Détérioration de la situation économique, aggravation des inégalités sociales, verrouillage politique... Le premier anniversaire de l'arrivée au pouvoir du président Morsi avait un goût si amer... qu'il a provoqué sa chute.
L'armée a suspendu la Constitution et renversé le président de la République,
Mohamed Morsi, mercredi 3 juillet dans la soirée. Cris de joies et feux
d'artifice sont venus ponctuer cette décision et clore plusieurs jours de
manifestations monstres dans les rues du Caire. Les Frères musulmans qui ont
dirigé le pays pendant un an, se trouvent aujourd'hui laminés, et plusieurs de
ses cadres arrêtés. Au-delà de la liesse populaire - dans les zones urbaines
surtout - , le pays témoigne surtout d'un grand malaise face à l'incapacité de
ses dirigeants de lui assurer la stabilité nécessaire à son décollage
économique.
Avant la chute de Morsi, le désenchantement était tel que certains allaient
jusqu'à regretter ouvertement l'ère Moubarak. Après avoir culminé à 78 %
d'opinions favorables trois mois après son arrivée au pouvoir, la cote de
popularité du chef de l'État issu des Frères musulmans était en chute libre.
Selon un sondage réalisé fin mai par le Centre égyptien pour la recherche sur
l'opinion publique (Baseera), ils n'étaient plus que 42 % à juger son action
satisfaisante. « Morsi et les Frères musulmans ont échoué, affirme Ashraf
al-Sherif, professeur de sciences politiques à l'université américaine du Caire.
Ils n'ont réussi à introduire aucun changement et n'ont réalisé aucun des
objectifs de la révolution. Ils reproduisent les politiques de l'ancien régime
sous une forme nouvelle. »
Sur le plan socio-économique, la situation reste préoccupante. En mai,
l'inflation annuelle s'élevait à 9 %. Au premier trimestre 2013, le taux de
chômage s'établissait à 13,2 %, contre 12,6 % un an plus tôt. Quant à la justice
sociale, l'une des principales revendications de la révolution, dans un pays où,
en 2011, quelque 25 % de la population vivaient en dessous du seuil de pauvreté,
elle n'a jamais semblé être la priorité de Morsi. Ainsi, la nouvelle politique
fiscale adoptée fin mai fixe à 30 % seulement le taux d'imposition des revenus
supérieurs à 5 millions de livres (530 000 euros) par an. En France, un revenu
équivalent est taxé à 45 %. « On ne peut guère attendre des Frères qu'ils
réduisent les inégalités au vu de leur programme économique en tout point
semblable à la politique néolibérale des Moubarak », estime Alaa al-Din Arafat,
chercheur associé au Centre d'études et de documentation économiques, juridiques
et sociales (Cedej).
Infiltrés
L'instauration d'un régime démocratique semblait elle aussi compromise. « Il n'y
a qu'à voir la manière dont la Constitution [entrée en vigueur le 26 décembre
2012] a été adoptée pour comprendre que le régime ne respectait pas l'État de
droit », poursuit Alaa al-Din Arafat. Selon le Réseau arabe d'information sur
les droits de l'homme, une ONG égyptienne, il y a eu quatre fois plus de
plaintes contre des journalistes pour « insulte au président » lors des deux
cents premiers jours de Morsi au pouvoir que pendant les trente ans de règne de
Moubarak. Les Frères sont également accusés de vouloir infiltrer tous les
appareils de l'État pour s'en assurer le contrôle à long terme. Des soupçons
étayés par la nomination, le 16 juin, de sept gouverneurs issus de la puissante
confrérie - sur dix-sept. Celle-ci s'est aussi engagée dans une guerre ouverte
avec les autorités judiciaires, son assemblée consultative envisageant de
proposer un projet de loi visant à abaisser l'âge de la retraite des juges. Une
initiative qui, selon ses détracteurs, serait destinée à remplacer les
magistrats fidèles à l'ancien régime par de plus jeunes, pro-Frères musulmans.
Les Égyptiens se sont dit que l'Éthiopie n'aurait jamais pris l'initiative de
détourner les eaux du Nil du temps de l'ancien raïs.
Morsi, qui aimait à rappeler qu'il était le premier président civil
démocratiquement élu du pays, a également déçu en matière de politique
étrangère. Lui dont le mouvement a toujours reproché à Moubarak son rôle dans la
politique régionale des États-Unis semblait marcher sur les pas de son
prédécesseur. Dernière maladresse en date : la rupture soudaine, le 15 juin, des
relations diplomatiques avec la Syrie, deux jours seulement après que la Maison
Blanche eut annoncé un soutien militaire aux rebelles. Et après la déviation des
eaux du Nil engagée le 28 mai par l'Éthiopie en prévision de la construction du
barrage de la Renaissance, les Égyptiens n'ont pas manqué de se dire, un brin
amers, qu'Addis-Abeba n'aurait jamais pris une telle initiative du temps de
l'ancien raïs.
"Rébellion"
Les Frères estiment, eux, que des avancées ont été accomplies. « Les militaires
ne sont plus au pouvoir et n'y reviendront jamais, l'Égypte est devenue un État
civil, se félicitait - à tort visiblement - Abdel Mawgoud al-Dardery,
porte-parole de la commission des relations étrangères du Parti de la liberté et
de la justice (PLJ). Nous avons adopté une Constitution, préservé les
institutions démocratiquement élues comme le Sénat et lancé la lutte contre la
corruption au sein de l'État. [...] Les investissements étrangers sont massifs,
même si leur impact ne se fera pas sentir dans l'immédiat. Malgré la situation
difficile, le président Morsi a réussi à rassurer les investisseurs américains,
qataris, saoudiens et émiratis, qui ne sont pas partis. »
Dans un tel contexte de bipolarisation exacerbée, aggravée par les coupures
d'électricité et les pénuries d'eau potable et d'essence, la date du 30 juin
s'est donc révélée fatidique, comme le redoutaient - ou l'espéraient - de
nombreux Égyptiens. Ce jour-là, les militants de Tamarrod (« rébellion »), une
campagne réclamant une élection présidentielle anticipée et qui a gagné en
popularité, ont réussi à mobiliser des centaines de milliers de manifestants à
travers le pays. « Les Frères sont inquiets. Ils prennent conscience que leur
gestion du pouvoir a suscité beaucoup de désillusions et de frustrations. Il y
aura beaucoup de gens dans les rues, pronostiquait avant le coup de force de
l'armée Michael Wahid Hanna, du think tank américain The Century Foundation. On
ne sait pas si le soufflé va rapidement retomber ou s'il faut s'attendre à
quelque chose de plus important. Il y a un réel risque d'affrontements, et les
moyens de juguler une flambée de violence n'existent pas », poursuivait-il.
Seule l'armée, avec l'appui d'une grande partie du peuple, pouvait tenter un
retour à la normalité. Quitte à suspendre la Constitution...
Source: Jeuneafrique.com
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