Victimes collatérales de la chute de Kaddafi, puis acteurs de l'intervention militaire au Mali, les présidents Issoufou et Déby Itno sont plus que jamais dans le collimateur des jihadistes.
Débris du véhicule piégé utilisé pour l'attentat du 23
mai.
Silence dans les rangs des officiels nigériens. On évite, désormais, d'accuser
publiquement la Libye d'héberger les groupes terroristes de la région. Même en «
off », la réserve est de mise. « Ce n'est pas le moment d'envenimer la
situation. On veut calmer le jeu », explique un diplomate nigérien. Ces
dernières semaines, ce proche du président Mahamadou Issoufou n'a cessé
d'alerter sur la menace qui se constitue dans le sud de la Libye, une zone de
non-droit décrite par de nombreux experts comme « le nouveau sanctuaire des
jihadistes ». Mais depuis quelques jours, il fait profil bas. Le ton entre les
deux voisins est monté trop haut, trop vite.
La première anicroche a eu lieu le 26 mai à Addis-Abeba, trois jours après le
double attentat d'Arlit et d'Agadez (35 morts, dont une majorité de soldats et
une dizaine de jihadistes) qui a été revendiqué, à quelques heures d'intervalle,
par le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) puis
par Les Signataires par le sang, le groupe de l'Algérien Mokhtar Belmokhtar.
Dans le huis clos des chefs d'État et de gouvernement du sommet de l'Union
africaine, le ministre nigérien des Affaires étrangères, Mohamed Bazoum, a
dénoncé l'incapacité de Tripoli à contrôler ses frontières méridionales.
Le lendemain, nouvelle passe d'armes. À Agadez, où il est venu constater
l'extrême violence de l'attaque qui a été menée par les kamikazes contre une
garnison de l'armée, Issoufou pointe une nouvelle fois du doigt la Libye, d'où,
dit-il, seraient venus les assaillants. Ces attaques, accuse-t-il, confirment
que « la Libye continue d'être une source de déstabilisation pour les pays du
Sahel ». Rien de neuf : il le répète depuis la chute de Mouammar Kaddafi.
Quelques heures plus tard, le Premier ministre libyen, Ali Zeidan, en visite à
Bruxelles, contre-attaque. Rien ne prouve que les auteurs de ce double attentat
venaient de Libye, se défend-il, avant d'assurer que son pays « n'est pas un
foyer de terrorisme ».
Arsenal
Vaine défense. Personne ne doute, aujourd'hui, de la présence dans le Sud libyen
d'un grand nombre de groupes jihadistes armés. « Il est difficile de dire qui
s'y trouve, et où. Mais il est certain que des groupes s'y sont reconstitués »,
estime Mathieu Pellerin, chercheur associé à l'Institut français des relations
internationales. Outre une bonne partie de l'arsenal que Kaddafi s'était
constitué avant sa chute, et de nombreux camps d'entraînement qui ont servi de
base pendant des années aux rebelles touaregs nigériens et maliens armés par le
« Guide », on y croise des Soudanais, des Égyptiens, des Tunisiens, des Libyens
évidemment, et certainement aussi des Algériens, des Nigériens, des Maliens...
Depuis que les autorités algériennes ont bouclé leur frontière avec le Mali,
quelques jours après le début de l'opération Serval lancée par la France, la
Libye - via le nord du Niger et notamment la passe de Salvador, un passage
obligé (mais extrêmement difficile à surveiller) qui se situe à la jonction des
frontières nigérienne, algérienne et libyenne - est leur seul refuge.
Aqmi
Le plus dur est de franchir la passe. Pour ce faire, les jihadistes ont déjoué
l'étroite surveillance aérienne menée dans la zone par les Algériens, les
Nigériens, les Français et les Américains à l'aide d'avions de reconnaissance et
de drones. « Ils forment de petits convois de un, deux ou trois pick-up pour ne
pas être repérés. Certains se déplacent même à dos de chameau, confie le
ministre nigérien de la Défense, Mahamadou Karidjo. Malgré tous nos efforts,
nous ne pouvons pas faire grand-chose. Il est très difficile de surveiller un
territoire aussi vaste et des frontières aussi poreuses. »
De fait, la présence en Libye des éléments d'Al-Qaïda au Maghreb islamique
(Aqmi) ne fait plus guère de doute. Les liens de ce groupe avec les jihadistes
libyens sont anciens. Deux des figures d'Aqmi, Abou Zeid (donné pour mort par le
Tchad et la France) et Mokhtar Belmokhtar (dont la mort, annoncée par N'Djamena,
reste à confirmer), avaient été aperçues dans la province du Fezzan en 2011.
