Le 28 juillet, les électeurs maliens devront choisir le futur chef de l'Etat. Enquête sur une élection cruciale pour l'avenir de ce pays meurtri.
Le palais présidentiel de Koulouba, à Bamako.
© Emmanuel Daou Bakary pour J.A.
« Au Mali, les partis politiques sont nés de même père et de même mère. Seuls
leurs prénoms diffèrent. » Derrière la boutade de Kassoum Tapo, le député de
Mopti, une évidence admise d'un bout à l'autre de l'échiquier politique : les
principaux candidats qui brigueront les suffrages du peuple malien le 28 juillet
sont tous liés, d'une manière ou d'une autre, à l'Alliance pour la démocratie au
Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ). Majoritaire à
l'Assemblée nationale, cette formation a conquis ses lettres de noblesse en
regroupant, à partir de 1990, les opposants à la dictature militaire de Moussa
Traoré. Directement ou indirectement, les trois présidents qui se sont succédé à
la tête du pays depuis l'alternance démocratique de 1992 (Alpha Oumar Konaré,
Amadou Toumani Touré, dit ATT, et Dioncounda Traoré) sont issus de cette
matrice.
Formation majoritaire à l'Assemblée nationale,
l'Adema-PASJ
présente un illustre inconnu, Dramane Dembélé.
Curieux spécimen que l'Adema, ce parti qui a lui-même enfanté ses futurs
opposants faute de pouvoir satisfaire les ambitions présidentielles de ses
cadres. Certains challengeurs de son candidat officiel pour l'élection de
juillet, le quadragénaire Dramane Dembélé, y ont fait leurs armes. De l'ancien
Premier ministre Ibrahim Boubacar Keïta à l'ex-ministre des Affaires étrangères
Soumeylou Boubèye Maïga, en passant par le candidat malheureux du second tour de
la présidentielle de 2002, Soumaïla Cissé, la plupart des ténors de la vie
politique malienne ont un jour ou l'autre appartenu à l'Adema avant de s'en
détacher.
Vitrine
À la veille d'une élection sensible et conformément à ce qu'un proche conseiller
d'Ibrahim Boubacar Keïta appelle « l'unanimisme à la malienne », les principaux
concurrents s'accordent sur le diagnostic. Depuis vingt ans, derrière la vitrine
d'un pays ayant conquis de haute lutte son accession à la démocratie se cache
une réalité plus sombre : pillage des deniers publics, corruption généralisée,
fortunes jaillies du néant, services publics déliquescents, souveraineté
bradée... Un pays où, de l'aveu d'un candidat à la présidentielle, « tout peut
s'acheter, comme sur un marché, des diplômes aux recrutements dans l'armée ». Un
État démissionnaire, où la gestion du Nord a été sous-traitée avec complaisance
à des groupes armés dont les revendications identitaires se mêlent aux trafics
et aux sympathies jihadistes. « Comme on dit en bambara, ambè no don : c'est de
notre faute à tous », résume Farouk Camara, secrétaire général des Forces
alternatives pour le renouveau et l'émergence (Fare), le parti de Modibo Sidibé.
Ce Mali-là s'est réveillé avec la gueule de bois le 22 mars 2012, lorsqu'un
modeste capitaine a déboulonné la statue du commandeur, éconduisant ATT tel un
vulgaire squatteur avant de le chasser du pays. Deux mois plus tôt, une
rébellion touarègue fraîchement créée avait conquis sans effort une large
portion du territoire national. Même si de nombreux leaders politiques ont
officiellement désavoué un putsch qui ramenait le pays quarante années en
arrière, le coup de force du capitaine Amadou Haya Sanogo fut secrètement
accueilli par bon nombre d'entre eux comme un électrochoc salutaire. Pourtant,
la crise n'est toujours pas dépassée, comme le montre la situation de plus en
plus tendue qui prévaut à Kidal, berceau de toutes les rébellions touarègues. Le
7 juin, le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) et le Haut
Conseil pour l'unité de l'Azawad (HCUA) régnaient toujours sur cette enclave
dont ils interdisaient l'entrée à l'administration et à l'armée maliennes,
compromettant la bonne tenue du scrutin sur l'ensemble du territoire et ravivant
les tensions intercommunautaires. De Bamako à Gao, la libération de Kidal est
devenue un enjeu national, énième point de consensus entre les différents
prétendants.
