Le Président Hollande va entamer la
période estivale par une baignade à Tunis. Tout le monde s’en réjouit car depuis
la chute de la dictature en 2011 la Tunisie réclame avec ferveur l’expertise
française en matière de conduite de « révolutions ». Elle attend donc avec
impatience l’exercice de « donneur de leçons» dans lequel excelle la tradition
française.
Mais un voyage à Tunis pour quoi faire ?
On cherchera en vain dans l’ordre du jour des entretiens des sujets de politique
internationale ; car dans ce domaine depuis la chute de Bourguiba, la Tunisie
est aux abonnés absents. Et puis côté Quai d’Orsay, on serait bien en peine de
déchiffrer les grandes lignes d’une vision sur le devenir de l’Afrique du Nord
et du Moyen Orient. Il ne faut pas s’attendre, sauf divine surprise, à un «
discours de Tunis » qui fera date. A regret on peut prévoir qu’il ne dépassera
l’incantation de redondantes tartes à la crème diplomatiques : lutte contre le
terrorisme, construction du « Grand Maghreb » (Arabe ?), de « l’Euro
Méditerranée » (avec Israël ?) guerre à Bachar et paix au Levant…
Au plan bilatéral, l’exercice de géométrie sera complexe car à Tunis, le pouvoir
de est tricéphale.
Le Président français sera reçu par le Président de l’Assemblée Constituante qui
est un radical-centriste dont le parti a rejoint l’internationale socialiste
lorsque le siège du RCD de Ben Ali s’est libéré. Le Docteur Ben Jaafar est un
radiologue obstiné mais courtois avec lequel nul n’a jamais réussi à se fâcher.
Ensuite, François Hollande dînera de gala dans le clinquant Palais de Carthage
avec son homologue le Docteur Marzouki qui est un neurologue passionné et
passionnant avec lequel tout le monde finit par se fâcher.
Les deux docteurs précités sont d’éminents praticiens issus de la ligue des
droits de l’homme. Tous deux ont épousé des Françaises. La plupart de leurs
enfants et petits-enfants portent la double citoyenneté.
De leurs côtés, presque tous les ministres du parti majoritaire Ennahda sont de
culture anglo-saxonne car Londres avait offert aux islamistes l’asile que Paris
leur avait refusé.
Le Président Hollande aura-il un tête à tête avec le Cheikh Rached Ghannouchi?
C’est probable et très souhaitable car, même si le leader du parti islamiste
n’assume aucune responsabilité régalienne, il est incontestable qu’il exerce une
fonction « tribunicienne » d’étendard dont le premier ministre et les membres
nahdhoui du gouvernement ne sont que les gonfaloniers.
On peut supposer que la rencontre ou de la non-rencontre fait déjà l’objet de
tractations diplomatiques minutieuses entre Tunis et Paris, mais aussi Doha dont
les interférences en cette matière sont coutumières.
La posture du Président français sera d’autant plus délicate que chacun des
trois leaders cherchera à tirer avantage de cette visite car leurs pouvoirs
éphémères reposent sur l’équilibre instable d’un compromis que l’on pourrait
résumer ainsi « il est urgent de repousser à la Saint- Glinglin les élections
que nous sommes assurés de perdre ».
Le devenir post ou pré révolutionnaire de la Tunisie est totalement opaque.
L’activisme de la réaction est permanent. L’héritage de Ben Ali est survivant.
La révolution n’a pas réussi à maîtriser le tandem police-justice qui neutralise
toute velléité républicaine. Le sombre immeuble du ministère de l’intérieur
plastronne toujours avenue Bourguiba, les Champs Elysées de Tunis ! Les
nahdhaouis n’ont pas touché à ce symbole des années de tortures, pire, ils sont
comme frappé du syndrome de Stockholm, ils adorent les pandores au point
d’envisager de réintégrer ceux que, par vengeance hâtive, ils avaient chassés au
lendemain de la révolution.
Les lois de plomb de l’ancien régime sont toujours en vigueur. Les femmes, les
faibles et les jeunes continuent d’en faire les frais : chômage et soumission.
Amina sœur courage, les rappeurs irrévérencieux, les caricaturistes audacieux
sont au cachot, avec tant d’autres !
Hollande osera-t-il citer les vers de Maurice Vidalin chantés par Mireille
Mathieu ?
Que l’on touche à la liberté
Et Paris se met en colère
Et Paris commence à gronder
Et le lendemain, c’est la guerre.
Non bien sûr car Tunis ne brûle pas encore, mais si on laisse faire, ça ne
saurait tarder.
Hollande osera-t-il proclamer que l’espace de la Tunisie musulmane se confond
avec celui de la France laïque? Que six millions de musulmans vivent dans
l’hexagone dont près d’un million sont tunisiens. Que la Tunisie est la
troisième destination des touristes français qui sont bien plus familiers de ce
pays que de la Corrèze.
Hollande osera-t-il dire que le destin des deux pays est commun ? Que la justice
et la liberté ne sauraient être inéquitablement réparties car les deux peuples
ont lutté de conserve pour les gagner au siècle dernier.
Tiendra-t-il un discours de charme? Promettra-t-il ce qu’il ne peut tenir : de
l’argent et des visas ? Aura-il un langage ferme et menaçant dans le secret des
têtes à têtes ? Aura-t-il la force de résister à son entourage, les familiers
des plages, natifs de passage, naturalisés de complaisance, ou refugiés fiscaux
qui parlent haut au nom d’un pays dont ils ignorent tout ?
La liste des personnalités qui accompagneront le Président sera scrutée à la
loupe. Combien de ministres dîneurs du CRIF ? La Garde des Sceaux et celle de la
Culture seront-elles du voyage ? La suite Présidentielle respectera-elle la
parité homme/femme ? Y’aura-t-il dans la cohorte d’invités officiels un
syndicaliste franco-tunisien, le meilleur boulanger de Paris, la Palme d’Or à
Cannes, un médaillé olympique, l’aumônier musulman de la Gendarmerie ?
François Hollande donnera-t-il un signe fort de la rupture avec le microcosme
pipole des amitiés cupides du showbiz franco-tunisien ?
Au-delà des aspects sociologiques de la relation bilatérale, l’important volet
économique n’a guère été impulsé par des ambitions communes. Ainsi, la France
est très en retrait par rapport aux Allemands sur le projet de fermes solaires
qui approvisionneront l’Europe en électricité depuis le sud de la Tunisie. La
mise en eau de la mer intérieure du chott El Jérid est toujours dans les
cartons. Il n’existe aucun projet commun grandiose hors l’utopie nucléaire
encouragée par la caste des polytechniciens.
Paris regarde les rivages et ignore le pays profond. Il n’y a que les militaires
qui savent que le tiers de la superficie de la Tunisie est un no man’s land qui
s’enfonce sur cinq cents kilomètres de dunes entre l’Algérie et la Libye. Ce
territoire stratégique longtemps oublié est devenu un « spot » convoité pour la
délocalisation de l’US Africa Command. Le Président français en parlera sans
doute, mais à voix basse.
Un matin de juillet 1954 Pierre Mendes-France atterrissait à Tunis sur une terre
soumise à la France, le soir même il en repartait après l’avoir libérée.
Bourguiba toute sa vie s’en souviendra exhibant sur son bureau l’image dédicacée
du héros français de l’histoire de la Tunisie.
François Hollande aura bien du mal à hisser sa performance au niveau de celle de
l’icône socialiste !
Par Hedy Belhassine
Source:http://www.mondialisation.ca
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