Élections, opposition, contrats miniers, gouvernance... Au pouvoir depuis novembre 2010, le chef de l'État est plus que jamais sur tous les fronts. Et entend bien briguer, en 2015, un second mandat.
Alpha Condé
En Guinée, c'est quand toutes les portes du dialogue semblent closes que s'ouvre
enfin l'issue de secours. On redoutait, pour les premières élections
législatives depuis onze ans, un scrutin sous haute tension sur fond de
violences et de crispations identitaires, et voici qu'à trois semaines du jour J
la très laborieuse négociation entre le pouvoir et l'opposition vient enfin de
déboucher sur une éclaircie. Le 9 juin, sous le regard soulagé des médiateurs de
la communauté internationale, les deux camps ont élaboré les contours d'un
compromis équitable. Les quatre Premiers ministres de l'époque des militaires
(Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré, Lansana Kouyaté, Jean-Marie Doré), opposants
plus ou moins résolus au président Alpha Condé, ont ainsi accepté de faire
inscrire leurs militants respectifs sur les listes électorales révisées par
l'opérateur sud-africain Waymark, levant de facto leur menace de boycottage.
Pour sa part, le gouvernement a cédé sur la participation des Guinéens de
l'étranger, qui pourront donc voter dans les dix-sept circonscriptions
consulaires que compte le pays, ainsi que sur la date du scrutin, initialement
fixée au 30 juin, mais qui sera très vraisemblablement reportée de plusieurs
semaines.
Exagération
Un climat d'apaisement bienvenu donc, tant est cruciale pour la Guinée la bonne
tenue d'une consultation électorale dont dépend une grande partie de l'aide des
bailleurs de fonds, ainsi que l'arrivée des investisseurs. Rigueur budgétaire et
financière, justice, droits de l'homme, lutte contre la corruption, réforme de
l'armée : beaucoup a été fait depuis novembre 2010 et, vus de Conakry, les
risques de déstabilisation, voire de guerre civile souvent évoqués à l'étranger
apparaissent comme des exagérations délibérées. Le terreau est prêt, donc. Reste
à recevoir la semence : les financements extérieurs. Pour Alpha Condé, 75 ans,
ancien combattant de la démocratie, devenu chef de l'État par la grâce du
premier scrutin présidentiel libre qu'ait connu la Guinée, l'enjeu personnel est
de taille : parvenir enfin à sortir son pays de ce qu'il qualifie lui-même de «
triple scandale » : scandale politique et moral, mais aussi scandale économique
à la mesure de ses immenses potentialités géologiques inexploitées.
L'entretien qui suit a été recueilli au moment où se déroulait le dialogue
pouvoir-opposition. On verra qu'il en anticipe les principales conclusions...
Jeune Afrique : Depuis votre accession au pouvoir, pas
moins de quatre dates ont été fixées pour la tenue d'élections législatives et
aucune n'a été respectée. Cette fois, c'est enfin la bonne ?
Alpha Condé - Soyons clairs. La Commission électorale nationale
indépendante, la Ceni, propose une date, mais c'est au président qu'il revient
de la fixer. Or je n'avais jusqu'ici jamais signé de décret convoquant les
législatives, pour une raison simple : j'estimais que la Ceni, malgré toute sa
bonne volonté, n'était pas prête. Cette fois, elle l'est, en principe. Mais
j'insiste : juridiquement parlant, les législatives n'ont jamais été repoussées.
La campagne vient de commencer sans la participation de l'opposition. Est-il
trop tard pour envisager un report afin que ces élections soient réellement
inclusives ?
