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Stefaan Marysse : "L'économie de la RD Congo reste dirigée en fonction des besoins de l'extérieur"

Chercheur au Centre d’études sur la région des grands lacs de l’Université d’Anvers, Stefaan Marysse suit depuis quinze ans l’économie congolaise. Selon lui, la RD Congo a entamé les premiers pas d’une reconstruction qui pourrait l’aider à se relever.

 

 


Depuis près de 15 ans, le chercheur belge donne des cours
 à l'Université de Kinshasa.

 

 


Le professeur belge Stefaan Marysse est chercheur dans le Centre d’études sur la région des grands lacs de l’Université d’Anvers. Il n’est pas un novice de la situation économique et sociale en République démocratique du Congo. Depuis près de 15 ans, le chercheur belge encadre les enseignants et donne cours à l’Université de Kinshasa. La plupart de ministres congolais qui s’occupent des secteurs économiques, il les a connus « à travers leurs recherches, plutôt que dans leurs bureaux », confie-t-il.
Après son intervention au premier Forum économique international de Kinshasa, qui s’est tenu du 6 au 7 juin, Stefaan Marysse fait le point sur l’état actuel de la RD Congo dont le gouvernement est dirigé, selon ses propres mots, par les « réformateurs ».

Propos recueillis à Kinshasa par Trésor Kibangula


Jeune Afrique : Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’évolution de la situation économique et sociale de ces deux dernières décennies en RD Congo ?

Stefaan Marysse - Le Congo ressemble à un verre, à moitié plein pour les uns, à moitié vide pour les autres. Cela dépend de l’observateur. Mais si on n’a pas vécu dans ce pays pendant les très difficiles années 1990, on ne comprendra pas combien la RD Congo est en train de changer. À mon sens, le pays a entamé les premiers pas d’une reconstruction qui pourrait l’aider à se relever. L’inflation est maîtrisée. Le pays enregistre un succès certain au niveau des indicateurs économiques qui sont désormais passés au vert. Il ne faut pas oublier que la RD Congo revient d’une situation de l’hyperinflation, du vol institutionnalisé de l’État sur sa population. Il y a eu un temps où on produisait ici la « vraie fausse monnaie ». Le gouvernement émettait des séries de billets parallèles aux billets officiels pour se procurer de l’argent. Il n’y avait plus de banque. Et pour s’acheter un poulet, il fallait se promener avec un sac d’argent.


Quel est l’apport du gouvernement Matata dans la consolidation de la situation économique ?

L’actuel premier ministre congolais, Matata Ponyo, a consolidé les réformes appuyées par les institutions financières internationales. À côté de l’inflation qui est jugulée, le code minier a été revisité pour inclure des mesures en matière de transparence, d’appels d’offres et de droits des communautés locales, ce qui attire des nouveaux investisseurs. Et surtout, le gouvernement de Matata a entamé des réformes assez courageuses notamment la bancarisation de la paie des fonctionnaires de l’État qui pourra ainsi mettre fin à un système opaque basé sur le paiement manuel.


Des « réformes courageuses », une inflation maîtrisée, une croissance annoncée à 8,3 % en 2013, … Mais pas encore d’incidence réelle sur la réduction de la pauvreté. Comment comprendre ce paradoxe ?

C’est la faiblesse même de la structure de l’économie congolaise. Des performances enregistrées jusqu'ici concernent essentiellement des secteurs extravertis, les mines. Beaucoup de production donc, mais trop peu d'emplois. Conséquence : cet essor énorme du secteur cuprifère et cobaltifère – la RD Congo est redevenue numéro un mondial d'exportation de cobalt – entraîne très peu de retombées sur le reste de l'économie congolaise. Et cette dernière reste très dualiste : d'un côté, le secteur informel qui fait vivre toute la population, et de l'autre, le secteur minier très intensif en capital mais qui emploie peu. Entre les deux, il n'existe presque pas d'industries qui pourraient faire en sorte que cet essor minier ait des effets en amont et en aval. On reste donc dans une économie d'enclave, dirigée en fonction des besoins de l'extérieur. C'est pourquoi les Congolais ne ressentent pas au quotidien les effets des changements en cours.

Au même moment, l'ITIE, Africa progress panel ou encore le Fonds monétaire international (FMI) continuent à dénoncer l'opacité dans la gestion des ressources naturelles...

Le problème, c'est la Gécamines. La société congolaise des mines ne produisait presque plus rien depuis près de deux décennies. Transformée en société anonyme en 2010, elle est restée tout de même le dépositaire du sous-sol congolais. Il fallait donc toujours passer par elle pour obtenir une concession minière. Ainsi, elle a signé 34 partenariats avec des entreprises privées internationales, certaines sérieuses mais d'autres assez critiquables. Elle en a tiré des dividendes qui devraient normalement être versées à l'Etat, mais ce n’a pas été le cas. Qu'est-ce qu'elles sont devenues ? C'est l'opacité totale. Entre 2008 et 2011, la Gécamines a été donc mêlée dans toutes ces ventes d'actifs miniers opaques qui sont aujourd'hui décriées. Feu Katumba Mwanke et Dan Gertler, deux proches de la présidence de la République, ont largement contribué à la construction de ces contrats, officiellement, en faveur de la Gécamines...


Et que fait l'actuel gouvernement pour mettre fin à cette situation ?

Aujourd’hui, la RD Congo a rejoint aujourd'hui l'Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE). Et dans son programme avec le gouvernement congolais, le FMI exige également plus de transparence dans la vente des actifs miniers. Cette pression de l'extérieur, appuyée par quelques personnes de l'intérieur qui militent pour des réformes, rend de plus en plus difficile la conclusion des contrats opaques. Cela donne raison et renforce le groupe des réformateurs dans la sphère du pouvoir congolais qui regorge encore quelques adeptes de mauvaises pratiques d’hier.


Source:http://economie.jeuneafrique.com

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