Un an après l'assassinat de l'opposant tunisien Chokri Belaïd, l'enquête est toujours au point mort. Sa veuve, Basma Khalfaoui, ne ménage pas les autorités chargées des investigations, en particulier les responsables du ministère de l'Intérieur. Interview.
Basma Khalfaoui assure ne pas nourrir d'ambitions
politiques personnelles.
Jeune Afrique : Où en est l'enquête sur le meurtre de
votre ex-mari Chokri Belaïd, tué le 6 février 2013 à Tunis ?
Basma Khalfaoui : Jusque là, il n'y a rien de nouveau dans les investigations.
Les dernières avancées remontent à deux mois et demi, lorsque nous avons
découvert que l'expertise balistique avait été cachée au ministère de
l'Intérieur pendant plus de quatre mois. Plusieurs hauts responsables du
ministère possédaient ce document mais ne l'ont pas donné au juge d'instruction.
Nous avons demandé l'ouverture d'une enquête pour faire la lumière sur cette
rétention d'information mais n'avons toujours pas eu de réponses. Par ailleurs,
un des cadres du ministère, Wahid Toujani, a été convoqué par le juge mais a
refusé de se présenter.
Qu'attendez-vous du ministre de l'Intérieur, Lotfi Ben
Jeddou, qui a récemment dit qu'il allait publiquement annoncer des avancées sur
l'enquête ?
Il devait s'exprimer vendredi (le 31 janvier), mais il ne s'est rien passé. Ce
n'est pas très étonnant : depuis son arrivée à la tête du ministère (en mars
2013), il a fait trois conférences de presse sur cette affaire pour ne rien
dire, voire proférer des mensonges. Je ne peux donc pas lui faire confiance.
Après sa nomination, il avait dit que le meurtre de Chokri Belaïd serait "son"
affaire. Un an plus tard, non seulement il n'avait rien fait mais nous avons
appris que le ministère avait caché des pièces maîtresses dans ce dossier.
Peut-être a-t-il été sous pression et qu'il ne pouvait pas annoncer de progrès
sérieux dans l'enquête. Mais nous, nous voulons savoir la vérité.
Un an après le meurtre de Chokri Belaïd, l'identité des
commanditaires de l'assassinat reste toujours un mystère...
On ne parle pas du tout des commanditaires ! La seule piste évoquée a été celle
d'Ansar al-Charia (groupe salafo-jihadiste d'Abou Iyadh, NDLR). Mais pour moi,
jusqu'à présent, rien n'est évident et tout est possible. Je ne connais pas la
vérité sur cet assassinat.
Quant au principal accusé, Kamel Gadhgadhi, il est toujours en fuite. Des
rumeurs le signalent en Libye, en Tunisie, à tel ou tel endroit. Mais rien n'est
sûr et il est encore en liberté.
Lorsqu'il est entré en fonction, le nouveau Premier
ministre, Mehdi Jomâa, a déclaré qu'il voulait régler les affaires Belaïd et
Brahmi "au plus vite". Pensez-vous que la nomination de son gouvernement puisse
débloquer l'enquête ?
À mon avis, c'est un discours politique pour calmer le jeu. Ce sont des
promesses pour avoir un élan de confiance. Mais je ne suis pas convaincue, ni
confiante.
Nourrissez-vous des ambitions politiques ?
Non, pas du tout. Après tous ces mois, je suis plutôt penché vers la société
civile, qui est mon "cadre naturel" si je puis dire. J'ai toujours et je
défendrai toujours mon point de vue politique. Je discute et travaille avec tout
le monde : les démocrates, les libéraux, les gens de gauche...
Pour le moment, je préfère me consacrer à la Fondation Chokri Belaïd contre la
violence. Nous avons beaucoup de choses à faire. Cela m'intéresse beaucoup plus
que la politique.
___
Propos recueillis par Benjamin Roger
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