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Les nouveaux renards du désert

Ils traquent les jihadistes aux côtés des Français dans le nord du Mali depuis bientôt trois mois. Disciplinés, efficaces, les soldats tchadiens ont payé le prix du sang. Plus que jamais, le président Déby Itno s'impose comme le parrain sécuritaire de la région.

À N'Djamena, la cocarde patriotique se porte avec pudeur. Pas d'effets de manche inutiles dans le discours du Premier ministre, Dadnadji Djimrangar, annonçant au Parlement, le 15 avril, le retrait progressif des troupes tchadiennes du Mali, mais le sobre inventaire d'une « noble mission accomplie » : 2 250 hommes déployés depuis près de trois mois, un budget de 57 milliards de francs CFA (87 millions d'euros) « entièrement financé sur nos propres ressources », 36 morts au combat, 74 blessés, dont un général. Aucun pays, France comprise, n'a payé un tel prix de sang et personne en Afrique n'a été en mesure de prendre le risque d'intervenir aussi vite et aussi fort.

 

 


Combattants tchadiens saluant une délégation de la société civile venue spécialement de N'Djamena pour les encourager, à Kidal, le 1er avril.


Discipline

« Armées africaines : pourquoi sont-elles si nulles ? » titrait J.A. il y a quatre mois, après les débâcles malienne et congolaise. Assurément, ce jugement lapidaire ne s'applique pas aux Forces armées tchadiennes en intervention au Mali (Fatim), que le reporter-photographe Patrick Robert a accompagnées dans l'Adrar des Ifoghas pendant trois semaines. Un contingent largement puisé au sein des unités d'élite de la garde présidentielle, encadré par des officiers très proches de leurs hommes et pour beaucoup issus de l'ethnie zaghawa (à laquelle appartient le président Idriss Déby Itno), dont le comportement et la discipline n'ont pas jusqu'à aujourd'hui fait l'objet de critiques. À Kidal, où les Fatim ont installé leur base, « les Tchadiens paient comptant ce qu'ils achètent au marché, alors que les soldats maliens razziaient les moutons », assurent les commerçants touaregs interrogés par Patrick Robert.

 

 


Le général français Bernard Barrera, l'un des principaux responsables de l'opération Serval et son homologue tchadien Oumar Bikimo (turban blanc, à sa gauche) font le point sur les opérations à Abeïbara. De dos, le chef du village touareg.


Rafistolage

C'est le 22 février, lors d'une opération menée avec les forces spéciales françaises contre un QG conjoint d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), que les Fatim ont perdu le plus d'hommes. Censés couper la retraite des jihadistes, des Tchadiens ont subi des assauts kamikazes pendant plusieurs heures. Ce jour-là, une centaine de terroristes, dont l'émir Abou Zeid, mais aussi 26 Tchadiens ont trouvé la mort, et le véhicule d'un général a sauté sur une mine.

 

 


À g. : trois hommes clés du dispositif tchadien, les généraux Oumar Bikimo (béret rouge), Mahamat Idriss Déby Itno (turban blanc) et Abderrahmane Youssouf (2e en partant de la droite, au second plan)

À dr. : chaque pick-up, autonome et en ordre de bataille, contient deu bidons de 250 litres (essence et eau), des roquettes antichars, la nourriture et le couchage.


"Deux faiblesses"

« Les Fatim ont deux faiblesses : la logistique et les communications, explique un officier français. Ce sont des as du système D et du rafistolage, mais cela ne marche pas toujours. » Chaque soir, une liaison vidéo est établie entre Kidal et la présidence de la République à N'Djamena. D'un côté, le général Oumar Bikimo, commandant en chef des Fatim, assisté de son adjoint, le général Mahamat Idriss Déby Itno, 29 ans, fils du président tchadien. De l'autre, « Idi », le chef de l'État lui-même, entouré de son état-major et d'officiers français de la base de N'Djamena. On y fait le point des opérations et l'on s'efforce de répondre aux questions, toujours très précises, du président.

 

 


Soldats des Fatim. Les meilleures unités sont composées de ressortissants de l'Est et du Nord, rompus à la guerre du désert.


Le fait d'être dirigé par un militaire de formation ayant l'expérience du terrain explique sans doute la fluidité et la réactivité de l'armée tchadienne. Idriss Déby Itno est un général dont les étoiles ont été acquises lors de deux campagnes victorieuses : contre les Libyens au milieu des années 1980 et contre les troupes de Hissène Habré en 1990. À trois reprises - la dernière en 2008 -, il a dû repousser des colonnes rebelles venues du Soudan jusqu'aux portes de son Palais.

 

 

 


À g. : Habou Horira, un Sahraoui, ancien soldat du Front Polisario passé dans les rangs jihadistes, a été capturé le 22 février dans le QG d'Aqmi, dans l'Adrar des Ifoghas. Il officiait comme bourreau, coupant les mains des condamnés, au nom de la charia.

À dr. : le passeport de l'otage français Michel Germaneau, retrouvé sur le cadavre d'Abou Zeid. Kidnappé en avril 2010 par ce chef d'Aqmi, il est mort en captivité trois mois plus tard.


Mais le président tchadien est aussi un animal politique habile à tirer profit de sa nouvelle visibilité. Indispensable au Mali, il est au coeur de la transition centrafricaine. Un pied en Afrique de l'Ouest, l'autre en Afrique centrale, à la tête d'un pays pétrolier jusqu'ici épargné par le terrorisme et de l'armée la plus puissante de la région. Incontournable, donc. Attention, toutefois, au vertige du succès...

 

 

 


Dans l'Adrar des Ifoghas, repère d'Aqmi et de leurs alliés, les Tchadiens prennent la pose et brandissent comme un trophée le drapeau des jihadistes du Mujao, le 22 février.


Source:Jeuneafrique

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