À peine reconduit à la tête du PDCI, le
"Sphinx" a cédé à la pression des militants : oui, le parti présentera un
candidat face à Ouattara en 2015. Mais qui ? Les ambitieux piaffent déjà...
«La tortue, quand elle a le feu, elle peut encore bouger », dit d’un ton presque
admiratif l’un des adversaires d’Henri Konan Bédié, 79 ans. Il faut dire que,
lors du douzième congrès du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), l’ancien
chef de l’État ivoirien a montré une belle capacité de résistance face à ses
deux challengeurs, Alphonse Djédjé Mady, 68 ans, et Kouadio Konan Bertin (KKB),
44 ans. « À la présidentielle de 2010, Bédié était éteint. Mais là, il a
retrouvé une seconde jeunesse. La nuit du vote des congressistes, il est resté
sur place jusqu’à 2 heures du matin », poursuit notre interlocuteur.
Avec 93 % des voix des délégués, sa réélection à la présidence du PDCI fait
sensation. KKB dénonce « une fraude massive », mais, parmi les quelque 4 000
délégués rassemblés du 3 au 6 octobre au Palais des sports de Treichville, à
Abidjan, beaucoup ont manifesté aussi leur attachement à « Papa Bédié », le
dauphin que Félix Houphouët-Boigny avait fait entrer au bureau politique du
parti dès… 1965 ! « Et puis, au PDCI, on a la culture du chef », ajoute la jeune
députée Yasmina Ouégnin (34 ans).
Un candidat PDCI
pour 2015
Apparemment, donc, rien de nouveau. Et pourtant, dans les travées de
Treichville, il s’est passé quelque chose d’inattendu. La base a forcé Bédié à
annoncer qu’il y aurait un candidat PDCI à la prochaine élection présidentielle.
Avant ce congrès, le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara
comptait sur Bédié pour qu’il « tienne » ses troupes et pour que le PDCI ne
présente pas de candidat en 2015 face au chef de l’État sortant. Le « Sphinx de
Daoukro » semblait d’accord. Il distillait des phrases énigmatiques sur 2015 et
insistait sur la nécessité de maintenir l’alliance PDCI-RDR conclue en 2005 au
nom du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Mais durant le congrès un slogan a fait mouche : « Un parti qui se respecte doit
avoir un candidat en 2015. » Le président du comité d’organisation, le très
pro-Bédié Emmanuel Niamien Ngoran, ancien ministre de l’Économie et des
Finances, a lui-même lâché : « La base le demande, et un parti comme le PDCI
doit avoir un candidat. » En bon animal politique, Bédié a senti la pression des
militants. Et dans son discours de clôture, il a lancé, sous les vivats : « Il
est évident qu’en tant que parti politique nous ne pouvons pas ne pas avoir de
candidat. » Une double négation qui en dit long sur son embarras…
Dès le lendemain du congrès, l’un des piliers du parti, le Premier ministre,
Daniel Kablan Duncan, a jeté un pavé dans la mare.
L’affaire est-elle entendue ? Pas si simple. Pour désigner son candidat, le PDCI
va devoir réunir une convention de plusieurs milliers de personnes. Or, dès le
lendemain du congrès, l’un des piliers du parti, le Premier ministre, Daniel
Kablan Duncan, a jeté un pavé dans la mare : « C’est la convention qui décidera
s’il y aura un candidat. » Évidemment, derrière cette petite phrase, beaucoup
croient entendre Alassane Ouattara lui-même, dont Duncan est l’un des amis les
plus fidèles. Au PDCI, la base espère que la parole de Bédié prévaudra. « Quand
la tête est là, le genou ne porte pas le chapeau », dit joliment Yasmina
Ouégnin. Mais 2015, c’est encore loin. Et d’ici là…
Bédié face à un dilemme
« Ce congrès n’a fait que reporter les problèmes », affirme KKB. Il n’a pas
tort. De fait, pour le PDCI, c’est au moment de la convention que sonnera
l’heure de vérité. Bédié sera devant un dilemme : présenter un candidat au
risque de fâcher le RDR et de perdre des postes au gouvernement, ou ne pas en
présenter avec le danger de mécontenter la base et de susciter une ou plusieurs
candidatures indépendantes. Bédié lui-même pourrait-il se lancer dans la
course ? En 2010, il confiait à Jeune Afrique : « C’est mon dernier combat. » Et
en 2015, il aura 81 ans… Du coup, sans le dire ouvertement, plusieurs
précandidats sont déjà dans les starting-blocks. Parmi eux, Emmanuel Niamien
Ngoran, qui a réussi un congrès sans bavures ; l’ancien Premier ministre Jeannot
Ahoussou-Kouadio, qui est aussi l’un des fidèles du Sphinx ; et un certain
Charles Konan Banny.
Ce dernier cas est particulier. L’ancien gouverneur de la Banque centrale des
États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a toutes les raisons de demander
l’investiture du PDCI pour 2015. L’ex-Premier ministre de Laurent Gbagbo est un
homme d’expérience. Sa mission à la tête de la Commission Dialogue, Vérité et
Réconciliation (CDVR) touche à sa fin. Le problème, c’est que Bédié s’en méfie
depuis longtemps. À tort ou à raison, il le soupçonne d’être derrière KKB et
Djédjé Mady, et même de les avoir aidés à payer leurs frais de candidature – 18
millions de F CFA (27 440 euros) par personne, non remboursables pour les
perdants… Si le PDCI se jette dans la bataille de 2015, la convention risque
donc de mettre aux prises Banny et un candidat soutenu par Bédié. À moins que
les deux hommes finissent par faire la paix.
Que vont devenir les « messieurs 3 % », comme les pro-Bédié appellent méchamment
les deux vaincus du congrès ? Il ne faut pas les enterrer trop vite. Après sa
défaite face à Bédié, lors du précédent congrès d’avril 2002, Laurent Dona
Fologo avait quitté le PDCI et rejoint le camp Gbagbo. « KKB et Djédjé Mady,
eux, n’iront pas sécher leur linge au soleil », pronostique un confident de
Bédié. De fait, ils semblent décidés à rester au PDCI. Sans doute font-ils le
calcul que, face à un adversaire de 79 ans, ils vont pouvoir rebondir assez
vite. Avant le vote du 6 octobre, Bédié et KKB se sont parlé dans une ultime
tentative de conciliation. « Kouadio, si tu te retires, je te réserve une place
au secrétariat exécutif », a dit Bédié. « Dans nos valeurs, monsieur le
président, le fils ne laisse pas le père aller chercher le gibier à sa place »,
lui a répondu KKB. Au PDCI, la chasse reste ouverte toute l’année.
Source:
Jeune Afrique
Naviguer à travers les articles | |
Pourquoi l'Afrique se trouve-t-elle toujours dans une situation instable? | Libye : deux ans après, que devient le clan Kaddafi ? |
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
|