Riz gras
Car les clivages entre candidats sont plus ou moins artificiels. Les mêmes
responsables politiques qui jugent sans concessions les dérives d'une
gouvernance dévoyée ont, pendant dix à vingt ans, plongé la main dans le même
plat de riz gras, occupant les plus hautes fonctions sous les présidences Konaré
ou ATT. Face à ce « jeu de rôle », comme l'appelle le candidat Madani Tall -
lui-même conseiller économique d'ATT durant son second mandat -, l'électorat
semble démobilisé. En dehors d'une poignée de militants, difficile de dénicher
dans la capitale un électeur prêt à s'enthousiasmer pour l'un des candidats. «
La jeunesse a été déçue par les politiciens, résume le slameur Aziz Siten'k, 27
ans. Mais si on reste à la maison le jour du vote, c'est qu'on accepte le mal. »
Faute d'une véritable alternative, les électeurs opteront-ils pour un
renouvellement générationnel ? Une brochette de quadras entendent bien détrôner
leurs augustes aînés, pariant sur le rejet de l'ancienne classe dirigeante. Ou
bien les Maliens s'efforceront-ils de distinguer entre les très proches et les
plus ou moins proches d'ATT, devenu la figure expiatoire des errements du passé
? À moins qu'ils ne se prononcent en fonction du degré de soutien - réel ou
présumé - des différents candidats aux putschistes du capitaine Sanogo. Une
gageure, à en croire un journaliste du Républicain : « Il est tout aussi
difficile de trouver un candidat qui ne se soit pas mouillé avec ATT que d'en
trouver un qui n'ait pas défilé à Kati [le quartier général des putschistes, à
15 km de la capitale] », glisse ce bon connaisseur du paysage politique malien.
« Pour la plupart, ils ont participé au festival des brigands », assène Soumana
Sako, réputé intransigeant en matière de corruption et qui entend bien incarner
la rupture de gouvernance tant attendue.
Sel et sucre
À la veille d'une élection où les candidats déclarés sont légion (18 pour
l'heure), il est à craindre qu'une majorité d'électeurs se résoudra, plus
prosaïquement, à voter pour un visage familier ou pour un candidat communautaire
(régional ou ethnique), voire à monnayer son suffrage. « Depuis longtemps, les
élections se jouent en distribuant du sel, du sucre, du thé ou des billets de 1
000 F CFA pendant la campagne », commente un chef de parti.
En attendant le 13 juin, date limite de dépôt des candidatures, les tractations
vont bon train entre favoris et outsiders. Sur le papier, Dramane Dembélé peut
compter sur le parti majoritaire à l'Assemblée. Mais l'amertume ressentie par
les principaux ténors de l'Adema-PASJ après sa désignation controversée laisse à
penser qu'ils ne ménageront aucun effort pour négocier en sous-main avec ses
principaux concurrents. Fort de sa stature, de son bon score en 2002 et de sa
popularité parmi les « corps habillés » (armée, police, gendarmerie), Ibrahim
Boubacar Keïta, le candidat du Rassemblement pour le Mali (RPM), a de bonnes
raisons de croire en ses chances. Mais Soumaïla Cissé (Union pour la République
et la démocratie, URD) et Modibo Sidibé (Fare), qui se prévalent tous deux d'une
longue expérience dans les rouages de l'État, peuvent, s'ils atteignent le
second tour, espérer faire la différence en ralliant à leur cause certains
battus du premier tour.
C'est donc un scrutin émietté qui s'annonce, où l'ambition d'accéder au pouvoir
suprême tiendra lieu de programme et où les imperfections de l'organisation,
déjà prévisibles, laissent craindre une pluie de contestations postélectorales.
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Par Mehdi Ba, envoyé spécial à Bamako
Drame shakespearien à l'Adema Au sein de l'Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ), parti phare de la galaxie politique malienne, chaque présidentielle s'apparente à un drame shakespearien. En 2002, l'état-major du parti avait intronisé Soumaïla Cissé candidat officiel, alors qu'Ibrahim Boubacar Keïta avait reçu des garanties du président sortant, Alpha Oumar Konaré. Blessé, l'ancien Premier ministre s'en était allé fonder le Rassemblement pour le Mali (RPM). Et le même sort attendait Cissé : l'Adema-PASJ avait finalement fait élire Amadou Toumani Touré (ATT, candidat indépendant) au détriment de son propre représentant. En 2007, la formation avait soutenu dès le premier tour la réélection d'ATT. Soumeylou Boubèye Maïga, qui s'était présenté en franc-tireur, avait alors été écarté du parti - puis réintégré. Cette fois, la « commission des bons offices » chargée de choisir le candidat de l'Adema-PASJ parmi 19 prétendants a sorti de son chapeau, en avril, un illustre inconnu, Dramane Dembélé. La désignation de cet ingénieur, qui n'a jamais été ni député ni élu communal et dont le CV se résume à une fonction de directeur national de la géologie et des mines entre 2005 et 2010, suscite moult conjectures. Ce coup de Jarnac pourrait-il sonner le glas du parti ? « Je ne pense pas, assure Dembélé, fort de son succès. L'Adema a survécu au départ d'Ibrahim Boubacar Keïta et de Soumaïla Cissé. Il survivra à celui de Soumeylou Boubèye Maïga [qui, évincé de cette « primaire », a claqué la porte pour créer sa propre formation]. » M.B. |
Source:http://www.jeuneafrique.com
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