Gabegie du baccalauréat : L’échec de
l’Algérie dans la formation des femmes et des hommes
«Nous vivons à une époque où il est rare de suivre un seul plan de carrière tout
au long de notre vie professionnelle. La société exige à présent que nous nous
formions continuellement et que nous acquérions sans cesse de nouvelles
compétences afin d’assurer notre employabilité à long terme.»
Devise du Système éducatif australien
Une anomie de plus dans le quotidien des Algériens ballotés dans tous les sens
et avec la crainte du lendemain du fait de l’opacité actuelle. Justement, l’un
des derniers repères symboliques auxquels s’accrochaient les Algériens, à savoir
l’examen du baccalauréat, vient de rendre l’âme sous les coups de boutoir d’une
désastreuse gestion de l’éducation. Est-ce la faute uniquement à la tutelle ou
avons-nous tous ensemble, par des «ma’aliche» « cela ne fait rien », ravageurs
et des accommodements non raisonnables, été complices de cette dérive?
Qu’est-ce que le baccalauréat?
Dans l’encyclopédie Wikipédia nous lisons: «Le baccalauréat (altération du
bas-latin bachalariatus, désignant un rang de débutant d’abord dans la
chevalerie, et puis dans la hiérarchie religieuse et universitaire ou de bacca
laurea, baie de lauriers) est un grade de l’enseignement supérieur correspondant
à différents niveaux suivant les pays et selon le système d’enseignement:
système français, anglo-saxon ou international. Il est souvent abrégé en «Bac».
Il désigne généralement le premier degré dans une faculté. Le baccalauréat
confère le grade de bachelier. Il peut être accompagné de la mention d’une
discipline: baccalauréat ès arts (baccalauréat ès lettres), baccalauréat ès
sciences, baccalauréat en droit..» (1)
Le baccalauréat dans tous les pays a une charge symbolique. «En Corée, en ce
jour si particulier, c’est tout un pays qui retient son souffle. L’examen revêt
une importance telle que le gouvernement prend des mesures exceptionnelles pour
assurer le bon déroulement des épreuves ».(2)
(…) Au cours de la journée, pendant les épreuves orales d’anglais, aucun avion
n’a le droit de décoller ou d’atterrir dans la péninsule: les autorités
craignent que le bruit des réacteurs ne nuise à la bonne compréhension des
questions par les candidats. En vue de ce rendez-vous, les magasins se sont
également spécialisés dans la vente de boîtes cadeau, contenant des gâteaux de
riz: une croyance veut que les gâteaux de riz gluant aident les leçons apprises
à rester «collées» au cerveau des étudiants. Aller dans les meilleures écoles
permet également de forger des liens qui pourront se révéler utiles au cours de
leur carrière. Un système parfaitement bien compris par les familles
sud-coréennes, qui imposent à leurs enfants des emplois du temps démentiels. En
plus des heures de cours «normales», ils doivent suivre des cours privés et des
cours du soir d’autant plus intensifs qu’ils approchent de l’examen d’entrée à
l’université. (…) En Corée du Sud, avoir un diplôme est avant tout un statut car
la population considère que c’est l’éducation qui est à l’origine du
développement spectaculaire de leur pays ces dernières années.» (2)
La Corée du Sud avait le même développement que nous il y a cinquante ans, elle
est actuellement la dixième puissance mondiale. Nous sommes à la 111e place.
Que s’est-il passé de grave?
