencontres se déroulent en toute confidentialité dans une petite salle du
pénitencier.
La défense : chaque semaine, ses défenseurs emmenés par l’avocat français
Emmanuel Altit, lui font le point sur la procédure et les actions en cours. Il
prépare très sérieusement, depuis de longs mois, l’audience de confirmation des
charges, qui a lieu demain, le 19 février.
Les anciens collaborateurs : il a reçu à deux reprises ces derniers mois, Miaka
Ouretto, président par intérim du Front populaire ivoirien (FPI). D’anciens
collaborateurs comme Bernard Houdin, son conseiller français à la présidence,
font aussi régulièrement le voyage.
La diaspora et les intimes : des membres de la diaspora, comme Abel Naki, ont
également eu droit à une visite. Des amis intimes comme l’ancien Monsieur
Afrique du Parti socialiste, Guy Labertit, et plusieurs journalistes qui l’ont
côtoyé, dont Francis Kpatindé, un ancien de Jeune Afrique, sont encore venus le
soutenir.
La famille : sa famille fait régulièrement le voyage jusqu'aux Pays-Bas. Nady
Bamba, sa seconde épouse et son dernier fils, Koudou Ismaël, sont ainsi venus à
Scheveningen. Marie-Laurence Kipré, sa fille née de son mariage avec Simone
Gbagbo, et Marie-Antoinette Singleton, sa belle-fille installée aux États-Unis,
ont passé également une semaine à La Haye, en janvier 2012. L'ancien président
s'est également entretenu avec Alima Fadika, la femme de l'ex-directeur général
de la Société nationale d'opérations pétrolières de Côte d'Ivoire (Petroci), qui
est aussi la sœur de Nady Bamba.
Religeux : Laurent Gbagbo reçoit enfin la visite régulière d'un pasteur
africain.
7. L’état de santé de Laurent Gbagbo
L’état de santé de Laurent Gbagbo a fait couler beaucoup d’encre ces dernières
semaines. Ses représentants clament haut et fort qu’il est en pleine forme et
qu’il joue régulièrement au ping pong avec ses codétenus. Ses détracteurs, eux,
prétendent qu’il est au bout du rouleau.
En fait, Laurent Gbagbo souffre d’arthrose, de tension artérielle et de de
rhumatisme. Il reçoit la visite d’un kinésithérapeute plusieurs fois par
semaine. Ces pathologies ne se sont pas déclarées récemment mais se sont
aggravés lors des semaines d’isolement dans son bunker de Cocody et lors de son
assignation à résidence, au nord de la Côte d’Ivoire, entre avril et novembre
2011.
Psychologiquement, ces épreuves l’ont aussi beaucoup affecté. C’est l’une des
raisons - il voulait aussi gagner du temps pour préparer les audiences - pour
lesquels Me Emmanuel Altit a demandé à plusieurs reprises un report de
l’audience et même sa libération conditionnelle. Ce dernier a invoqué la
mauvaise santé de l’ex-président ivoirien, qui serait due à sa réclusion àdans
une pièce obscure à Korhogo. Pour appuyer sa requête, l’avocat a produit le
témoignage du médecin expert qui a examiné le détenu à son arrivée à La Haye : «
Laurent Gbagbo est en mauvaise santé, non pas en raison d’une pathologie
particulière mais d’une absence d’activité physique et mentale qui peut être
apparentée à de la torture ».
D’autres experts l’ont examiné à la demande de la CPI. Finalement, la cour a
décidé d’aménager les audiences, qui se tiendront simplement l’après-midi afin
qu’il puisse les suivre. Toutefois, Laurent Gbagbo, d’après tous les proches qui
lui ont rendu visite, n’a rien perdu de ses capacités intellectuelles. Il
considère cette audience et son éventuel procès comme l’occasion de démontrer à
la face du monde qu’il a fait l’objet d’un complot ourdi par la France et des
puissances alliés en Afrique. Il est intimement persuadé que l’Histoire finira
par lui rendre raison.
8. Les suites possibles
Selon les textes, les juges de la chambre préliminaire de la CPI ont 60 jours
pour rendre leur décision à l’issue de l’audience de confirmation des charges
qui doit s’achever le 28 février.
Avant de statuer sur les charges, la Chambre préliminaire peut encore ajourner
l’audience et demander au procureur d’apporter des éléments de preuve
supplémentaires ou de modifier toute charge pour laquelle les éléments de preuve
produits semblent établir qu’un autre crime que celui qui est reproché a été
commis.
Dans sa décision finale, la chambre préliminaire décidera s’il y a ou non des
preuves suffisantes pour confirmer les charges. Elle peut confirmer une ou
plusieurs charges, auquel cas l’affaire est renvoyée en jugement devant une
chambre de première instance, composée de trois autres juges, pour le procès.
Elle peut aussi refuser de confirmer les charges. Le procureur pourra alors
présenter des éléments de preuve supplémentaires pour la tenue d’un procès. Les
deux parties peuvent aussi demander à la chambre préliminaire l’autorisation
d’interjeter appel contre la décision sur la confirmation des charges.
Au plus tôt, la décision des juges sera connue à la fin du mois d’avril.
Quant à un éventuel procès, il faudra attendre encore de longs mois. D’ici là,
la CPI devra aussi se prononcer sur une demande de liberté provisoire de Laurent
Gbagbo introduite par la défense qui assure que des pays africains ont d'ores et
déjà donné leur accord pour accueillir l'ancien président ivoirien.
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Pascal Airault (@Airault1969), Élise Colette (@elizco) et Jean-Sébastien Josset
(@jsjosset)
Source: Jeuneafrique.com
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