Belmokhtar s'y était même installé un temps, près d'Oubari, dans le Sud-Ouest,
peut-être dans l'optique de s'y constituer une base de repli. Tous les
observateurs remarquent que le double attentat d'Arlit et d'Agadez porte sa
signature. « C'est le même procédé qu'à In Amenas », indique une source
sécuritaire française. Revendiqué par Belmokhtar, l'assaut meurtrier du site
gazier algérien, le 16 janvier, « aurait été totalement impossible sans une
coordination étroite avec les cellules jihadistes libyennes », notait il y a
quelques semaines un expert dans ces mêmes colonnes.
En revanche, la présence d'éléments du Mujao est moins certaine. Les services de
renseignements occidentaux situent leurs points de chute au Niger, en Algérie,
peut-être même au Tchad et au Soudan (sans compter ceux qui se terrent au Mali),
mais pas en Libye. Les spécialistes rappellent en outre que les liens entre le
Mujao et Aqmi sont ténus.
Sur place, si l'on en croit les informateurs des autorités nigériennes qui
vivent dans cette zone - des Touaregs et des Toubous principalement -, c'est un
paradis sur terre pour les troupes de l'internationale jihadiste. « Le Sud
libyen est un territoire où règne l'anarchie, contrôlé par des milices
touarègues, touboues et arabes », glisse une source sécuritaire nigérienne. Ces
milices n'ont rien d'islamiste et ne voient pas d'un très bon oeil cette arrivée
massive susceptible de faire capoter leurs trafics de cigarettes, de drogue et
d'armes. Mais elles ne veulent pas d'une confrontation avec ces nouveaux venus
redoutablement armés.
Les jihadistes, qui bénéficient de complicités jusqu'à Tripoli, y font donc ce
qu'ils veulent. Ils s'y procurent des armes, pour la plupart issues de l'arsenal
de l'armée kaddafiste, et réinvestissent les camps d'entraînement laissés à
l'abandon depuis la chute du « Guide ».
Les services de renseignements nigériens situent le gros des troupes de cette
nébuleuse dans les régions de Sebha et d'Oubari. Mais leur QG se trouverait bien
plus au nord, au bord de la mer Méditerranée, dans la région de Benghazi. Rien
de surprenant : les ramifications entre le Sud et la côte est, où l'on trouve de
nombreux groupes jihadistes, sont connues.
Coopération
À Niamey, on est ainsi persuadé que le double attentat du 23 mai a été fomenté à
Derna, l'ancienne capitale de la province de Cyrénaïque située à l'est de
Benghazi, bien loin d'Arlit et d'Agadez. Une dizaine de jours avant l'offensive
éclair, combattants de retour du Mali et jihadistes libyens s'y seraient réunis
pour identifier les cibles à atteindre tant au Niger qu'au Tchad. Ordre aurait
été donné d'attaquer les intérêts des deux pays les plus impliqués dans
l'intervention armée au Mali, en partie responsables de leur débandade.
Au Niger, où l'enquête sur les attentats progresse dans le plus grand secret,
voilà plusieurs mois que l'on tente de se rapprocher de Tripoli. Niamey
souhaiterait notamment mettre en place des patrouilles mixtes avec la Libye, à
l'instar de ce qui se fait depuis quelques mois au sud, avec le Nigeria. Mais il
n'y a rien à faire. « On n'a pas de contacts. Il n'y a pas d'autorité en Libye
», déplore un diplomate. Selon lui, le temps presse. « On savait qu'il y aurait
un risque un jour. Mais on ne pensait pas qu'il se matérialiserait si vite. On
n'imaginait pas que les jihadistes pourraient se reconstituer aussi rapidement.
Et cela n'aurait jamais été possible s'ils n'avaient pu bénéficier d'un tel
sanctuaire. »
Source:jeuneafrique.com
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