A l’unanimité, il a été rapporté que le déroulement des épreuves du baccalauréat
a connu de graves dépassements. Il semble que les élèves n’ont pas voulu
composer, qu’ils sont sortis dans la cour, d’autres ont profité pour s’informer,
d’autres ont copié au vu et au su des enseignants qui pourtant, auraient été
menacés. Le cri de colère de Bachir Hakem nous interpelle: «Le silence sur la
tricherie générale est un autre coup fatal pour la crédibilité du Bac après
celui du seuil des programmes. Tout le monde sait que l’élève, même lors des
épreuves ordinaires de devoirs surveillés ou de compositions, vient non pas pour
composer mais pour frauder et avec violence. L’élève fait maintenant la loi, il
emploie tous les moyens pour réussir en toute impunité. Le CLA appelle
aujourd’hui à sauver le Bac et l’éducation en Algérie» (3)
Mustapha Hammouche nous décrit avec nostalgie le Bac d’antan: «Des candidats au
baccalauréat sont sortis des salles d’examen, ont manifesté, téléphoné, parfois
menacé et sont retournés plancher sur leurs épreuves, après plus d’un quart
d’heure d’absence. Dans beaucoup de centres, des scènes de rébellion et de
saccage ont été observées et des couteaux ont été exhibés! Par endroits, des
candidats ont imposé une tricherie généralisée ! (…) On savait que le
baccalauréat avait beaucoup perdu de ce qu’il représentait au plan du savoir,
mais là, il vient de renoncer aux derniers apparats qui entretenaient le mythe
du ´´sésame´´. Maintenant qu’on peut l’obtenir en s’armant d’un téléphone mobile
et d’un canif, plutôt que d’une équerre et d’un compas (…)» (3)
Je pensais que nous avions atteint le fond en termes de gabegie dans
l’éducation. Apparemment, l éducation nationale a fait plus fort qu’avant du
temps béni de vingt ans d’anomie. En effet, l’innovation cette année est un
concentré de toutes les tares latentes qui se sont manifestées au grand jour à
l’occasion de la « zerda », la grande bouffe, du baccalauréat. Mais est-ce de la
faute uniquement de la tutelle ou est-ce une responsabilité collective des
différents gouvernants mais aussi de la société, je veux parler des parents
d’élèves et de tous les pyromanes que chacun à sa façon, tente de formater avec
les tribunes officielles ou officieuses les imaginaires des enfants?
Nous pensions avoir pensé notre pain noir avec la période des enseignants du
Moyen-Orient appartenant à différents pays, nous avons eu en conséquence un
formatage des enfants à l’irakienne, à la syrienne, à la palestinienne et à
l’égyptienne qui a fait le plus de dégâts. Ce que nous retenons surtout de cette
période c’est l’irrationalité qui a été lourdement inculquée au nom de la «
‘accabya », esprit tribal, mythique Nous n’avons que ce que nous méritons!
Il faut tout de même noter l’aphonie des partis politiques dans leur immense
majorité, notamment ceux qui font dans l’agitation s’occupant de se tirer dans
les pattes, de faire des lectures dans la boule de cristal pour essayer de miser
sur le bon cheval au lieu de parler de l’avenir. Il est vrai que la plupart
d’entre eux ont assuré les arrières de leurs enfants, soit par des rentes
douteuses, soit par des envois à l’étranger.
Dans tout ce désastre, chacun a une responsabilité particulière. Je veux citer
un fait admis comme naturel qu’un joueur reçoive pour la signature de son
contrat, en un mois, le salaire d’un professeur en une année, étant peut être
exclu du système éducatif, quelle belle revanche sur l’école et combien nos
médias et nos hommes politiques surfent sur la pente dangereuse de la facilité
qui présente ces exemples de réussite en dehors de l’Ecole.
Dans mes multiples écrits, j’ai dénoncé le fait qu’un footballeur puisse à
l’occasion d’une coupe, en l’occurrence celle d’Afrique, toucher en une fois le
gain d’une carrière d’un enseignant que les parents ne croient plus dans l’école
en Algérie, exception faite de ceux qui ont un projet pour leurs enfants quitte
à les mettre dans des écoles privées, véritable mercenariat du fait des rançons
prohibitives demandées aux parents, sans naturellement garantir le résultat. On
comprend alors que d’autres parents misent sur les clubs de foot et on dit que
ce n’est pas facile d’inscrire un enfant dans un club sportif, tellement c’est
encombré…
Deux décennies durant, les réformes ont disloqué l’école déboussolée et
déstructurée de toutes parts. D’une école qui ouvre l’esprit au monde
merveilleux de la connaissance et éveille sa curiosité, on en fit une serre où
l’enfant étouffe sous l’effet du bourrage de crâne imposé pour en faire un
médiocre. Ce que nous retiendrons du passage de monsieur Benbouzid c’est la
diversion par des artefacts tels que « l’année du drapeau » et « l’année du
tablier » pour paraphraser Amin Maâlouf dans Leon l’Africain , alors que le
système éducatif sombrait inexorablement.
