INTERVIEW - Le chef du parti islamiste Ennahda commente les récents heurts entre salafistes et policiers.
Rached Ghannouchi Crédits photo : FETHI BELAID/AFP
LE FIGARO. - Quel est votre sentiment après cette journée
de violences?
Rached GHANNOUCHI - C'était un test sur l'application de la loi et c'est
une victoire pour l'État. Je félicite la police et l'armée d'avoir réussi à
récupérer leur autorité.
Faut-il éradiquer les djihadistes?
Non, je pense qu'un tri se fera entre les franges modérées qui refusent de
s'opposer à l'État et les autres. Ces derniers iront vers l'isolement, comme
ceux qui l'ont précédé - que ce soient les mouvements gauchistes, nationalistes
et islamistes dans les années 1970. Tous, au début, ils se rebellaient contre
l'État. Et finalement ils ont accepté son principe. Le problème c'est que l'État
n'a pas reconnu ces mouvements. C'est pourquoi il a chuté.
Ne craignez-vous pas une réponse violente à cette
répression?
Peut-être. Mais ils se mettraient encore plus en difficulté. Et cela remonterait
le peuple contre eux et augmenterait leur marginalisation. Pour éviter d'en
arriver là, il faudrait résoudre des problèmes de développement. Le phénomène
djihadiste se développe dans les zones les plus pauvres, au développement
desquelles l'État devrait donner plus d'importance.
Quel est le programme d'Ennahda pour cela?
Le programme du gouvernement sous Ben Ali était tourné à 80 % vers le
développement des zones côtières et 20 % vers l'intérieur. Aujourd'hui c'est
l'inverse. On s'oriente vers une économie sociale. Il ne faut pas se contenter
des efforts de l'État: l'argent des familles Trabelsi-Ben Ali doit être investi
dans ces régions.
Vous dites développer l'intérieur des terres mais, sur
place, beaucoup se plaignent de ne rien voir.
C'est vrai. Mais ce qui a été détruit en 50 ans ne peut pas être réparé en 2
ans. Il y a un projet de réaliser une infrastructure de base. De construire une
autoroute de la capitale vers Kasserine, Kairouan, Sidi Bouzid, Gafsa.
Deux enregistrements prouvent que vous tenez un double
discours entre ce que vous affirmez en public et ce que vous dites aux
salafistes…
Il n'y a pas de double discours. Moi j'essayais de convaincre les salafistes
pour qu'ils travaillent au sein de la société civile. Je leur ai dit que l'État
est fort et qu'il allait les écraser. Ils n'ont pas entendu.
Allez-vous toujours appeler les salafistes «mes enfants»?
Je considère qu'ils sont les enfants de la Tunisie. Et certains de vos enfants
sont droits, d'autres pas. On doit essayer de les récupérer. Pour cela il faut
dialoguer. Ce que l'on vit aujourd'hui, ça n'est pas le fruit de la Révolution
mais celui de Ben Ali. La Tunisie est devenue une destination pour des vagues de
salafistes de l'étranger parce que les régimes de Bourguiba et de Ben Ali ont
fait du pays un terrain fragile.
Source:Le Figaro
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