« Toute société impérialiste voit dans
l’Autre la négation de l’idéal qu’elle s’efforce, elle-même, d’atteindre. Elle
cherche à le domestiquer en l’attirant dans le champ d’application de son idéal
et en l’y situant au degré le plus bas » Wolfgang Sachs
Aminata D. Traoré
QUE SOMMES-NOUS DEVENUS AU MALI ?
« A qui allons-nous rendre les clés ? » est la question posée par Pierre
Lellouche, député UMP et Président du groupe Sahel de la Commission des Affaires
Etrangères de l’Assemblée Nationale française à propos du Mali. C’était le 22
avril 2013, lors du débat parlementaire qui a précédé le vote de la prolongation
de l’opération Serval. Comme pour lui répondre, Hervé Morin, ancien ministre
(UMP) de la Défense dit « Mais il n’y a personne à qui passer la main ». Comme
une lettre à la poste, la prolongation demandée a été adoptée à l’unanimité.
S’agissant de l’organisation de l’élection présidentielle en juillet 2013. La
France officielle est non seulement unanime mais intransigeante
Je serai « intraitable » a prévenu le Président François Hollande. Ce mot est
dans toutes les têtes ici et nous a blessés. Le ministre de la Défense Jean Yves
Le Drian estime à ce sujet qu’ « il faut dire les choses fortement » (RFI). Les
Maliens qui ont accueilli le Président François Hollande en libérateur
s’imaginaient que l’Opération Serval débarrasserait rapidement leur pays de Al
Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) et ses affiliés d’Ansar Dine et du MUJAO et
que la vie reviendrait comme avant. L’intervention militaire a incontestablement
réduit la capacité de nuisance des djihadistes en en tuant quelques centaines et
en détruisant d’énormes stocks d’armes et de carburant. Mais les villes de Gao
et Tombouctou sont libérées sans l’être totalement puisque des groupes que le
discours officiel qualifie de « résiduels » opèrent dans ces localités et y
commettent des attentats. Fait plus préoccupant, Kidal est entre les mains du
Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) qui interdit à l’armée
malienne d’y accéder.
De peur de s’enliser, la France revoit ses effectifs à la baisse sans pour
autant se retirer. Sa coopération avec la Communauté Economique des Etats de
l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans la mobilisation des troupes africaines de la
Mission Internationale de Soutien au Mali (MISMA) étant loin d’être
satisfaisante. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies au Mali
(MINUSMA) entrera en action en juillet.
La France ne s’enlisera pas. Mais dans quelle aventure a-t-elle embarqué notre
pays alors qu’il ne s’y était pas préparé ? Et quel Mali laisserons-nous aux
générations futures ? Celui où le départ du dernier soldat français a été l’un
des temps forts de sa décolonisation et qui aujourd’hui perd ce qui lui restait
de souveraineté ?
Confiant dans son rôle de libérateur, le Président Hollande nous a promis lors
de son passage à Bamako une nouvelle indépendance, « non pas contre le
colonialisme, mais contre le terrorisme ». Comme s’il appartenait à la France de
nous sauver d’un péril auquel elle n’est pas étrangère si l’on remonte à son
intervention en Libye.
L’Homme malien est-il suffisamment entré dans l’histoire ? Est-il sujet de son
propre devenir de manière à jouir de son droit de dire « non » aux choix et aux
décisions qui engagent son destin ?
La militarisation comme réponse à l’échec du modèle néolibéral dans mon pays est
le choix que je conteste. Interdite de séjour dans les pays de l’espace
Schengen, je regarde avec admiration et respect, la mobilisation et la
détermination des peuples d’Europe à lutter contre le même système qui en toute
quiétude nous broie, ici en Afrique.
L’EFFONDREMENT DU CAPITALISME MALIEN « GAGNANT »
Le Mali ne souffre pas d’une crise humanitaire et sécuritaire au nord du fait de
la rébellion et de l’islam radical et d’une crise politique et institutionnelle
au sud en raison du coup d’Etat du 22 mars 2012. Cette approche réductrice est
la première et véritable entrave à la paix et la reconstruction nationale. Nous
avons assisté surtout à l’effondrement d’un capitalisme malien prétendument
gagnant au coût social et humain fort élevé.