Tout dépend de la Ceni. Je n'ai pas le fétichisme des dates. Si j'ai pris la
décision de signer le décret pour le 30 juin, c'est parce qu'en mon âme et
conscience j'ai estimé que les conditions de transparence et de sécurisation du
scrutin étaient réunies. Maintenant, si la Ceni juge que le calendrier doit être
légèrement modifié, afin de résoudre un problème technique de dernière minute ou
pour inclure une ou des listes de candidats supplémentaires, c'est à elle de se
prononcer. Mon souhait n'a pas changé : je veux que tout le monde participe aux
législatives. Mais je ne peux pas amener à l'abreuvoir celui qui refuse, à tort,
de boire.
Pourquoi à tort ?
Boycotter est souvent une erreur. Alassane Ouattara l'a fait en 1995 et il m'a
confié qu'il s'était trompé, qu'il ne le referait plus. Macky Sall s'y est
refusé l'an dernier, malgré la pression de certains de ses partisans, et il a eu
raison. D'autant qu'en Guinée les motifs m'échappent : l'Union européenne,
l'ONU, l'Organisation internationale de la francophonie, les chancelleries, tout
le monde est d'accord sur le fait que des garanties solides d'équité sont là,
incontournables. Du reste, si j'avais voulu passer en force, comme certains le
prétendent, je l'aurais fait depuis longtemps. Je n'aurais d'ailleurs pas été le
premier : d'autres chefs d'État ont suivi cette voie et ne s'en sont pas trouvés
mal. Ils me le disent, et certains me conseillent même de les imiter. Mais je ne
mange pas de ce pain-là. Je suis viscéralement un démocrate, même si certains
ont tendance à en profiter pour me nuire.
N'est-il pas risqué d'organiser des élections dans un climat tendu, sur fond de
manifestations violentes, où les victimes se comptent par dizaines ?
Ces marches dont vous parlez n'ont touché que deux quartiers de Conakry, le
reste de la capitale et du pays est calme. Ne soyez donc pas myope. Quand
viendra le jour du scrutin, l'État sera là pour faire respecter le droit de
chacun à voter.
La frange radicale de l'opposition prétend que vous
mobilisez en secret des milices malinkées, les fameux chasseurs traditionnels
dozos. Ce à quoi vos partisans rétorquent que des armes circulent dans les rangs
de vos adversaires. N'est-ce pas inquiétant ?
Laissez les Dozos là où ils sont : en Haute-Guinée. Personne n'en a vu à Conakry
au cours des manifestations. En revanche, oui, la police a trouvé lors de
perquisitions dans le quartier de Bambeto des fusils de chasse, des cartouches,
des grenades offensives et même une kalachnikov cachée sous un toit. Des
individus mal intentionnés venus de Guinée-Bissau ont été arrêtés avec des
munitions, et tout le monde sait que certains marcheurs utilisent des frondes et
des armes blanches contre les forces de l'ordre. Ils le font de nuit, en général
après la fin des manifestations, ce qui est évidemment intolérable dans
n'importe quelle démocratie. Mais ne me parlez pas des Dozos ! Si je m'interdis,
par principe et parce que la Guinée a changé, de faire sortir l'armée de ses
casernes, contrairement à mes prédécesseurs, ce n'est pas pour la remplacer par
des milices. Le maintien de l'ordre est l'affaire exclusive de policiers et de
gendarmes que nous sommes seulement en train d'équiper de casques et de
boucliers - ce qui explique qu'il y a eu des victimes dans leurs rangs - et qui
n'ont pas d'armes à feu.
Il y a eu tout de même une cinquantaine de morts parmi les
manifestants depuis dix mois. Qui les a tués si ce n'est les forces de l'ordre ?
Je conteste formellement et ce chiffre et cette accusation. Allez dans les
hôpitaux interroger les médecins et vous serez surpris : beaucoup de gens ont
été tués par des armes blanches, à la suite de jets de pierres ou par balle de
calibre 12. Or ni la police ni la gendarmerie n'utilisent des machettes, des
frondes ou des fusils de chasse. Toute ma vie, je me suis battu contre la
répression sauvage, ce n'est pas à mon âge que je vais m'y livrer. Vous me
connaissez mal.
