Sénégal, la tentation dynastique
Karim Wade, le fils du Chef de l'Etat, est candidat à la
mairie de Dakar.
Le 22 mars, la température politique va brusquement monter à Dakar. Les
élections municipales sénégalaises seront plus animées qu'à l'accoutumée. Karim
Wade, le fils du Chef de l'Etat, sera candidat à la mairie de Dakar, la capitale
où vit près du cinquième de la population sénégalaise. Au-delà du scrutin local,
pour les Sénégalais l'enjeu est clair : la succession du Président Abdoulaye
Wade. Pour l'opinion, cette entrée en politique du fils n'est qu'un premier pas
vers la conquête du pouvoir suprême. Depuis des mois, les médias dakarois se
passionnent pour les ambitions prêtées au fils. Karim Wade, 40 ans, a d'ailleurs
créé « génération du concret », un mouvement politique destiné à « défendre ses
idées ».
Même s'il est jusqu'à présent dépourvu de mandat, « Wade junior » est loin
d'être dépourvu de pouvoir : il est d'ores et déjà le conseiller le plus
influent de son père. A Dakar, il se murmure que rien d'important ne se signe au
Sénégal, sans son aval, notamment les grands contrats. D'autre part, il est doté
d'un carnet d'adresses volumineux. Son père l'a nommé président du comité
d'organisation du sommet de l'Organisation de la Conférence islamique. A ce
titre, il travaille avec tous les dirigeants du monde arabe.
Karim Wade est reçu à l'Elysée
Lorsqu'il s'agit de négocier des contrats pour doter le Sénégal du nucléaire
civil, c'est lui que son père envoie traiter avec Sarkozy et les entreprises
françaises. D'après la presse sénégalaise, c'est Nicolas Sarkozy lui-même qui
lui aurait conseillé de se lancer dans l'arène électorale afin d'acquérir
«l'onction démocratique» qui facilite l'accès aux plus hautes fonctions.
Selon Le Quotidien, titre influent de Dakar, le président Wade, âgé de 82 ans,
n'attendrait pas forcément le terme de son mandat en 2012 pour passer le relais
: une succession pourrait avoir lieu dès cette année. Les observateurs de la vie
politique africaine considèrent que ce « tour de passe passe » n'aurait rien
d'étonnant sur le continent noir. Au Togo, Faure Gnassingbé a bien succédé à son
père, à la tête du pays en 2005. Sauf que le Sénégal est une démocratie.
Abdoulaye Wade a accédé au pouvoir en 2000 à la suite d'une « alternance
démocratique ». Au lieu de s'accrocher au pouvoir, Abdou Diouf, le Président
sortant avait reconnu sa défaite : celle d'un parti socialiste aux affaires
depuis l'indépendance, obtenue en 1960.
Les Sénégalais sont attachés à la démocratie, comme ils l'ont démontré à de
nombreuses reprises en manifestant lorsqu'ils estimaient que des atteintes aux
droits de l'homme étaient commises. L'arrivée au pouvoir de Karim Wade ne pourra
donc se passer de « l'onction démocratique ».
Or, il n'est pas sûr que Karim soit aussi populaire que son père. Wade senior,
surnommé localement le « Sarkozy sénégalais », a bâti ses succès électoraux sur
sa capacité à séduire l'électorat populaire en rompant avec le discours jugé «
trop intellectuel » des dirigeants socialistes. Dans les quartiers populaires
l'attachement à « Gorgui » le « vieux » en wolof reste bien réel. La population
adore le « verbe savoureux » de cet avocat d'affaires qui maîtrise le wolof et
le français à merveille. Elle lui pardonne, bien souvent, ses promesses non
tenues. Lorsqu'il était dans l'opposition, Wade faisait de fréquents meetings
dans les quartiers populaires. Il demandait notamment à tous les jeunes qui
n'avaient pas d'emploi de lever la main ; 90 % des mains se levaient. Et là, il
leur en promettait un à tous dès son élection assurée. Neuf ans, plus tard, la
situation des jeunes n'a guère changé. Au lieu d'en vouloir à Wade, des
Sénégalais préfèrent en rire. Au point d'avoir inventé cette plaisanterie :
«Wade revient dans les mêmes quartiers. Il demande aux jeunes qui ont trouvé un
emploi de lever la main. Tous restent immobiles. Sauf deux d'entre eux qui
agitent les bras. Sindiély et Karim Wade, sa fille et son fils». S'ils
pardonnent au père, beaucoup de Sénégalais en veulent au fils. «A tort ou à
raison, Karim Wade passe pour être trop impliqué dans les affaires. Ce qui lui
vaut un sobriquet peu flatteur : Monsieur 10% » estime l'hebdomadaire
sénégalais, le Nouvel horizon.