Ajustement structurel, chômage endémique, pauvreté et extrême pauvreté, sont
notre lot depuis les années 80. La France et les autres pays européens ont juste
une trentaine d’années de retard sur le Mali, et ses frères d’infortune
d’Afrique, soumis depuis plus de trois décennies à la médecine de cheval du Fond
Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale.
Selon le CNUCED (rapport 2001), l’Afrique est le continent où la mise en œuvre
des PAS a été la plus massive, la plus poussée et la plus destructrice le long
des décennies 80 et 90 au cours desquelles les institutions internationales de
financement ne se sont préoccupées que de la correction des déséquilibres
macro-économiques et des distorsions du marché en exigeant des Etats des
documents de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP).
Le credo de Margaret Thatcher « There Is No Alternative » (TINA) marche à
merveille sous nos cieux. Il revient à dire au plan économique « libéralisez vos
économies à tout prix », au plan politique « Démocratisez selon nos normes et
nos critères » et dans le cas du Mali « votez en juillet ». A cet agenda,
suffisamment périlleux, s’ajoute, à présent, le volet militaire « sécurisez vos
pays selon nos méthodes et conformément à nos intérêts ».
Sacrifié sur l’autel du commerce dit libre et concurrentiel, mais parfaitement
déloyal comme l’illustrent les filières cotonnière et aurifère, et sur celui de
la démocratie formelle, le Mali est en train de l’être, également, dans le cadre
de la lutte contre le terrorisme.
La rébellion du Mouvement Nationale de libération de l’Azawad (MNLA), le coup
d’Etat, et le recrutement des jeunes chômeurs et affamés au nord comme au sud du
pays par AQMI, Ansar Dine et MUJAO s’inscrivent dans un environnement national
explosif. Il a été marqué en fin 2011 et début 2012 par des marches de
protestations contre la vie chère, le chômage, la précarité, le référendum
constitutionnel, la question foncière, la corruption et l’impunité.
Mis à part la petite minorité des nouveaux riches, c’est le peuple malien qui
est le grand perdant de l’ouverture de l’économie nationale aux forceps. Il est
diverti par le discours mensonger et soporifique sur l’exemplarité de notre
démocratie et de nos performances économiques qui étaient semble-t-il les
meilleures de l’UEMOA. Les voix discordantes sont ostracisées.
DENI DE DEMOCRATIE
Démocratique à l’intérieur de ses frontières, lorsqu’on considère la teneur et
la vivacité du débat dans l’hémicycle et dans la rue sur le mariage pour tous,
par exemple, elle se montre intraitable dans ses relations avec le Mali. Ne pas
voir le moindre mal dans son retour en force. Ne rien savoir de ses desseins ou
faire semblant de ne pas savoir. Chanter et danser à sa gloire si l’on veut être
dans ses bonnes grâces, exister politiquement et circuler librement en Europe.
S’y refuser, reviendrait à ne pas être avec elle, donc contre elle. On se
croirait au lendemain des attentats du World Trade Center aux Etats-Unis
d’Amérique en 2001, au moment où le Président américain Georges W Bush déclarait
: « Ou bien on est avec nous, ou bien on est avec les terroristes ». Dans mon
cas ce sont les idées de gauche sur les ravages de la mondialisation néolibérale
en Afrique qui sont devenues subversives. Elles m’avaient pourtant valu d’être
l’invitée du Parti Socialiste à son université de la Rochelle en 2010.
Pour brouiller le sens de mon discours et de mon combat j’ai été qualifiée
d’abord de pro-putschiste et d’anti-CEDEAO, avant l’étape actuelle de mon
assignation à résidence. Je suis redevable à Karamoko Bamba du mouvement N’KO de
cette pensée africaine selon laquelle « celui qui a le fusil ne s’en sert pas
pour prendre le pouvoir. Et celui qui détient le pouvoir l’exerce dans l’intérêt
du peuple et sous son contrôle ».
Pourquoi devais-je faire porter l’entière responsabilité de l’effondrement de
l’Etat aux laissés-pour-compte d’une armée gangrenée, comme les autres
institutions de la République, par la corruption, le népotisme et l’impunité ?