Vous venez de limoger votre ministre chargé de la
Sécurité. N'est-ce pas la reconnaissance implicite qu'il avait eu la main trop
lourde ?
Non. Le ministre sortant est un administratif venu d'Interpol afin de réformer
la police. Je l'ai remplacé par un homme de terrain qui connaît Conakry comme sa
poche. Il ne s'agit pas d'une sanction. Parallèlement, j'ai mis en place un pool
de juges d'instruction chargé de déterminer l'origine exacte des décès
enregistrés. Qui a tiré ? Qui a tué qui ? Il faut être clair : nul n'est
au-dessus de la loi, qu'il soit gendarme, policier, militant de la mouvance
présidentielle mais aussi de l'opposition. La Guinée depuis trop longtemps est
un pays de violence où l'on tue, où l'on lynche pour un rien. Cela doit cesser.
Les morts étaient tous de l'ethnie peule. Pourquoi ?
Faux. Enquêtez : il y a eu des victimes malinkées, soussoues, forestières,
peules. Et ne vous laissez pas intoxiquer : quand des grands bandits se font
abattre par la brigade anticriminalité lors d'un braquage, ne les confondez pas
avec des militants politiques, même si certains utilisent sans pudeur leur
origine pour gonfler leurs statistiques.
Parmi les points de discorde entre vous et l'opposition,
il y a bien sûr la révision du fichier électoral et cet opérateur, Waymark, qui
doit s'en charger. Pourquoi l'avez-vous choisi sans appel d'offres ?
Encore une fois, rétablissons les faits. Ce n'est pas moi qui ai introduit
Waymark en juin 2010 puisque je n'étais pas aux affaires, mais le premier
président de la Ceni, Ben Sékou Sylla, qui est un proche de l'ancien chef de
gouvernement Sidya Touré. Waymark a ensuite participé à la sécurisation
informatique du second tour de la présidentielle, et j'ai conservé cet
opérateur, qui avait correctement travaillé, pour procéder à l'indispensable
révision du fichier en vue des législatives. Sans appel d'offres ? Et alors ? Le
choix d'un opérateur dépend du pouvoir en place, regardez ce qui se passe
ailleurs. Laurent Gbagbo avait choisi la Sagem sans appel d'offres, et cela n'a
pas empêché Ouattara de le battre. Et puis ce contrat est public, tout comme ont
été publiés les paiements effectués par la Ceni à Waymark.
Waymark est une société sud-africaine, et il se dit qu'en
échange de sa partialité vous vous seriez engagé à favoriser les intérêts
miniers de Pretoria en Guinée...
Ridicule ! C'est vrai que les dirigeants de l'ANC sont mes camarades depuis
l'époque où je dirigeais la Fédération des étudiants d'Afrique Noire en France
[Feanf]. Mais depuis que je suis président, une seule société sud-africaine,
celle de Patrice Motsepe [African Rainbow Minerals], qui est une référence dans
le domaine minier, a obtenu un permis de recherche. C'est tout récent. Pour le
reste, où sont les intérêts sud-africains en Guinée ? Quant à la prétendue
partialité de Waymark, il faut croire que l'ONU, l'Organisation internationale
de la francophonie et l'Union européenne, qui a imposé avec mon accord sa propre
structure de monitoring pour contrôler le travail de cet opérateur, sont
sourdes, muettes et aveugles. Aucune ne remet en cause le choix de cette
société.
Deuxième point de litige : la Ceni. Vous la contrôleriez
en sous-main. Est-ce exact ?
C'est le type même du faux procès. La composition paritaire de la Ceni est
inchangée depuis la présidentielle de 2010, et, lorsque l'opposition a exigé que
son président soit remplacé, je l'ai accepté. Dire que je contrôle les trois
représentants de la société civile au sein de la commission est une insulte à
leur égard : la société civile n'est pas un parti politique ! Je ne me mêle pas
du fonctionnement de la Ceni.
