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France - Libye : bienvenue à Tripolar !

Durant les années Sarkozy et jusqu'à la chute de Kaddafi, plusieurs proches du président français et du "Guide" libyen ont grenouillé en eau trouble. Aujourd'hui, quelques secrets remontent à la surface.

 

 


Mouammar Kaddafi recevant Nicolas Sarkozy à Tripoli,
 le 25 juillet 2007.

 


Des maîtres espions, des grands flics, une rabatteuse... Au temps du partenariat entre Nicolas Sarkozy et Mouammar Kaddafi (2002-2011), il y avait de tout dans le petit monde franco-libyen. La France voulait vendre ses avions Rafale, et la Libye se racheter une conduite. Mais pas seulement. Aujourd'hui, l'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine accuse Sarkozy d'avoir fait financer sa campagne présidentielle de 2007 par la Libye à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros. « Claude Guéant donnait à Béchir Salah [l'un des trésoriers de Kaddafi, NDLR] les indications bancaires nécessaires aux virements », précise-t-il. L'ex-bras droit du chef de l'État français dément catégoriquement. « Je n'ai jamais vu de trace de financement libyen en France », clame-t-il depuis deux semaines. Les deux juges parisiens chargés de l'enquête viennent de découvrir qu'il avait touché 500 000 euros de l'étranger. « Cet argent vient de la vente, en 2008, de deux tableaux de maître à un avocat malaisien », réplique Guéant. Nul doute, désormais, que les juges vont chercher à entendre quelques acteurs clés du micmac franco-libyen.

 

 


Seif el-Islam Kaddafi.

 


Les deux dignitaires libyens les plus disposés à parler sont certainement Seif el-Islam Kaddafi , le fils et dauphin désigné du « Guide » - actuellement aux mains de la milice de Zintan, en Libye -, et Mahmoudi al-Baghdadi , l'ex-Premier ministre, extradé de la Tunisie vers la Libye en juin 2012. Tous deux accusent l'ancien président français d'avoir été « cadeauté » par Kaddafi. « Il faut que Sarkozy rende l'argent », dit Seif. « Sarkozy n'était pas le seul, et l'argent transitait par la Suisse », précise Baghdadi. La Suisse... C'est justement à Genève que Béchir Salah avait installé la filiale européenne du Libya Africa Investment Portfolio (LAP), le fonds souverain qui pesait quelque 6 milliards d'euros.


Agent double ?

 

 


Béchir Salah.

 


Petit, moustachu, polyglotte, Béchir Salah , 67 ans, est un Toubou du sud de la Libye que Kaddafi appelait « le Noir ». Au temps de sa gloire, il roulait en Rolls et son fils en Ferrari. Quand le colonel voulait être sûr de « gagner » une élection africaine, Salah était la cash machine qui finançait sans états d'âme tous les favoris. Et dans la subtile mécanique Kaddafi-Sarkozy, Salah était l'un des rouages essentiels. En mai 2007, quelques jours après son élection, le Français appelle le numéro un libyen : « Qui est la personne que je pourrais rencontrer pour échanger avec elle sur des questions délicates ? » « Béchir, répond Kaddafi. Il parle le français et vous pouvez vous entendre directement. »

La libération des infirmières bulgares, les contrats d'armement... Béchir Salah était de tous les gros coups. Du côté de la « sarkozie », il avait deux partenaires, qui eux-mêmes se livraient une compétition féroce dans le business du courtage : Ziad Takieddine et le Franco-Algérien Alexandre Djouhri , dont le pays de résidence est... la Suisse.

Béchir Salah, agent double ? Probablement. En août 2011, au moment de la chute du régime Kaddafi, il n'est pas inquiété par les rebelles libyens, qui l'exfiltrent vers la Tunisie puis la France, où vit son épouse libanaise, non loin de la frontière suisse. Quand Tripoli finit par le réclamer, Sarkozy, qui se bat pour sa réélection, juge plus prudent de l'éloigner. Le 3 mai 2012, trois jours avant le second tour de la présidentielle française, Guéant charge Alexandre Djouhri et Bernard Squarcini , le patron des services secrets français, de convaincre Salah de disparaître dans la nature. Comme dans un thriller américain, le rendez-vous est fixé à 18 heures devant le pilier est de la tour Eiffel, au milieu des touristes. Deux heures plus tard, Salah est dans un jet qui décolle pour l'Afrique.


Plus Français encore...

 

 


Moussa Koussa.

