Kaïs Saïed, vice-président de l'Association tunisienne de droit constitutionnel et professeur universitaire, se prononce en homme libre et sans concessions sur la nouvelle Constitution tunisienne, promulguée le 26 janvier.
L'assemblée constituante le 23 janvier.
Jeune Afrique : Quels sont les apports de la nouvelle
Constitution ?
Kaïs Saïed : Par rapport à la constitution de 1959, c’est certainement au niveau
de certains droits et libertés qu’on distingue une différence. Tout un chapitre
leur est consacré, de ce point de vue l’apport est certain mais il serait
extrêmement exagéré d’en faire un texte révolutionnaire. L’innovation est
d’avoir constitutionnalisé ces droits et libertés ; beaucoup existaient déjà en
droit interne de l’État et c’est d’ailleurs ce qui a permis à la Tunisie de
ratifier de nombreux accords de droit internationaux tel que le pacte de 1966
[sur les droits civils et politiques, NDLR], ceux sur les droits des femmes ou
ceux concernant les enfants. L’autre innovation est d’avoir consacré dans ce
texte des institutions telles que l’Instance supérieure indépendante des
élections (Isie), la Haute autorité indépendante pour la communication
audiovisuelle (Haica) et celle dédiée au développement durable. En ce sens,
c’est une constitution du 21e siècle et non du siècle dernier.
Vous avez déclaré que les constituants ont repris les
erreurs et répété les échecs de la Constitution de 1959, sans pour autant se
préoccuper de l'intérêt général, qu’entendez-vous par là ?
L’absence de volonté politique pour une réelle révision du système et créer un
nouveau régime en rupture avec le passé est patente.
Le texte de 1959 avait été taillé sur mesure pour un parti et un homme.
Aujourd’hui les constituants ont adopté la même démarche mais ont taillé
plusieurs costumes de taille différentes, c’est toujours du sur mesure en
respectant les équilibres issus du scrutin du 23 octobre 2011. Dans ce contexte,
des tiraillements sont à prévoir pour les prochaines élections au vu des
changements d’équilibres politiques intervenus entre temps. L’absence de volonté
politique pour une réelle révision du système et créer un nouveau régime en
rupture avec le passé est patente.
Le scénario de 1959 se répète aujourd’hui puisque les demandes de la révolution
n’ont pas été entendues et consacrées. Les élus n’ont pas perçu que les causes
de l’échec de l’ancien régime n’étaient pas liées à la Constitution mais aux
revendications formulées avec insistance depuis 2010 par les régions
intérieures. La même erreur a donc été reproduite. Schématiquement, c’est
l’apoplexie au centre et la paralysie en périphérie. On aurait du partir du
local pour remonter vers le national, inverser la démarche qui est la cause de
cinquante années d’échec. Le pilier de la démocratie est la démocratie locale,
alors que celle qui a été mise en place est celle des partis. Cela est confirmé
par le projet de code électoral qui reprend le système de liste qui favorise les
formations politiques.
Quels sont les défauts de cette constitution ?
Le texte est sans défaut, l’erreur c'est la Constitution elle-même. Elle est
faite pour légitimer le pouvoir et est entre les mains des gouvernants or une
véritable loi fondamentale doit être entre les mains des gouvernés. Elle n’est
donc pas intériorisée par les citoyens qui ne se sentent pas concernés.
Dans les démocraties, il s’agit de dépasser l’État de droit pour aller vers une
société de droit. Tant que l’idée de Constitution n’est pas intériorisée, elle
sera un instrument du pouvoir pour se légitimer et nous aurons un État de droit
de façade. Il faut des moyens d’actions pour éviter cette instrumentalisation.
Maintenant que le texte est promulgué, il faut penser à le réformer autour d’un
concept participatif pour que le citoyen se sente citoyen.
Comment composer avec ce texte qui fonde la deuxième
république tunisienne ?
Cette formulation n’est pas adéquate car elle se réfère à un autre régime et un
autre temps. Maintenant que le texte est promulgué, il faut penser à le réformer
autour d’un concept participatif pour que le citoyen se sente citoyen. Il s’agit
de continuer de lutter pour une nouvelle organisation politico administrative.
Nous verrons quels sont les moyens qui vont être mis en œuvre par le pouvoir.
J’espère qu’il n’y aura pas de retour en arrière.
__________
Propos recueillis par Frida Dahmani
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