Les Guinéens de la diaspora ont voté lors de la
présidentielle de 2010. Pourquoi seraient-ils exclus du scrutin ?
Les Guinéens de l'extérieur n'ont jamais voté pour des élections législatives,
c'est un fait. Mais là encore, je ne fais pas de fixation : si la Ceni estime
qu'ils doivent participer cette fois-ci, pourquoi pas ? Elle est indépendante.
Vous savez ce que l'on dit : il s'agit là d'un électorat
très largement acquis à l'opposition, particulièrement au parti de Cellou Dalein
Diallo, d'où votre réticence...
D'abord, je n'ai pas de réticence. Ensuite, vous faites erreur : tous les
Guinéens de l'extérieur ne sont pas avec Cellou. Tous ne sont pas peuls, loin de
là, et tous les Peuls ne sont pas des opposants, c'est une caricature.
Un scrutin transparent ne dépend pas que de la Ceni, il
repose aussi sur la neutralité de l'administration. Or, là aussi, les reproches
ne sont pas rares. Commandements territoriaux, délégations spéciales, cadres de
l'Intérieur : vous auriez tout « malinkisé », ou presque. Qu'avez-vous à
répondre ?
Que vous vous faites l'écho d'accusations malhonnêtes. Pour les intégristes qui
se livrent à ce genre de décompte ethnique, tout ce qui ne porte pas le nom de
Diallo, Bah ou Barry est automatiquement malinké. Or il existe dans le
Fouta-Djalon des Peuls du nom de Touré, Sylla, Camara ou Tounkara ! Ne vous
laissez pas abuser, c'est de la manipulation pure et simple à l'usage de ceux
qui ne connaissent pas la sociologie complexe de ce pays. Maintenant, si vous
voulez dire par là que le gouvernement nomme les préfets et les sous-préfets de
son choix, vous énoncez une évidence. Tous les pays au monde le font, à
commencer par la France.
La coalition Arc-en-Ciel qui vous a porté au pouvoir en
novembre 2010 a depuis pris du plomb dans l'aile. Lansana Kouyaté et quelques
autres vous ont quitté pour rejoindre l'opposition, soit 10 % de l'électorat
environ. Pourquoi cette érosion ?
Il n'y a pas d'érosion, mais un phénomène auquel je m'attendais : ma gestion du
pays n'allait pas faire que des heureux. Ma politique minière par exemple, avec
la remise à plat des contrats et leur négociation, dérange certains de mes
anciens alliés. Je suis venu au pouvoir pour que les richesses de la Guinée
profitent enfin aux Guinéens. Nous avons les deux tiers des réserves de bauxite
connues et le deuxième gisement de fer le plus riche de la planète, nous sommes
le château d'eau de l'Afrique de l'Ouest et pourtant rien n'a été fait ici
depuis Sékou Touré. La Guinée, au fond, c'est un triple scandale. Scandale
géologique, mais aussi scandale moral et politique dont se sont rendus coupables
tous ceux qui ont cogéré ce pays sous les régimes militaires. Je le dis et je le
répète. Alors, forcément, oui, il y a des mécontents parmi ces derniers.
Lansana Kouyaté vous a-t-il déçu ?
C'est son droit, c'est son choix. Mais c'est aussi un frère et je pense que nous
nous retrouverons.
Il y a à votre encontre un ressentiment persistant de la
part de la communauté peule, qui estime que vous vous attelez à détruire sa base
économique. Le comprenez-vous ?
Écoutez. J'ai dit dès mon accession au pouvoir : pas de favoritisme, pas de
monopoles, libre concurrence, libre entreprise. J'ai ajouté, à l'endroit des
commerçants et des hommes d'affaires : payez la douane, payez les taxes. C'est
limpide ! Quand l'armée commande du riz ou de la farine, elle procède par appel
d'offres. Où est le problème ? Bien sûr, cela change des pratiques passées, mais
la bonne gouvernance est à ce prix. Je ne discrimine personne, je place tout le
monde sur un pied d'égalité. Et le résultat est là : en trois ans, le prix du
riz a baissé de 40 %.