Il ne peut être reproché aux militaires de ne pas savoir défendre un pays dont
les élites politiques et économiques, non seulement acceptent de l’ouvrir au
marché dans les pires conditions mais en profitent pour s’enrichir. Le naufrage
est d’abord le leur pour avoir revendiqué un modèle économique qui rime avec le
désengagement et le délitement de l’Etat, la ruine des paysans, la
clochardisation des troupes et le chômage endémique. S’ils n’avaient pas les
moyens d’appréhender les ravages du système dans les années 80, nos dirigeants
politiques ne peuvent plus l’ignorer au regard de l’impasse dans laquelle ce
système a conduit la Grèce, l’Espagne, le Portugal, Chypre et… la France, leur
mode de référence.
DE L’OSTRACISATION A LA CRIMINALISATION
C’est le 12 avril au moment de me rendre à Berlin à l’invitation de la gauche
allemande (Die Linke) et à Paris à celle du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA)
que j’ai appris que j’étais devenue persona non grata en Europe à la demande de
la France. Il en est de même pour Oumar Mariko, le Secrétaire général du parti
SADI (Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance). L’ambassade
d’Allemagne m’a donné un visa qui m’a permis de me rendre à Berlin en passant
par Istanbul (Turquie) au lieu d’Amsterdam (Pays-Bas) comme initialement prévu.
Quant à l’étape de Paris, elle a tout simplement été annulée.
J’ai pris connaissance de mon statut de persona non grata par le message suivant
qui m’a été adressé par la Fondation Rosa Luxembourg
« L’ambassade d’Allemagne à Bamako nous a informé ce matin que la condition
indispensable pour votre visa pour l’Allemagne est que vous ne voyagez pas via
un pays de Schengen. C’est pourquoi nous avons acheté un nouveau ticket (des
vols via Istanbul/Turquie) que vous trouvez ci-joint. Je suis désolé que de ce
fait vous n’avez pas la chance de rester trois jours à Paris. Mais l’ambassade
d’Allemagne nous a informé que la France a empêché qu’on vous donne un visa pour
tous les pays Schengen. On va venir vous chercher à l’aéroport à Berlin lundi. »
L’Association « Afrique Avenir » en co-organisatrice de l’une des conférences à
Berlin a protesté et ses principaux partenaires ont réagi à leur tour. Je
remercie tous ceux qui m’ont témoigné leur solidarité et rappelle ici le sens de
mon combat, pour ceux qui considèrent que la France a le droit de porter
atteinte à ma liberté de circulation en raison de mon désaccord avec Paris
lorsqu’il ne pratique que la politique de ses intérêts.
Qui peut me reprocher ce que les auteurs du rapport d’information du Sénat
français disent si clairement en ces termes « La France ne peut se désintéresser
de l’Afrique qui est, depuis des décennies, sa profondeur stratégique, qui sera
demain, plus peuplée que l’Inde et la Chine (en 2050, l’Afrique aura 1,8
milliards d’habitants contre 250 millions en 1950), qui recèle la plupart des
ressources naturelles, désormais raréfiées et qui connaît un décollage
économique, certes, inégal, mais sans précédent, qui n’est plus, seulement,
porté par l’envolée du cours des matières premières, mais aussi, par l’émergence
d’une véritable classe moyenne ».
Si le constat sur les enjeux démographiques et économiques est fondé, le «
décollage économique » auquel ce rapport fait allusion est incertain, source de
conflits parce qu’inégalitaire, ne profitant d’abord qu’aux entreprises
étrangères et à une partie de l’élite politique et économique.
Les enjeux de l’intervention militaire en cours sont : économiques (l’uranium,
donc le nucléaire et l’indépendance énergétique), sécuritaire (les menaces
d’attentats terroristes contre les intérêts des multinationales notamment AREVA,
les prises d’otages, le grand banditisme, notamment le narcotrafic et les ventes
d’armes), géopolitique (notamment la concurrence chinoise) et migratoires.
Quelle paix, quelle réconciliation et quelle reconstruction peut-on espérer
lorsque ces enjeux sont soigneusement cachés au peuple ?
