Exilé, lâché par ses homologues d'Afrique centrale, le président déchu n'a pas baissé les bras. Rappelant que son mandat courait jusqu'en 2016, François Bozizé réclame toujours le retour à l'ordre constitutionnel. Mais reste très discret sur ses intentions.
François Bozizé Yangouvonda
Il est venu chez Jeune Afrique un
après-midi pluvieux du mois d'août, entouré de deux de ses fils : Francis, le
militaire, ancien sous-officier parachutiste dans l'armée française, qui fut
longtemps son ministre de la Défense, et Giscard, l'un des plus jeunes, qui
l'accompagna dans sa fuite au Cameroun après la chute de Bangui, le 24 mars.
François Bozizé Yangouvonda, 66 ans, président de la Centrafrique de 2003 à
2013, a perdu du poids, gagné de l'amertume et promène toujours autour de lui ce
regard un peu las que ses compatriotes lui connaissent. Mais qu'on ne s'y trompe
pas : cet homme est du genre tenace et il a, comme il le dit, "une certaine
habitude" de l'exil. À trois reprises déjà, dans le passé, ce général galonné
sous Bokassa a été forcé de s'éloigner des rives de l'Oubangui, avant d'y
revenir après une traversée du désert. Cette fois, il en est sûr, le scénario se
répétera.
Trompé par ses pairs
On en est encore loin, certes. À Bangui, un pouvoir de transition sous double
influence tchadienne et soudanaise dirigé par le président autoproclamé Michel
Djotodia - premier musulman à exercer cette fonction depuis l'indépendance -
fait régner son ordre. Ou plutôt son désordre, car les ex-rebelles de la Séléka,
dont Djotodia est le chef très théorique, multiplient les exactions au point de
faire apparaître la décennie Bozizé comme une période de paix relative et de
marginaliser les personnalités politiques qui collaborent avec eux ou qui
préfèrent se taire. Un atout paradoxal dans le jeu de cet homme secret et
imprévisible, lui-même ancien rebelle et autour de qui vient d'être créé à
Paris, le 3 août, un Front pour le retour à l'ordre constitutionnel en
Centrafrique (Frocca), ouvert, assure-t-il, "à tous ceux qui veulent sauver le
pays".
Reverra-t-on bientôt François Bozizé prendre les armes aux frontières de la
Centrafrique ? Sur ce point, comme il y a onze ans lorsqu'il disparut plusieurs
mois avant de provoquer la chute de son prédécesseur Ange-Félix Patassé, Bozizé
est illisible, plus discret que jamais. Tout juste confesse-t-il qu'il ne
s'"interdit rien". Il faut dire aussi que le contexte a changé. Celui qui, le 24
mars, quelques minutes avant d'embarquer dans l'hélicoptère de la dernière
chance, a signé un décret remettant la ville de Bangui entre les mains des
troupes françaises et sud-africaines (décret qui restera lettre morte, comme on
l'a vu) sait qu'il ne bénéficie pour l'instant d'aucune base de départ dans la
région. "Mes pairs m'ont trompé, lâche-t-il, surtout Idriss Déby Itno. Je lui ai
fait confiance. Combien de fois n'avons-nous pas mangé ensemble ?"
Il est 18 heures, la pluie a cessé. François Bozizé prend congé. Je regarde sa
silhouette, un peu voûtée désormais, et celles de ses deux fils s'éloigner sur
le trottoir parisien. Une nouvelle fois, sa vie est entre parenthèses. Il n'y a
pas de bel exil.
Jeune Afrique : Vous êtes en France depuis quelques
semaines. Comptez-vous vous y installer ?
François Bozizé- Non. Je suis en France pour des raisons d'ordre
familial. Mon pays, c'est la Centrafrique. Tôt ou tard, j'y retournerai.
On vous a signalé il y a peu en Ouganda, puis au Soudan du
Sud, non loin de la frontière centrafricaine. Qu'y faisiez-vous ?