Ce qui se passe ailleurs s’agissant de l’organisation du
baccalauréat
La rigueur du baccalauréat ne souffre aucun compromis. En France, par exemple,
les sujets distribués aux candidats au mois de juin sont l’aboutissement d’un
processus qui a débuté plus d’un an auparavant. Le ministère répartit
l’élaboration des sujets pour la session de l’année suivante entre les académies
une année avant. Dans chaque académie, les divisions d’examen mettent en place
des commissions d’élaboration et de choix de sujets dont la présidence est
confiée conjointement à un inspecteur général de l’éducation nationale et à un
universitaire. Il n’y a donc pas comme en Algérie de concept de atba, de seuil
de minima indexé sur les convulsions sociales qui font que le sujet s’aligne sur
le programme minimal, en clair inexorablement, l’année se réduit à deux
trimestres et encore. Ce sont, par voie de conséquence, des étudiants
défaillants que nous recevons dans le supérieur. Les jurys sont présidés par des
universitaires. Il y’a bien longtemps que les présidences de jury du
baccalauréat ont été retirées aux enseignants du supérieur.
Les causes de la faillite scolaire
On ne peut pas dans le cadre d’une contribution avoir la prétention de faire le
procès du système éducatif en accusant uniquement la langue d’enseignement. Ce
n’est qu’une composante de la débâcle. Pour Abderrazak Dourari, professeur en
sciences du langage à l’Université d’Alger, «la faillite scolaire relève d’abord
d’une politique d’arabisation «aberrante» du pays. La langue arabe n’est plus
«fonctionnelle» dans nombre de champs de recherche, étant donné que le Monde
arabe ne produit plus de pensée élaborée, tant en sciences sociales qu’en
sciences exactes, depuis le Xe siècle, affirme ce spécialiste de la sémiotique.
(…°) Lorsqu’on lui demande quelles solutions permettraient de réduire la
«fracture linguistique» qui déchire le pays et menace le bon déroulement de la
scolarité de milliers d’étudiants algériens, ce professeur en sciences du
langage avoue être convaincu que l’équilibre se situe dans un bilinguisme
assumé. (5)
En fait, il est de notre point de vue excessif d’accuser une langue des méfaits
de ceux qui sont censés la mettre en valeur. Ce que l’école et partant, la
société a perdu, c’est la rationalité, c’est l’aventure de l’approximation qui
tourne le dos à la rigueur. C’est le fatalisme ravageur, du «Allah Ghaleb» à la
place de «Oua Khoudhou Hadrrakoum». Prenez vos précautions armez vous des outils
de la science et du savoir pour naviguer dans un monde de plus en plus dur qui
ne fait pas de place à l’approximation. On donne à l’enfant des réflexes de
soumis, de tabous qu’il ne faut pas déranger sous peine d’exclusion. D’autre
part, qu’on le veuille ou non, l’anglais s’imposera de plus en plus même en
France où les universités ont obligation avec la dernière loi d’offrir des
enseignements en anglais. Mieux, pour nos diplômés candidats à l’émigration
choisie en France, un test d’anglais est demandé.
Le monde a profondément changé. L’éducation doit suivre et en termes de contenu
et de contenant, les méthodes pédagogiques nouvelles font la part belle aux
nouvelles technologies. Cependant, tout dépend des maîtres et c’est là où le bât
blesse. Nos enseignants n’évoluent pas pour la plupart. Il n’y a pas d’échelle
de compétence, si ce n’est l’ancienneté. A titre d’exemple, cinquante ans après
l’indépendance il n’y a pas d’agrégation malgré une tentative, avortée il y a
vingt-cinq ans. Que transmettre? A qui le transmettre? Comment le transmettre?
s’interroge le philosophe Michel Serres. Jadis et naguère, le savoir avait pour
support le corps du savant, aède ou griot. Une bibliothèque vivante… voilà le
corps enseignant du pédagogue. Peu à peu, le savoir s’objectiva: d’abord dans
des rouleaux, sur des vélins ou parchemins, support d’écriture; puis, dès la
Renaissance, dans les livres de papier, supports d’imprimerie; enfin,
aujourd’hui, sur la Toile, support de messages et d’information. Ces enfants
habitent donc le virtuel. Les sciences cognitives montrent que l’usage de la
Toile, lecture ou écriture au pouce des messages, consultation de Wikipedia ou
de Facebook, n’excitent pas les mêmes neurones ni les mêmes zones corticales que
l’usage du livre, de l’ardoise ou du cahier. Ils peuvent manipuler plusieurs
informations à la fois.(6)
A ce titre en France, le ministre de l’Education Vincent Peillon a détaillé les
dispositifs de son plan pour le numérique à l’école, qui seront installés dès la
rentrée. Il comprend notamment 20 collèges pilotes. A la rentrée, onze services
numériques seront mis en place. En primaire, des films d’animation de deux
minutes développés par le Centre national de documentation pédagogique (Cndp)
expliqueront ´´de façon ludique´´ des notions fondamentales en français, maths
ou sciences: (…) Il y aura aussi à la rentrée vingt sites pilotes, des
´´collèges connectés´´, qui développeront les usages pédagogiques du numérique.