L’INSTRUMENTALISATION DES FEMMES
L’interdiction de l’espace Schengen ne me vise pas en tant que femme mais elle
démontre que celles qui refusent d’être instrumentalisées dans la défense des
intérêts dominants peuvent être combattues. J’en fais la douloureuse expérience
au niveau national depuis longtemps déjà, mais ne m’attendais à être ostracisée
de la part du pays des droits de l’homme, précisément, au moment où mon pays est
en guerre. Il viole ainsi la résolution 1325, relative à la participation des
femmes à la prise de décision à tous les niveaux, à la prévention ou à la
résolution des conflits ainsi qu’à la reconstruction.
Dois-je rappeler que le 8 mars 2013, Journée Internationale des Femmes, le
Président François Hollande répondait à son prédécesseur, Nicolas Sarkozy qui
s’interrogeait sur la présence de l’armée française au Mali, qu’elle y est allée
« parce qu’il y avait des femmes victimes de l’oppression et de la barbarie !
Des femmes à qui l’on imposait de porter le voile ! Des femmes qui n’osaient
plus sortir de chez elles. Des femmes qui étaient battues ! ».
A propos de voile, je suis l’une des rescapées maliennes et sahéliennes de
l’analphabétisme qui tente de déchirer celui, pernicieux, de l’illettrisme
économique qui maintient les Africains dans l’ignorance la plus totale des
politiques néolibérales et fait d’eux du bétail électoral. Le Président Hollande
se montrerait-il si intraitable quant à la date de l’élection présidentielle au
Mali s’il avait devant lui un électorat malien qui place la souveraineté
économique, monétaire, politique et militaire au cœur du débat politique ?
A propos des femmes qui ‘’ n’osaient plus sortir de chez elles’’, je sortais
jusqu’ici librement de mon pays et parcourais tout aussi librement l’Europe et
le monde. Quelle que soit l’issue de la situation que je traverse en ce moment,
elle ne peut qu’être dissuasive pour les autres Maliennes et Africaines qui ont
envie de comprendre le monde global et de lutter pour ne pas le subir mais en
être des citoyennes averties et actives.
AIDE AU DEVELOPPEMENT OU A LA MILITARISATION
Au djihadisme armé il faut, semble-t-il, une solution armée. La voie est ainsi
ouverte dans un pays comme le nôtre aux achats d’armement au lieu d’analyser et
de soigner le radicalisme religieux qui prospère là où l’Etat, ajusté et
privatisé, est nécessairement carencé ou tout simplement absent.
Faire l’âne pour avoir du foin, est le comportement qui prévaut dans ce contexte
de pauvreté généralisée tant au niveau des Etats que de certaines organisations
non étatiques. Et la guerre -comble de l’horreur- est aussi une occasion
d’injecter de l’argent frais dans notre économie exsangue.
Déçue par les hésitations et les lenteurs de l’Europe dont la solidarité s’est
traduite jusqu’ici par la formation de l’armée malienne et de certains soutiens
bilatéraux, la France invite au partage de l’effort financier entre Européens
dans la défense de leurs intérêts stratégiques en Afrique de l’Ouest. D’autres
bailleurs de fonds y seront associés.
Le 15 mai 2013 à Bruxelles, les bailleurs de fonds examineront le plan d’actions
prioritaires d’urgence (pour 2013 et 2014). Les ressources qui seront mobilisées
(ou annoncées) profiteront-elles au peuple malien, qui ne sait plus où donner de
la tête ou irrigueront-elles les mêmes circuits économiques selon les mêmes
pratiques qui ont aggravé la pauvreté et les inégalités.
Dans le cadre de la reprise de la Coopération, le ministre français délégué
auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du Développement annonce 240
millions d’euros destinés à financer l’agriculture, les services de bases dont
l’eau et l’électricité dans les régions du nord, le retour des populations.
C’est le lieu de rappeler que Tripoli la capitale Libyenne a abrité, les 29 et
30 novembre 2010, le Troisième Sommet Afrique-UE où le Guide libyen, Mouammar
Kadhafi, a accueilli, en grande pompe, les dirigeants de 80 pays africains et
européens.
La création d’emplois, les investissements et la croissance économique, la paix,
la stabilité, les migrations et le changement climatique étaient à l’ordre du
jour de ce sommet. Les participants s’étaient mis d’accord sur un « plan
d’action » pour un Partenariat Afrique-UE de 2011 à 2013.
