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Ce que l'Égypte doit retenir de l'expérience algérienne

Certains leaders islamistes algériens avaient quelques conseils à prodiguer à leurs frères assiégés en Égypte après le renversement de Mohamed Morsi. " Ne reproduisez pas nos erreurs, ne prenez pas les armes pour venger le coup d'État militaire ", a prévenu l'un d'eux. " Ne regardez pas l'Algérie, mais plutôt la Turquie, où les islamistes se sont réorganisés après la destitution par l'armée d'un Premier ministre issu de leurs rangs en 1997 ", a suggéré un autre. Des conseils avisés émanant d'un État nord-africain qui a enduré plus de dix années de guerre civile après l'annulation brutale des résultats du scrutin législatif de 1991 remporté par les islamistes. Plus de deux décennies plus tard, l'Algérie reste traumatisée et autocratique. Ni les islamistes ni les libéraux ne peuvent accéder au pouvoir, et les attaques jihadistes, qui ont longtemps dévasté le pays, ne sont pas encore totalement jugulées.

 

 

 


L'interruption en Égypte d'une nouvelle expérience électorale islamiste au nom de la démocratie conduit inévitablement à dresser un parallèle. Certains se réfèrent au précédent algérien pour pronostiquer le basculement des islamistes dans la violence. Ces derniers, eux, se demandent comment les puissances mondiales pourraient permettre que se renouvelle au Caire le triste échec de l'expérience algérienne. Mais si celle-ci constitue une sérieuse mise en garde pour l'Égypte, il ne faut toutefois pas pousser trop loin le parallèle.

La situation difficile qu'a connue l'Algérie était liée à une histoire tourmentée, celle d'un État qui n'avait arraché son indépendance à la France qu'en 1962. La guérilla menée par les islamistes s'inscrivait dans le droit fil de la longue et douloureuse guerre de libération. Bric-à-brac de courants islamistes, le Front islamique du salut (FIS) n'avait pas de programme cohérent. C'était moins un parti qu'une idée, laquelle a cristallisé le mécontentement général à l'égard du parti nationaliste au pouvoir, au moment où les cours du baril de pétrole étaient à la baisse. C'est l'ampleur de la répression au lendemain du coup d'État qui a conduit nombre de jeunes à gagner le maquis, et c'est la brutalité du régime militaire qui a entraîné les représailles féroces des islamistes radicaux.

Les Frères musulmans d'Égypte, eux, sont un groupe discipliné qui a survécu à des décennies de régime répressif, parfois en le défiant, le plus souvent en trouvant des compromis. Le putsch contre Morsi est intervenu après qu'il s'est aliéné, en un an de présidence, des pans entiers de la société et a brisé - du moins hors de son électorat naturel - le mythe d'un islamisme promesse de prospérité. La forme que pourrait prendre la contestation en Égypte se rapprocherait vraisemblablement davantage d'une insurrection sur le modèle de celle menée dans les années 1990 par des groupes radicaux comme la Gamaa al-Islamiya et le Jihad islamique que d'une guerre civile à l'algérienne. Elle aurait, en outre, un impact au-delà des frontières, l'Égypte étant historiquement un phare au coeur du monde arabe, alors que l'Algérie était, elle, isolée.

Malgré ces différences, le précédent algérien n'en montre pas moins à l'Égypte les erreurs qu'elle devra éviter de commettre si elle veut conserver une chance de se construire un avenir plus serein. L'expérience des islamistes algériens constitue pour la confrérie une mise en garde contre la tentation de tomber dans le piège autodestructeur de la violence et de s'exclure du processus politique. De même, l'échec de l'expérience algérienne devrait aussi dissuader l'armée égyptienne de réprimer les islamistes ou de chercher à les bannir de la vie politique.

Dans un premier temps, les arrestations en Égypte ont visé les dirigeants de la confrérie plutôt que sa base, mais le cycle de la répression pourrait bien n'en être qu'à son début. Chez les libéraux et les hommes de gauche, qui se sont massivement mobilisés et ont appelé à l'intervention de l'armée, une radicalisation inquiétante est en train de s'opérer. Elle n'est pas sans rappeler celle des " éradicateurs ", qui avaient salué le coup d'État militaire en Algérie. Ils devraient méditer le destin qu'ont connu les laïcs jusqu'au-boutistes dans ce pays. Longtemps subordonnés à l'armée, ils n'ont pas renforcé leur légitimité ni construit l'ordre démocratique libéral pour lequel ils disaient se battre.

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Roula Khalaf Chef du service Moyen-Orient au Financial Times


Source:Jeuneafrique

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