 



Encore plus « français » que Béchir Salah, il y a un autre dignitaire libyen. Grand, discret et toujours tiré à quatre épingles, Moussa Koussa , 63 ans, est un Tripolitain de bonne famille qui, après un diplôme aux États-Unis, a fait toute sa carrière dans les renseignements. À partir de 1999, c'est l'homme du dégel entre Tripoli et l'Occident. Et quand Nicolas Sarkozy arrive à l'Intérieur, en 2002, il devient l'interlocuteur des services français dans la lutte antiterroriste. À deux reprises, le ministre Sarkozy l'accueille dans son bureau, place Beauvau, à Paris. Il lui présente son directeur de cabinet, Claude Guéant, et son conseiller diplomatique, l'arabisant Boris Boillon . C'est lors de leur seconde rencontre, à la fin de 2006, que Koussa et Sarkozy mettent au point le scénario qui aboutira, en juillet 2007, au voyage de Cécilia Sarkozy à Tripoli pour faire libérer les infirmières bulgares.

Une fois Sarkozy à l'Élysée, Koussa et Guéant deviennent les stratèges de la relation franco-libyenne. Entre les deux hommes, la confiance est telle que, en juin 2008, la France accorde au Libyen une carte de résident pour dix ans. Une faveur exceptionnelle que n'obtiendra jamais Béchir Salah. Au début de la révolution libyenne, en mars 2011, le maître espion - devenu entre-temps ministre des Affaires étrangères - s'enfuit de Tripoli via Djerba, sans doute avec l'aide du nouvel ambassadeur de France à Tunis, Boris Boillon. Comme Béchir Salah, il est aussitôt pris en charge par les Occidentaux - en l'occurrence les Britanniques -, qui le mettent à l'abri de toute poursuite judiciaire. Plus on détient de secrets, plus on est protégé...


Voyages à Tripoli

 

 


Cécilia Attias.

 



Entre 2007 et 2011, de nombreux hauts fonctionnaires et chefs d'entreprise français font le voyage de Tripoli. C'est aussi l'époque où Cécilia Sarkozy y retourne avec son nouveau mari, Richard Attias, l'organisateur de forums internationaux. Elle l'introduit notamment auprès de Seif el-Islam. Côté libyen, deux anciens partenaires de la France reprennent du service : Ali Triki, le diplomate chevronné qui a ses entrées au Quai d'Orsay, et le vieux et truculent général Youssef Debri, l'un des membres de la junte de 1969 qui avaient convaincu Kaddafi d'acheter des avions Mirage à la France de Georges Pompidou... Plus discret, Choukri Ghanem, le richissime ministre du Pétrole, multiplie les contacts avec Total et les autres compagnies européennes. En avril 2012, son cadavre est repêché dans le Danube, à Vienne. « Mort noyé après avoir été foudroyé par une crise cardiaque », conclut la justice autrichienne. À Tripoli, personne n'y croit. Ses secrets étaient-ils si lourds qu'ils ont coulé avec lui ?

En décembre 2007, c'est l'apothéose. Kaddafi est en visite officielle à Paris pendant cinq jours - et quatre nuits. Il plante sa tente bédouine dans le parc de l'hôtel Marigny, à côté de l'Élysée. Dans sa délégation, la directrice du protocole, Mabrouka Chérif , lui organise plusieurs rencontres privées. En réalité, depuis de longues années, elle est la rabatteuse chargée de repérer des jeunes femmes et de les amener dans le lit du « Guide ». Entre la France et la Libye, il reste une saga à écrire.

- Crédits photos : AFP, SIPA, Vincent Fournier pour J.A

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Que sont-ils devenus ?

De bonne source, après son exfiltration de France, en mai 2012, Béchir Salah s'est réfugié au Swaziland avec l'accord des autorités sud-africaines. Fin mars 2013, il a été aperçu dans les coulisses du sommet des Brics, à Durban. Le mois dernier, il a reçu la visite d'une société américaine, en contrat avec Tripoli, qui cherche à rapatrier les fonds du régime Kaddafi placés à l'étranger. Un temps, il a disposé d'un passeport diplomatique du Niger. Récemment, sa présence a été signalée aussi à Nouakchott, en Mauritanie. Depuis mars 2012, l'ex-trésorier du défunt « Guide » fait l'objet d'une notice rouge, diffusée par Interpol, en vue de son extradition vers Tripoli, qui le réclame pour « fraude».

Après sa fuite via Djerba, en mars 2011, Moussa Koussa s'est posé quelques jours à Londres, où il a été « débriefé » par les services britanniques. En échange, le Qatar, allié à l'Otan contre le régime Kaddafi, lui a offert l'hospitalité. Aux dernières nouvelles, il est toujours à Doha.

Lors de la chute du dictateur libyen, en août 2011, Mabrouka Chérif, qui est d'origine touarègue, s'est enfuie en Algérie. Aujourd'hui, elle circule entre le Sud algérien et Ghat, la ville du Sud libyen où vit sa famille. C.B.


Source:Jeuneafrique

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