L’UE a, à cette occasion, réaffirmé son engagement à consacrer 07% de son PNB à
l’aide publique et au développement d’ici 2015 et d’affecter 50 milliards
d’euros aux objectifs généraux du partenariat envisagé entre 2011 et 2013. Nous
sommes en 2013 et fort loin des objectifs de développement du Millénaire et des
voies et moyens de les atteindre en 2020. Car le ver dans le fruit.
La paix, la réconciliation et la reconstruction du Mali, n’ont aucune chance
d’aboutir si elles doivent reposer sur des arrangements politiciens en vue
d’engranger l’ « aide extérieure ».
L’Etat, ou ce qui en reste ainsi que les rebelles se battent et négocient dans
le cadre du même paradigme qui a aggravé le chômage, la pauvreté et les
tensions. Les différends se règlent en termes d’investissement, dans les
infrastructures, le lieu par excellence de l’enrichissement rapide et de la
corruption. La liste des travaux d’infrastructures mal exécutés ou non réalisés
est longue. Elle explique en partie le mécontentement des populations du
septentrion qui souffrent pendant que des maisons individuelles poussent au su
et au vu de tout le monde grâce aux détournements de fonds et l’argent du
narcotrafic.
OSONS UNE AUTRE ECONOMIE
Rien ne sera plus comme avant. Ce qui était difficile risque de l’être davantage
avec la militarisation qui absorbera des ressources dont nous avons cruellement
besoin pour l’agriculture, l’eau, la santé, le logement, l’environnement et
l’emploi.
Opération Serval, Mission Internationale de Soutien au Mali (MISMA), Mission
Intégrée de Stabilisation Multidimensionnelle des Nations-Unies, la défense de
notre pays et notre sécurité, avant d’être militaire, est d’abord un défi
intellectuel, moral et politique.
Je me suis reconnue dans les propos du candidat François Hollande lorsqu’il
déclara qu’ « il est temps de choisir une autre voie. Il est temps de choisir
une autre politique ». Ce temps est, assurément, venu et pour la France et pour
ses anciennes colonies d’Afrique. Il est celui des transitions économiques,
sociales, politiques, écologiques et civilisationnelles qui n’ont rien à voir
avec la feuille de route de la « communauté internationale ». Elles renvoient à
un changement de paradigme.
Que les dirigeants africains qui ont intériorisé le discours mensonger sur
l’inéluctabilité de cette guerre afin d’en finir le péril djihadiste ne s’y
trompent pas : l’effet de contagion qu’ils redoutent, tient moins à la mobilité
des djihadistes qu’à la similitude des réalités économiques, sociales et
politiques induites par le modèle néolibéral.
Si les chefs djihadistes viennent d’ailleurs, la majorité des combattants sont
des jeunes maliens sans emplois, sans interlocuteurs, sans perspectives
d’avenir. Les narcotrafiquants puisent, eux-aussi, convoyeurs et revendeurs de
drogue parmi la même jeunesse désemparée.
La misère morale et matérielle des jeunes diplômés, des paysans, des éleveurs et
d’autres groupes vulnérables constitue le véritable ferment des révoltes et des
rebellions qui, mal interprétées, alimentent, de l’intérieur bien des réseaux.
La lutte contre le terrorisme et le crime organisé, sans effusion de sang, au
Mali et en Afrique de l’Ouest passe par l’analyse honnête et rigoureuse du bilan
des trois dernières décennies de libéralisme sauvage, de destruction du tissu
économique et social ainsi que des écosystèmes. Rien n’empêche les centaines de
milliers de jeunes Maliens, Nigériens, Tchadiens, Sénégalais, Mauritaniens et
autres, qui viennent chaque année grossir le nombre des demandeurs d’emploi et
de visas, de rejoindre le rang des djihadistes si les Etats et leurs partenaires
techniques et financiers ne sont pas capables de remettre le modèle néolibéral
en question.
L’INDISPENSABLE CONVERGENCE DES LUTTES
Je plaide pour un élan de solidarité qui prenne le contre-pied de la
militarisation, nous restitue notre dignité, préserve la vie et les écosystèmes.
