Le journaliste Serge Daniel, auteur d'un ouvrage sur AQMI et correspondant de RFI au Mali, analyse pour SlateAfrique les conséquences de l'intervention militaire française dans ce pays.
Des soldats français et maliens devant le centre
de documentation de Tombouctou.
Le 2 février 2013. Reuters/Benoit Tessier
SlateAfrique - Qu’inspire l’intervention française aux
Maliens? L’accueil triomphal réservé à François Hollande est-il l’expression du
sentiment général d’adhésion à l’opération Serval?
Serge Daniel - François Hollande a obtenu un score à la soviétique: 100%.
Pendant longtemps sur la crise malienne, en décrétant qu’il y avait des
djihadistes fréquentables et des djihadistes non fréquentables, la communauté
internationale s’est trompée.
Le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), Ansar
Dine, et AQMI, ont toujours nagé dans les mêmes eaux. Ansar Dine, dirigeait la
région nord-est, le Mujao, la région de Gao, et AQMI, celle de Tombouctou.
Dès le mois de décembre 2012, les diplomates français n’hésitaient plus à le
dire, contrairement à d’autres qui brandissaient toujours l’argumentaire des
humanitaires. Il faut donner une chance aux négociations, parce qu’en cas de
guerre, les civils vont être les premières victimes.
Si la France n’était pas intervenue pour stopper la progression des djihadistes,
la nation malienne n’existerait plus aujourd’hui. Et à la longue, c’est la
sous-région qui était en danger.
Quatre hommes ont poussé la France à intervenir. Le président Alassane Ouattara,
président en exercice de la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao),
le Premier ministre malien, Diango Cissoko, qui moins de 48 heures avant
l’intervention française a eu un long entretien avec Laurent Fabius.
Les Nigériens ont également joué un rôle important, et puis évidemment François
Hollande lui-même. Les Maliens lui seront éternellement reconnaissants. A
Bamako, ville musulmane à plus de 95%, des parents donnent à leurs nouveau-nés,
le prénom de Hollande.
SlateAfrique - Les Maliens pensent-ils que la guerre est
finie?
Serge Daniel - Non, les Maliens ne pensent pas que la guerre soit finie.
Ils pensent que, grâce à la France, le pays n’a pas disparu de la carte.
Pour avoir longtemps travaillé sur le djihad au Maghreb et en Afrique de
l’Ouest, je sais que lorsque que les djihadistes mènent une attaque contre une
ville dans la nuit de jeudi à vendredi, c’est avec un objectif précis: organiser
la grande prière de vendredi dans la nouvelle ville conquise. Et les djihadistes
avaient l’intention d’organiser cette prière dans la ville de Sevaré.
Maintenant, la guerre n’est pas finie. Actuellement je suis à Gao dans le nord
du Mali. Les djihadistes ont tiré de loin à la roquette sur la ville. Pas de
victimes, mais la preuve qu’ils sont décidés à mener une guerre asymétrique.
SlateAfrique - Dans leur esprit, les motivations de la
France sont-elles aussi d’ordre économique?
Serge Daniel - Arrêtons un peu ce discours. L’idée de stopper la
progression des djihadistes vers le sud, a été déterminante. Maintenant, chacun
lit l’Evangile avec ses blessures, et si demain la France doit tirer profit de
cette intervention, pourquoi pas? Mais je ne vois pas du tout Paris, à la fin de
la guerre, dire au Mali «passez à la caisse».
SlateAfrique - S’agit-il pour la France de maintenir sa
domination sur ses ex-colonies? La France a-t-elle des visées sur les ressources
naturelles du Nord-Mali, notamment le pétrole?
Serge Daniel - Vous parlez un peu comme Valéry Giscard d’Estaing
(ancien président de la France de 1974-81), qui assimilait l’intervention
française à une intervention néocoloniale. A ce sujet, je crois qu’un homme
politique malien lui a répondu:
«Le monde bouge, Giscard ne bouge pas.»
Je ne vois pas où est le néocolonialisme dans l’affaire. Ni néocolonialisme ni
paternalisme à mon avis.
«Le Sahel n'est plus la chasse gardée de personne...»
