Depuis 2006, de jeunes maliens se forment au métier d’ingénieur du son dans le studio Moffou de Salif Keita, à Bamako. Fin 2012, ils ont enregistré un album en conditions professionnelles, avec des artistes confirmés, aujourd'hui disponible à l'écoute sur Internet.
La route goudronnée s’arrête là. Une piste terreuse trouée, cabossée, prend le
relais sur les cinquante derniers mètres à parcourir avant d’apercevoir le «M».
C’est un «M» majuscule de plusieurs mètres de haut, taillé dans la pierre,
imposant, posé sur le sol, signe que l’on est arrivé à destination.
C’est ici, dans le quartier de Kalabancoro, à une dizaine de kilomètres du
centre de Bamako que se trouve le Moffou. C’est là que l’enfant du pays devenu
star internationale, Salif Keita, a créé un vaste complexe qui abrite, en plus
d’une salle de concert, d’un hôtel, d’un bar, d’une radio, un studio
d’enregistrement.
Depuis 2006, Abdallah, Abou, Seydou, Sidi et Arouna, de jeunes maliens d’une
vingtaine d’années, s'y retrouvent une dizaine de jours par an pour participer à
une formation au métier d’ingénieur du son, prodiguée par Karim Saï.
Pied de nez aux islamistes du nord
Au mois de novembre, pour parfaire leurs connaissances, ils ont enregistré un
album dans des conditions professionnelles. Chaque jour un artiste différent,
comme Ballaké Sissoko, deux morceaux à mettre en boite dans l’après-midi puis à
mixer le lendemain matin.
«Leur motivation est énorme, depuis le départ. Ce sont de véritables éponges de
savoir, se réjouit Karim, dont la société de formation est basée à Paris. Chaque
année, je les vois évoluer. Au départ ils avaient tout à apprendre, ils
n’avaient aucune notion du métier. Il a fallu revoir les bases. En quelques
années, leur niveau s'est considérablement amélioré».
Personne n’a envisagé d’annuler cette session malgré le contexte de crise au
Mali, ni les stagiaires, ni les artistes venus des quatre coins du pays. Comme
un pied de nez aux islamistes au nord du pays où la musique ne résonnait plus.
Samba Touré, grand chanteur de blues du désert, soutient l’initiative.
«C’est un bonheur, une fierté de voir ça. Au lieu de demander à des techniciens
de venir de loin, ils sont ici et ce sont des jeunes», s’enthousiasme l’artiste,
originaire de Tombouctou.
Les stagiaires eux n’ont qu’une idée en tête: avancer, se professionnaliser,
apprendre un métier. Comme Addallah:
«Cette formation a renforcé ma volonté de travailler dans le domaine culturel.
Les échanges avec Karim et les autres stagiaires m’ont permis de trouver un but
professionnel. Je veux me former pour former les autres, mais aussi accompagner
les jeunes artistes, les repérer. Il nous faut des projets comme celui-là pour
professionnaliser la filière culturelle au Mali. Aujourd’hui, notre pays a un
potentiel mais aucune dynamique sans aide extérieure. Le but est de dépasser
cette étape.
Bien sûr, nous devons apprendre auprès de professionnels pour nous
perfectionner, mais cet apprentissage doit ensuite nous permettre d’être
autonome et déboucher sur la création d’emplois, pour la jeunesse. J’ai envie de
travailler ici, dans mon pays, mais pour le moment j’essaie de voyager,
d’apprendre beaucoup de choses pour mettre tout cela à profit ici. Grâce à ce
projet, je suis devenu régisseur général du 'festival au désert'. Maintenant, je
vois l’avenir à long terme et non pas à court terme.»
Représentatifs de la richesse culturelle et musicale du
pays
Penser sur le long terme, c’est aussi l’objectif de Laurent Bizot, patron du
label No Format à Paris, producteur de Salif Keita, qui supervise le projet:
«Nous recherchons un impact sur la durée, que ces jeunes puissent ensuite
trouver un emploi, monter des projets».
Une volonté partagée avec Pascale Thumerelle, la directrice du développement
durable du groupe Vivendi qui finance ces formations. Son but: rendre le lieu
autonome et renforcer les capacités locales de production par la valorisation
des talents locaux au Mali. La culture comme pilier du développement durable.
Un millier d’exemplaires de cet album seront pressés prochainement. Une partie
sera remis aux artistes qui s’en serviront comme support promotionnel, les
autres seront distribués aux médias, aux partenaires.
«Made in Bamako», titre de cet album, regroupe des artistes confirmés et connus
comme Ballaké Sissoko, Samba Touré, Salif Keita, d’autres plus confidentiels
comme Harouna Samake, un virtuose du kamele ngoni, instrument de la famille des
guitares ngoni (en duo avec sa femme chanteuse), Madou Lafia Diabate, fils du
grand chanteur mandingue Kassé Mady Diabate ou Benzabo qui chante en Bomu, la
langue de l’ethnie Bo. Ils sont représentatifs de la richesse culturelle et
musicale du pays. Comme Abdallah, Abou, Seydou, Sidi et Arouna.
L’album est disponible en ligne. D'ores et déjà, le rendez-vous est pris l’année
prochaine, pour un nouveau stage, malgré un contexte incertain.
Florence Richard
Source:Slateafrique
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