Cela se traduira notamment par une utilisation quotidienne du numérique, en
moyenne une à deux heures par jour, des équipements comme des tableaux
numériques interactifs ou tablettes, une communication régulière avec les
familles, un plan de formation des enseignants et un projet d’établissement
intégrant le numérique». (7)
La compromission qui semble avoir gagné toute la société s’agissant du
baccaulauréat qui est devenu un rituel : Réussir à tout prix ! quel qu’en soit
le prix , même celui de la gabegie et de la fuite en avant qui fait que le
système éducatif ressemble à un train fou que personne ne peut ou ne veut
arrêter ; Justement à propos de cette compromission générale Saint Augustin
écrivait il y a plus de seize siècles dans un autre contexte ,mais qui
s’applique à la situation d’anomie actuelle : «A force de tout voir on finit par
tout supporter… A force de tout supporter on finit par tout tolérer… A force de
tout tolérer on finit par tout accepter…A force de tout accepter on finit par
tout approuver.» Le résultat est là , nous sommes en pleine défaite de la
pensée.
Pour l’avenir de ce pays, pour le devenir des nouvelles générations, il est
temps de mettre l’éducation au centre des préoccupations principales du pays. Un
programme présidentiel qui ne fait pas dans les faits la part, la place la plus
importante est non seulement immoral mais de plus il compromet durablement
l’avenir de nos enfants. Plus que jamais, il est important de tourner le dos à
l’impunité, les responsables devraient répondre de leurs actes. C’est à cette
seule condition que nous arriverons par l’effort, le dialogue, à une école
tournée vers l’avenir, qui ne fait aucun complexe d’étudier dans les langues
porteuses d’avenir, une école qui fait réussir dans la vie, une école qui donne
un but à ces jeunes en panne d’espérance.
n l’aura compris, le regard de la société sur l’éducation devrait changer, mais
aussi celui des princes qui nous gouvernent qui doivent cesser de caresser les
jeunes dans le sens du poil en leur donnant l’illusion que tout leur est dû, le
bus, l’appartement, le Bac, sans labeur, sans sueur, sans nuits blanches. Cette
fuite en avant se paiera plus vite qu’on ne le pense. Le tonneau des Danaïdes
des réclamations ne peut suffire. Nous entrons dans une zone de turbulences
durables avec le bouleversement du monde de l’énergie, et la baisse inexorable
de nos réserves. Nous ne pourrons survivre qu’en créant. Il est tant que le
Mahdi prochain mette les Algériens au travail. C’est la seule façon de barrer la
route à l’aventure qui hypothéquera définitivement le devenir de ce pays qui
nous tient à cœur.
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Source:http://www.mondialisation.ca
1. Le baccalauréat / Encyclopédie Wikipédia
2.
http://www.lefigaro.fr/international/ ... ud-le-bac-c-est-sacre.php
3. B. Hakem. Porte-parole du CLA La tutelle n’en finit pas de faiblir devant les
caprices des élèves. http://forumdesdemocrates.over-blog. com/article
4.
http://www.liberte-algerie.com/contre ... ve-entre-a-l-ecole-201255
5. http://forumdesdemocrates.over-blog.
com/article-l-enseignement-superieur-en-panne-la-faute-a-l-arabisation-excessive-de-l-algerie-118350892.html
6.Michel Serres.
http://www.scoop.it/t/entrepreneurshi ... -2-0/p/449685956/eduquer-
au-xxie-siecle-michel-serres-philosophe -12 09 2011
7. http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/
numerique-a-l-ecole-ce-qui-sera-mis-en-place-a-la-rentree-2013_388830.html
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