Tout irait dans le bon sens si les 15.000 soldats étaient des enseignants, des
médecins, des ingénieurs et si les milliards d’euros, qui vont être dépensés,
étaient destinés à ceux et celles qui ont le plus besoin. Nos enfants n’auraient
pas besoin d’aller se faire tuer en soldats mal payés, en narcotrafiquants ou en
fous de Dieu.
Nous nous devons de nous atteler, nous-mêmes à la tâche primordiale de la
transformation de notre moi profond, ébranlé et de notre pays meurtri.
L’avantage considérable de l’approche systémique est la détribalisation des
conflits au profit d’une conscience politique qui réconcilie et rassemble ceux
que l’économie mondialisée broie. Touareg, Peulh, Arabes, Bamanan, Sonrhaï,
Bellah, Sénoufos cesseraient de s’en prendre les uns aux autres et se battraient
ensemble et autrement.
Cette approche altermondialiste nous rend notre « dignité » dans un contexte où
nous avons tendance à culpabiliser et à nous en remettre, poings et pieds liés,
à une « communauté internationale » juge et partie.
Elle plaide pour la convergence des luttes à l’intérieur des frontières entre
les différentes composantes de la société éprouvées par la barbarie du système
capitaliste qui ne veulent ni se résigner ni se soumettre. Elles doivent
explorer ensemble des alternatives à la guerre.
Les Etats libéraux ayant privilégié la guerre et investi dans les armes de
destruction des vies humaines, du lien social et des écosystèmes, innovons à
travers la bataille des idées et convoquons une conférence citoyenne au sommet
pour l’autre développement du Mali, en vue de desserrer l’étau de la
mondialisation capitaliste. Il s’agit d’instaurer le débat sur la relation entre
politiques néolibérales et chaque aspect de la crise : chômage endémique des
jeunes, rébellions, mutineries, coups d’Etat, violences faites aux femmes,
radicalisme religieux.
Un travail inédit et intense d’information et d’éducation citoyenne dans les
langues nationales, permettra aux Maliens de parler enfin entre eux de leur pays
et de leur avenir.
Parce que tous les Hommes naissent libres et égaux en droits, nous revendiquons
juste notre droit à :
un autre économie, de manière à disposer des richesses de notre pays, et à
choisir librement des politiques qui nous mettent à l’abri du chômage, de la
pauvreté, de l’errance et de la guerre ;
un système politique véritablement démocratique, parce que intelligible pour
l’ensemble des Maliens, décliné et débattu dans les langues nationales, fondé
sur des valeurs de culture et de société largement partagées ;
la liberté d’expression et de circulation.
RENDEZ-NOUS LES CLES DE NOTRE PAYS !
La France officielle qui déclare urbi et orbi que nous n’avons « pas d’Etat
digne de ce nom », ni « d’armée digne de ce nom », considère certainement que
nous n’avons pas non plus d’existence en tant que peuple pour aller jusqu’à se
demander « à qui remettre les clés » et à exiger l’organisation de nos élections
en juillet 2013. Elle s’accommode par ailleurs de l’annulation de la
concertation nationale – qui devait nous permettre de prendre ensemble entre
Maliens le pouls de notre pays. Elle s’accommode tout autant de l’état d’urgence
instauré, puis prolongé une première fois, et une seconde fois de manière à «
sécuriser » la transition.
Je n’ai pas le sentiment que la « guerre contre le terrorisme » ait apporté la
paix en Irak, en Afghanistan et en Libye, et que les casques bleus ont su
garantir aux populations de la République Démocratique du Congo et en Haïti la
sécurité que celles-ci étaient en droit d’attendre d’eux.
Mais je suis persuadée qu’il y a en chaque Malienne et chaque Malien un(e)
soldat(e), un(e) patriote qui doit pouvoir participer à la défense de ses
intérêts et du Mali à partir d’une bonne connaissance de son état réel dans
l’économie mondialisée.
La réponse à l’insupportable question de Claude Lellouche est claire : le Mali
est à rendre aux Maliens. Nous pouvons-en prendre le plus grand soin parce que,
comme Bouna Boukary Dioura l’a rappelé, nous savons, nous les peuples du Sahel
que les rochers finissent par fleurir à force d’amour et de persévérance.
Aminata D. Traoré, Bamako le 03 mai 2013
Source:http://mondialisation.ca/
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