SlateAfrique - Le Sahel est-il un enjeu stratégique pour
la France, en particulier pour ses entreprises, notamment l’uranium du Niger?
Serge Daniel - Le Sahel est un enjeu pour tout le monde. Du Sahel, les
apprentis terroristes, peuvent venir frapper la France. La nouveauté est que le
Sahel n’est plus la chasse gardée de personne.
On a pensé pendant longtemps que le Cemoc (l’Etat-major commun au Mali, au
Niger, à la Mauritanie, et à l’Algérie) pouvait à elle seule résoudre la
question militaire pour bouter hors du Mali, hors du Sahel, les islamistes.
L’intervention française, est la preuve que la Cemoc a échoué. On a fait la
guerre sans l’Algérie. C’est probablement un tournant dans les relations entre
le Mali et l'Algérie. Bamako aurait surement apprécié que l’Algérie intervienne.
Ce qui n’a pas été le cas.
SlateAfrique - La crise malienne est-elle liée à une
faillite de l’Etat-Nation?
Serge Daniel - Sans l’intervention française, le Mali n’existerait plus
comme Etat laïc. C’est certain. Iyad Ag Ghaly, leader d’Ansar Dine, s’était
entouré ces derniers mois de doctrinaires iraniens et pakistanais. Il voulait
sans doute jouer un rôle à l’ayatollah Khomeiny.
SlateAfrique - Comment expliquer que cinquante ans après
les indépendances, les Etats-Nations soient aussi faibles en Afrique de l’Ouest?
Serge Daniel - Je dirais qu’on est «tous responsables». Il y a une
dizaine d’années, le président malien Amadou Toumani Touré revenait au pouvoir,
cette fois-ci par des élections démocratiques. En face de lui, pas d’opposants.
Personne n’a voulu aller à l’opposition. On a parlé de «consensus national».
Le seul opposant au président ATT, à l’époque s’appelait Yoro Diakité, qui
animait un petit parti politique, non représenté à l’Assemblée nationale. La
démocratie, c’est une majorité et une opposition. Il peut avoir consensus
ponctuel sur des grandes questions, mais pas dans le marigot politique. Je crois
que c’est un des repères de la crise actuellement.
La crise au nord a éclaté en janvier 2012 et le président ATT a été renversé en
mars 2012, à moins de deux mois de l’élection présidentielle. Et aucun homme
politique malien ne contestait ATT. Quasiment tous étaient d’ailleurs prêts à
aller à l'élection présidentielle. Chaque candidat était persuadé que ATT allait
lui faire une passe millimétrée.
Je me souviens un jour avoir expliqué au président ATT en privé (il ouvrait
facilement ses portes) la situation telle que je la voyais. Il a souri avant de
déclarer:
«Vous êtes journaliste, mais pas opposant. Laissez les opposants faire leur
travail. Tout le monde est d’accord pour le consensus. Vous voyez que le
consensus n’est pas une camisole de force.»
Il y a eu d’énormes sommes investies dans le nord, mais il a manqué la dimension
culturelle du développement.
SlateAfrique - Le concept de l’Etat-nation est-il adapté à
l’Afrique? Le continent doit il inventer de nouveaux concepts?
Serge Daniel - Les indépendances sont nominatives. Les pays francophones
ont hérité d’une situation: pour qu’on parle de pays, il faut un Etat. Pour les
pays anglophones, pour parler d’un pays, il faut qu’on parle d’économie.
Il y a fondamentalement quelque chose de latin chez les francophones, les bonnes
paroles, mais peu d’actes. Je suis actuellement en reportage dans le nord du
Mali, nous avons seulement six heures de fourniture d’électricité par jour. Et
vous voulez parler de démocratie?
Bien sûr qu’il faut réinventer de nouveaux concepts. Quand j’entends dire que le
Mali n’avait pas de matériel militaire, je souris. Un chef d’Etat africain, m’a
récemment dit que non seulement le Mali avait du matériel militaire, mais même
plus que plusieurs pays de la sous-région réunis. Le problème est un problème
d’hommes.
Propos recueillis par Pierre Cherruau
Source: Slateafrique
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