N'est-il pas plus facile désormais de dédouaner des
marchandises pour un commerçant malinké que pour un commerçant peul ?
Non. D'abord, il y a très peu de Malinkés importateurs de riz, d'huile ou de
farine. Ensuite, je ne pratique pas la préférence ethnique, qui est contraire à
tout ce pourquoi je me suis battu pendant quarante ans. Je laisse cela à mes
adversaires.
Qui visez-vous ?
Ils se reconnaîtront.
La réforme de l'armée guinéenne est-elle achevée ?
Elle se poursuit avec l'aide de l'ONU. Il faut du temps, cinq ans au minimum,
car nous venons de très loin. Mais le premier objectif est atteint : l'armée
guinéenne est désormais une armée républicaine.
On dit que vos relations avec votre prédécesseur, le
général Sékouba Konaté, sont plutôt fraîches. Est-ce exact ?
Le général Konaté occupe, comme vous le savez, de hautes fonctions au sein de
l'Union africaine à Addis-Abeba. Je n'ai personnellement aucun problème avec
lui. Mais les gens sont libres de dire ce qu'ils veulent...
Les investisseurs attendent les élections législatives pour venir en Guinée, les
fonds de l'Union européenne aussi, et vous êtes déjà à mi-mandat...
Tout à fait. Et c'est pour cela que, si quelqu'un a intérêt à ce que les
élections se tiennent le plus vite possible, c'est bien moi. A contrario, vous
comprendrez que certains de mes adversaires font tout pour les retarder, quitte
à pénaliser les Guinéens.
Que dites-vous aux habitants de Conakry qui se plaignent
des délestages quotidiens d'électricité ?
La situation en ce domaine s'est beaucoup améliorée par rapport à 2010, mais
elle est loin d'être parfaite. Notre problème n'est pas la capacité de
production d'électricité, mais la distribution ainsi que la gouvernance
d'Électricité de Guinée, notre société nationale. Il y a un vrai déficit de
cadres, les ressources humaines sont un casse-tête permanent. Nous recherchons
donc un partenaire stratégique en mesure de nous aider à restructurer l'ensemble
du secteur énergétique. J'ai songé aux Français d'EDF, mais Henri Proglio nous a
fait savoir qu'il ne voulait plus travailler en Afrique. Nous sommes en train de
voir ailleurs.
Vous êtes en conflit avec le groupe BSGR du
Franco-Israélien Beny Steinmetz à propos de l'attribution d'une partie du
gisement de fer de la mine de Simandou. C'est une affaire rocambolesque qui dure
depuis deux ans et au sein de laquelle le FBI est intervenu. Pouvez-vous nous en
dire plus ?
C'est assez simple. Dès mon arrivée, j'ai établi un nouveau code minier ainsi
qu'un comité technique chargé de réévaluer tous les contrats passés dans ce
secteur clé. L'objectif, c'est la transparence, et il va donc de soi que, si
nous parvenons à prouver qu'un contrat a été obtenu par une société grâce à la
corruption, ce contrat sera annulé. Par ailleurs, tout permis de recherche non
exploité dans les trois ans qui suivent son attribution doit revenir
automatiquement à l'État. Nous avons ainsi récupéré plus de 800 permis que leurs
détenteurs étaient parfois allés jouer en Bourse, sans rien faire d'autre. En ce
qui concerne BSGR, des enquêtes sont ouvertes aux États-Unis et en Guinée, il y
a eu des arrestations, le FBI est venu à Conakry et nous collaborons
étroitement. J'attends les résultats.
Dans l'entourage de Steinmetz, on dit ne pas comprendre
pourquoi vous voulez évincer le groupe de Guinée.