D'autre part, les « gorgorlou », les « débrouillards » de Dakar ont du mal à
s'identifier à ce diplômé de la Sorbonne, expert en ingénierie financière. Ils
considèrent que Karim n'a pas participé à la lutte pour le pouvoir.
Contrairement à son père qui a séjourné en prison en raison de ses engagements
politiques. Certes Karim Wade, né à Paris d'une mère française, a fait ses
études secondaires au Sénégal. Mais par la suite, il a étudié en France et n'est
revenu à Dakar que lorsque son père est arrivé au pouvoir. « Ils se
reconnaissent d'autant moins en lui qu'il ne maîtrise pas bien la langue wolof »
estime Barka Ba, journaliste politique. Un élément d'autant plus important qu'à
Dakar, l'essentiel des conversations, même entre intellectuels, se déroule en
wolof et non en Français. Contrairement à ce qui se passe dans beaucoup d'autres
capitales africaines, les langues « importées » n'ont pas supplanté la langue
locale.
Même en français, Karim Wade est très économe de ses mots. Ce qui pourrait être
perçu comme une qualité sous d'autres cieux est mal vu dans un pays où les
joutes verbales sont chéries.
Mais l'un de ses principaux handicaps reste sans doute sa couleur de peau.
L'écrivain sénégalais Pape Moussa Samba, dans son essai, Le Président Wade ou le
génie solitaire pose la question : «Le peuple sénégalais qui vient de se libérer
du joug colonial, est-il prêt à être dirigé par un métis marié à une Française?»
Même si peu d'observateurs osent s'interroger aussi ouvertement sur cette
question, au Sénégal, elle n'en reste pas moins essentielle. «Si en Occident,
Barack Obama est perçu comme noir. En Afrique, les métis sont considérés comme
des blancs. Dans les écoles des quartiers populaires, ils sont souvent
“stigmatisés” par les autres enfants qui les appellent “toubabs” (blancs) en
wolof», rapporte Omar Diallo, instituteur dans une banlieue dakaroise.
Les Sénégalais sont-ils prêts à élire un métis? Rien n'est moins sûr. En tout
cas, la question se pose avec acuité, pas seulement au Sénégal et sans doute
moins au Sénégal, qu'ailleurs sur le continent.
L'écrivain mozambicain Mia Couto a récemment ouvert le débat: «Soyons clairs.
Obama est noir aux Etats-Unis. Si Obama avait été africain, il aurait vu sa race
opposée à son visage [sa couleur de peau]. Les élites prédatrices feraient
campagne contre quelqu'un que l'on qualifierait de non authentiquement africain.
Le même frère noir qui est célébré comme le nouveau président des Etats-Unis
aurait été vilipendé ici comme représentant des autres, des autres races, d'un
autre drapeau.»
Pierre Cherruau
*
Pierre Cherruau
Pierre Cherruau a publié de nombreux ouvrages, notamment Chien fantôme (Ed.
Après la Lune), Nena Rastaquouère (Seuil), Togo or not Togo (Ed. Baleine), La
Vacance du Petit Nicolas (Ed. Baleine) et Dakar Paris, L'Afrique à petite foulée
(Ed. Calmann-Lévy).
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Source:Slateafrique
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