Tout cela est faux. Je ne suis allé ni en Ouganda, ni au Soudan du Sud, ni en
Afrique du Sud. Depuis mon départ de Bangui le 24 mars, j'ai résidé à Yaoundé
puis à Nairobi. Le reste, ce sont des fantasmes.
Les autorités béninoises sont, semble-t-il, prêtes à vous
accueillir à Cotonou. Cela vous conviendrait-il ?
C'est une possibilité.
Vos successeurs au pouvoir ont lancé contre vous un mandat
d'arrêt international pour crimes contre l'humanité et incitation au génocide.
Cela vous inquiète-t-il ?
Venant d'eux, alors que chaque semaine ou presque depuis quatre mois un rapport
d'ONG dénonce les meurtres, les pillages et les enlèvements perpétrés par la
Séléka, cela me fait sourire. Leur objectif est clair : m'empêcher de me
présenter à l'élection présidentielle.
Vous exigez le retour à l'ordre constitutionnel. Cela
signifie-t-il votre retour au pouvoir ?
Une chose est sûre : je n'ai pas achevé mon mandat, lequel expire en 2016. Ce
retour à la lettre de la Constitution adoptée par référendum en 2004 est donc un
préalable, ce n'est pas négociable. Une fois cela fait, je suis ouvert, comme je
l'ai toujours été, au dialogue avec tous les Centrafricains, y compris Michel
Djotodia et ceux qui se sont fourvoyés avec lui.
La Séléka revendique 20 000 hommes sur le terrain, et
votre armée, les Faca, s'est volatilisée. Comment allez-vous faire ?
Il suffirait que les troupes tchadiennes présentes en Centrafrique quittent le
pays pour que le rapport de forces s'inverse. La Séléka a toute une collection
de petits chefs qui se disputent. Nous sommes d'ailleurs en contact avec
certains d'entre eux, ainsi qu'avec les Faca qui se cachent. Je souhaite que la
France, dont le contingent à Bangui permet à l'aéroport de fonctionner encore,
fasse pression sur Idriss Déby Itno afin qu'il retire ses hommes.
Mais ni le président tchadien ni aucun de vos ex-pairs
d'Afrique centrale ne souhaite vous revoir à Bangui !
Je me demande encore pourquoi Déby Itno a joué contre moi, sauf à croire que son
objectif ait été de vassaliser la Centrafrique. Lui et quelques autres m'ont
pris pour un incapable, un incompétent, un homme têtu qui n'écoute aucun
conseil. Le problème est qu'en me déstabilisant ils ont joué avec le feu.
L'anarchie qui règne aujourd'hui dans mon pays et son islamisation rampante en
font une bombe à retardement qui les menace tous.
Avec quels chefs d'État avez-vous parlé depuis votre chute
?
Le président Biya, qui a eu la noblesse de m'accueillir, m'a longuement reçu. Je
me suis entretenu à deux reprises au téléphone avec le président Sassou Nguesso
et une fois avec le président Boni Yayi.
Avez-vous eu des contacts avec des officiels français
depuis votre arrivée à Paris ?
Pas encore. C'est le mois d'août. Mais j'imagine que cela se fera.
Comptez-vous reprendre les armes ? Lancer une guérilla ?
Je ne m'interdis rien, mais ce n'est pas d'actualité. Je veux sensibiliser la
communauté internationale aux souffrances de mon peuple. La Séléka persécute les
chrétiens, on exécute des jeunes parce qu'ils portent des tee-shirts à mon
effigie, on viole et on pille. Ce n'est pas tolérable.
Avez-vous les moyens, notamment financiers, de vos
ambitions ?
Cela viendra.
Quels reproches vous faites-vous ?
Un seul reproche, celui d'avoir été naïf. J'ai cru aux engagements pris, j'ai
cru aux fameuses "lignes rouges" que les rebelles ne devaient pas franchir sous
peine d'être attaqués par les forces d'interposition, j'ai cru au dialogue avec
mes ennemis. L'excès de dialogue m'aura perdu.
Une leçon à tirer ?
Ce monde, c'est la loi du plus fort. Mais les Centrafricains doivent savoir que
Bozizé ne les abandonnera pas.
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Propos recueillis par François Soudan
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