Je ne cherche à évincer personne, mais les temps ont changé. Je constate
simplement que BSGR, qui était en possession d'un permis de recherche à
Simandou, l'a revendu aux Brésiliens de Vale en violation du code minier, qui
stipule qu'un permis n'est pas transférable. Je constate aussi que les
conditions dans lesquelles BSGR a obtenu ce permis donnent lieu à des enquêtes
judiciaires. Il faut être clair : la Guinée a besoin des sociétés minières, et
il va de soi que ces dernières doivent pouvoir gagner de l'argent, sinon elles
ne viendront pas. Mais le peuple guinéen doit aussi en profiter. Nous ne
demandons que le juste prix de nos minerais, rien de plus. Et nous sommes des
intégristes de la transparence : tous nos contrats miniers sont publiés sur
internet.
Rejoignez-vous les autres chefs d'État africains dans
leurs critiques à l'encontre de la Cour pénale internationale ?
Je suis contre l'impunité et contre les chefs d'État qui écrasent leur peuple.
Cela a été le sens et l'essence de mon combat. Mais je constate comme tout le
monde que, curieusement, la CPI ne poursuit que des Africains, comme s'ils
étaient plus criminogènes que les autres. Je comprends donc l'agacement de mes
pairs. Moi-même, je me pose des questions.
Et lorsque vos adversaires politiques de passage à Paris
sont reçus à l'Élysée ou au Quai d'Orsay, cela vous agace aussi ?
Pas du tout. J'ai été opposant. Et j'étais alors reçu aux mêmes adresses.
Dans son rapport 2013, qui vient de paraître et qui porte sur l'année 2012,
Amnesty International écrit ceci à propos de la Guinée : « Les forces de
sécurité se sont rendues coupables de violations des droits humains, de recours
excessif à la force, d'exécutions extrajudiciaires et de torture. » Comment
l'ancien militant Alpha Condé accueille-t-il ces accusations ?
Avec étonnement et perplexité. Il n'y a jamais eu d'exécutions extrajudiciaires
sous ma présidence. Le droit de manifester est respecté. Je n'ai aucun problème
avec les droits de l'homme. Cela dit, la Guinée vient de très loin et je n'ai
pas de baguette magique pour changer du jour au lendemain le comportement et la
mentalité des forces de l'ordre. J'ai hérité d'un vide, j'ai hérité de décennies
d'abus de toutes sortes, d'habitudes détestables. J'ai pris à bras-le-corps et
au même moment la réforme de l'armée, la refonte du secteur minier et la lutte
contre la corruption. Ce n'est pas facile, les résistances sont multiples, j'y
parviendrai. Mais que l'on n'exige pas de moi que la Guinée devienne le Danemark
en trois ans.
Vous continuez de tout vérifier, de tout contrôler et
finalement de tout décider. Pourquoi cette hyperconcentration du pouvoir ?
Je n'ai pas le choix. J'incarne le changement, et les partisans d'un vrai
changement sont encore minoritaires. Quand ils ne le seront plus, alors je
pourrai prendre du champ. En attendant, je me bats chaque jour pour sauvegarder
les intérêts et les finances de l'État. Quitte à ce que l'on dise dans la rue :
« Alpha, c'est un Blanc ! »
La prochaine élection présidentielle, c'est pour 2015,
dans un peu plus de deux ans, et vous serez bien sûr candidat à votre
succession...
Comme l'on dit, le premier mandat pose les jalons. Mais nous avons déjà fait
bien plus que cela : une autre interview ne suffirait pas pour énumérer tout ce
que nous avons déjà réalisé.
________
Propos recueillis à Conakry par François Soudan
Source:Jeuneafrique
Naviguer à travers les articles | |
Issad Rebrab : "L'Algérie a plus de potentiel que l'Égypte" | Mali - Tiébilé Dramé : "Nous avons franchi une étape importante sur le chemin de la paix" |
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
|