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La république françafricaine , par Odile Tobner

La Centrafrique est un cas d’école pour qui veut mesurer les ravages de la Françafrique.
Aucun pays africain n’a été aussi étroitement tenu sous tutelle française ; aucun n’est aussi délabré que la République centrafricaine, cinquième pays le plus pauvre du monde en dépit des richesses de son sous-sol.

La déliquescence de l’État [1] a laissé tout latitude aux bandes armées qui s’imposent par la terreur. Avec moins de cinq millions d’habitants la Centrafrique est aujourd’hui un pays sans routes, sans hôpitaux, sans écoles, sans eau potable, sans électricité. Soixante-dix pour cent de la population, abandonnée à elle-même, se trouve au-dessous du seuil de pauvreté et souffre de malnutrition ; le taux de mortalité à l’âge de cinq ans est de 220 pour mille et l’espérance de vie est de 44 ans. La moitié des habitants sont analphabètes. Tel est le triste bilan des régimes qui se sont succédé, tous sous une étroite dépendance de Paris. L’État-fantôme ne contrôle pas l’exploitation des ressources, bois, diamant, dont une grande partie fuit en contrebande vers les pays voisins.

L’histoire de la Centrafrique est celle d’un désastre continu. Après avoir été saigné à blanc par trois quarts de siècle d’une exploitation qui a dépeuplé le territoire et qui a permis l’édification de grandes fortunes françaises, notamment celles des Giscard d’Estaing ou de la famille de l’expert ès-droits de l’homme BHL, l’ex-Oubangui-Chari aborde l’indépendance en 1960 avec à peine deux millions d’habitants pour un territoire grand comme la France. Les bases militaires de Bouar et de Bangui assurent une présence permanente de l’armée française, qui a fait de la RCA un de ses terrains de jeu de prédilection, écrasant toute tentative de rébellion et assurant à la France une gestion quasi directe du pouvoir politique. Cette souveraineté de fait a permis à la France d’entretenir soigneusement la déliquescence de la RCA, pour mieux servir ses visées stratégiques et livrer le territoire au pillage de ses affairistes. Le seul objectif des subventions françaises depuis l’indépendance, et européennes depuis les années 2000, est d’assurer la continuité de l’exploitation des matières premières et l’accès aux aéroports.

Aujourd’hui que le chaos où est plongée la Centrafrique, devenue la proie de bandes armées venues du Congo, de l’Ouganda, du Soudan, du Tchad, menace leurs intérêts, les pays occidentaux envisagent une intervention militaire, maquillée d’humanitaire bien sûr. Ainsi le 20 novembre le directeur du bureau Afrique du département d’État des États- Unis, Robert Jackson, s’alarme d’une situation de « pré-génocide » en Centrafrique. Laurent Fabius lui fait immédiatement écho, affirmant que « la République centrafricaine est au bord du génocide ». Le mot fait mouche et dès le lendemain le même annonce que la France va déployer un millier de soldats supplémentaires, venant s’ajouter aux 400 qui gardent en permanence l’aéroport de Bangui et quelques sites français dont celui de Total, et renforcer les quelque 3000 militaires de la Force militaire d’Afrique Centrale, la FOMAC, déjà présents sur le terrain. Il est probable qu’ils seront rejoints, sans tambour ni trompette, par nos forces spéciales, qui opèrent déjà en toute discrétion dans le nord du Cameroun. On rétablira une apparence d’ordre et les habitants continueront à périr d’inanition en silence, sans troubler la marche des affaires as usual.

La politique françafricaine est décidément une grande réussite.

[1] Vincent Munié , Agonie silencieuse de la Centrafrique , Le Monde diplomatique , 29/09/2013 et Vincent Munié, Centrafrique stratégie française , Le Monde diplomatique , février 2008
Article parue le 6 décembre 2013
 

Source: IRIB

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