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Ambeiry Ag Ghissa:"Les populations nomades ne se sentent plus concernées par le Mali"

Le Monde a rencontré, à Kidal, Ambeiry Ag Ghissa, membre du Conseil transitoire de l'Etat de l'Azawad (CTEA) et référent politique du mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA). Il est membre de la délégation touareg, dont la principale composante est le MNLA, qui négocie depuis le 1er juin, au Burkina Faso, à Ouagadougou, avec l'émissaire de Bamako, Tiébilé Dramé, sous les auspices du médiateur burkinabé, les conditions d'organisation de l'élection présidentielle malienne du 28 juillet et le statut de la ville de Kidal, contrôlée aujourd'hui par les seuls touareg et dont Bamako exige le retour sous le drapeau malien.

 

 

 


Qu'attendez-vous de cette négociation au Burkina Faso, qui signe les premiers contacts officiels entre votre mouvement et le Mali depuis votre conquête militaire du nord du Mali en 2012 ?

L'idée est de poser les bases d'un dialogue qui pourrait, nous l'espérons, permettre d'évoquer le principe d'un cessez-le-feu avec Bamako. Mais, la priorité sera de voir dans quelle mesure l'élection présidentielle peut être organisée le 28 juillet, comme cela est voulu par la France et le Mali. Pour qu'une élection se tienne, il faut des votants, des candidats et de la sécurité, or, dans tout le nord du pays, il n'y a aucun de ces trois éléments. Les populations nomades ne se sentent plus concernées par le Mali. Nous n'avons plus de marque de respect à montrer au Mali au regard de ce qui a été fait contre nous depuis cinquante ans.


En imposant ce calendrier électoral, avez-vous le sentiment que la France veut tordre le bras des acteurs de la crise malienne pour se sortir d'un piège d'enlisement, et conserver le bénéfice politique d'une intervention perçue comme réussie ?

Cinq mois après son intervention militaire, la France s'est enlisée sur le terrain diplomatique. Elle est arrivée au maximum de ce qu'elle pouvait faire et elle veut vite passer la main à la communauté internationale. Mais son erreur politique, c'est d'avoir servi de cheval de Troie à l'armée malienne en lui permettant de remettre les pieds à Tombouctou, Gao et Ménaka. En agissant ainsi, Paris a remis Bamako en scène. Nous ne sommes pas dupes, Paris ne veut pas voir dans toutes ses ex-colonies de la région surgir des revendications territoriales comme la nôtre. Il n'y a qu'à penser à la Casamance. La France se dit : "si on lâche sur l'Azawad, la région va exploser", c'est l'héritage d'un découpage colonial arbitraire.


Mais le Mali et la France justifient cette reconquête par l'intégrité territoriale d'un Etat, un droit reconnu et défendu par les textes internationaux. Vous vous mettez hors la loi ?

Pourquoi la France tient-elle tant à l'intégrité territoriale ? Nous ne l'avons pas touchée, nous avons renoncé, en 2012, à l'indépendance. Le droit international n'agit que pour les Etats et jamais pour les peuples. Nous, Touaregs, sommes nés avant le droit international. Quand les Etats-Unis ont conquis leur indépendance en arrachant leur terre aux Britanniques, il était où le droit international ? Et maintenant, Washington est le gendarme du monde. A moins que la France et la communauté internationale ne se liguent contre le MNLA, on ne doit plus lui tordre la main. Nous avons déjà fait beaucoup.


Vous allez négocier avec Bamako, et pendant ce temps, l'armée malienne reprend peu à peu le contrôle de territoire que vous aviez conquis, par la force, comme Ménaka et Anéfis, récemment. Elle semble désireuse de remonter vers Kidal que vous administrez. Accepterez-vous de lâcher Kidal ?

Nous avons dit à l'ONU, qui est venue nous voir, que nous souhaitions que la Mali ne dépasse pas les limites actuelles. S'ils remontent à Kidal, l'ensemble de la population fera front. Nous sommes prêts à discuter, mais pas à tout lâcher. Si nous acceptons, que nous restera-t-il après pour négocier ? Nous sommes de bonne foi.


Vous avez aidé la France dans sa guerre contre les islamistes depuis l'offensive du 11 janvier. Pensez-vous que cela suffise pour faire de vous un acteur politique à part entière face au processus validé par la communauté internationale de restauration de l'autorité de l'Etat malien ?

La vérité officielle, c'est l'Etat du Mali ! Nous fondons, pour notre part, beaucoup d'espoir sur le fait d'avoir abandonné notre revendication d'indépendance. C'est une concession majeure, qui ne peut rester lettre morte. Et il est inutile de cantonner la réponse politique à des questions de développement et d'argent si les milliards promis doivent, de nouveau, ne bénéficier qu'au sud du pays et nous laisser dans une situation injuste, qui est la source de nos révoltes. Il faut que la réponse soit politique. Nous n'accepterons rien en deçà d'un fédéralisme bien pesé. Si le Mali revient avec son idée de décentralisation, qui ne nous donne aucun statut particulier, cela ne sert à rien.


Finalement, après avoir combattu les islamistes, la France doit gérer un conflit insoluble depuis cinquante ans entre les Touareg et le pouvoir de Bamako pour pouvoir se désengager. Cela ressemble à un piège...

Les plaies entre le nord et le sud sont très profondes, surtout à Kidal. Depuis l'indépendance, on a l'impression que l'armée malienne veut surtout faire souffrir cette région. Pour que les casques bleus et l'ONU viennent ici le 1er juillet, il faut la sécurité. Or tant que nos droits ne seront pas protégés dans des conditions acceptables, rien ne pourra se faire, et donc la France sera obligée de continuer à s'impliquer si elle ne veut pas perdre le bénéfice de son engagement.


On entend, à Paris, qu'à Kidal, un simple drapeau malien, quelques gendarmes maliens et des bureaux de vote suffiraient pour apaiser les esprits. Est-ce imaginable ?

Non, ce serait du bricolage.


Si le MNLA est contraint, par la France et le Mali, de céder sur Kidal et sur ses revendications, faut-il craindre que vous alliez rejoindre les rangs des islamistes en guerre contre Paris et Bamako ?

Si aucune des demandes du MNLA ne devait être satisfaite, vous verriez le contraire se produire. Les pick-ups de ceux que nous affrontons aujourd'hui, Ansar Dine (devenu MIA), le Mujao et AQMI, se couvriraient de drapeaux de l'Azawad, les couleurs touareg et du MNLA.

Jacques Follorou

Source:Le Monde.fr

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