Quatrième partie du grand dossier sur les Forces de défense et de sécurité du Niger (FDS), ce billet fait suite à celui consacré à la coopération sécuritaire entre le Niger et la France. Il présente les programmes européens d'aide au Niger en matière de sécurité et, plus généralement, comment l'Europe applique ces initiatives.
Des soldats nigériens.
* Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et
l'histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses
travaux sont utilisés par l'université Johns-Hopkins, aux États-Unis.
En janvier 2012, le nord du Mali est aux mains des Touaregs du MNLA ainsi que de
leurs alliés jihadistes et islamistes de circonstance, fragilisant toute la
région... Encouragée en cela par la France, l'Union européenne (UE) n'a pas
attendu cette crise pour s'intéresser au Sahel. Elle estime en effet que
l'instabilité dans la zone aurait des répercussions négatives sur la sécurité en
Europe. Après des travaux d'études, elle établit le 25 octobre 2010 que la
stabilité (à défaut de paix) est justement en péril dans trois pays de l'aire
sahélienne : le Mali, la Mauritanie et le Niger. En conséquence de quoi, elle
réfléchit à une politique pour épauler ces trois États.
L'Instrument de stabilité pour le Niger
Tout d'abord, l'UE s'implique au Niger via l'Instrument de stabilité (IDS).
Méconnu du grand public, existant depuis 2007, il permet le financement de
programmes pour tous les pays, hors-UE ou industrialisés, dans lesquels existent
notamment des "menaces transrégionales". Le Niger bénéficie donc du soutien
apporté par l'IDS, au travers un volet dit "à court terme" et un autre, dit "à
long terme". Le premier porte sur la stabilisation durant laquelle se mettent en
place les conditions qui précèdent la paix, paix que viennent renforcer les
aides octroyées dans le cadre du second.
Le volet à court terme permet par exemple le développement des administrations
au profit des populations, l'aide aux victimes des conflits, le développement de
médias indépendants... À long terme, il participe à la formation de forces de
sécurité capables de lutter efficacement contre les trafics divers tout en
respectant scrupuleusement les droits de l'homme. Celui-ci a rendu possible la
création d'une police municipale à Agadez ou encore, l'organisation d'un service
central de lutte contre le terrorisme censé améliorer la collaboration entre les
différentes composantes des FDS. Des matériels sont également fournis, comme en
mars 2013, avec une vingtaine de véhicules légers et 13 motos toujours destinés
à la gendarmerie, à la police et à la garde nationale.
Pajed II et Eucap Sahel Niger
Dans le cadre de la stratégie pour le Sahel décidée le 21 mars 2011, l'UE lance
le Programme d'appui à la justice et à l'état de droit (Pajed) au profit du
Niger. Celui-ci est aujourd'hui entré dans sa deuxième phase, le Pajed II. Il
favorise "(…) l'amélioration du fonctionnement de la justice ; l'amélioration de
l'accès au droit et à la justice pour tous les citoyens ; le renforcement de la
sécurité et des capacités de lutte contre la criminalité organisée et les
trafics.", comme l'indique un document de l'UE. Ce qui inclut la modernisation
des services d'investigation de la gendarmerie, de la police, la création de
nouvelles unités unités (dont des méharistes de la garde nationale). Dans ce
but, des crédits d'environ 20,6 millions de dollars sont prévus sur cinq ans.
En outre, à la demande des autorités nigériennes, un programme d'une durée de
deux ans (juillet 2012 à juillet 2014) est lancé. Dénommé Eucap Sahel Niger, il
s'inscrit pour sa part dans le cadre de la Politique de sécurité et de défense
commune (PSDC) de l'Europe. Tout d'abord sous l'autorité du colonel Francisco
Navas Espinosa, l'Eucap Sahel Niger s'installe à Niamey en août 2012. Regroupant
en théorie une cinquantaine d'experts, dotée de 12,2 millions de dollars (dollar
constant 2014) la mission "(…) vise à contribuer à mettre en place une approche
intégrée, cohérente et durable en matière de lutte contre le terrorisme et la
criminalité organisée". Elle instruit donc des gendarmes ainsi que des policiers
et des gardes nationaux. De fait, l'Eucap concerne principalement les éléments
du ministère de l'Intérieur (police et garde nationale ; la gendarmerie dépend
du ministère de la Défense) : 1 700 d'entre-eux suivent ainsi des cours donnés
par l'Eucap, dans la capitale du pays en 2012.
Une rhétorique optimiste mais des résultats décevants
Malgré des financements corrects et un discours officiel exagérément positif,
les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. Illustration de ces
difficultés européennes pour "trouver" le Niger : la pénible mise en place de
l'Eucap Sahel Niger. Les spécialistes destinés à en constituer le personnel ne
se bousculent pas et de fait, le groupe ne travaille qu'en sous-effectifs. Fin
2013, Francisco Navas Espinosa quitte son poste, remplacé par Filip de Ceuninck.
L'initiative qui se voulait, comme son nom l'indique, être un projet régional
plébiscitant la coopération entre États et organismes dans la zone se limite
finalement au Niger. Certes, des efforts sont accomplis, notamment par le biais
de rencontres entre des cadres de l'Eucap et de l'EUTM Mali (qui assure la
formation de la nouvelle armée malienne). Mais il s'agit là de démarches
modestes.
Les choix de l'Europe sont également emblématiques d'un état d'esprit
"antimilitariste" ou tout du moins "pacifiste". Les traits de caractère
inhérents à cet état d'esprit sont apparus en ex-Yougoslavie au début des années
1990 et n'ont pas beaucoup changé au cours de ces vingt dernières années. Si
l'on ne peut parler d'immobilisme, il existe un décalage entre les décisions
prises et leur efficacité sur le terrain des crises. Derniers exemples en date,
en Afrique : le Mali et la République centrafricaine. Au Niger, l'UE dit
privilégier l'approche globale. Mais, à l'instar des États-Unis (nous
reviendrons dans un prochain billet, sur la coopération sécuritaire entre
Washington et Niamey), elle choisit une approche plus spécifique que globale.
L'approche globale qui n'en est pas une
Ce que l'on appelle l'approche globale en matière de sécurité, c'est,
schématiquement, générer un délicat équilibre entre ce qui n'est pas de nature
militaire (que l'on appelait autrefois "l'action politique") : santé, éducation,
développement économique, administration, justice, etc ; et la puissance brute
(forces armées). La synergie qui naît de cet équilibre est susceptible
d'éradiquer durablement tous les facteurs d'instabilité qui créent d'ordinaire
les zones grises, qui amènent l'effondrement des régimes démocratiques...
Sachant cela, comprenons que l'approche globale européenne vis-à-vis du Niger
(et, plus généralement, du Sahel) devrait associer un volet civil à un volet
militaire. Il n'en est rien. Tandis que jusqu'en 2010-2011, les États-Unis
donnent la priorité à l' "approche globale militariste" qui laisse peu de place
à la dimension civile, l'UE applique une philosophie de "l'approche globale
civile" dans laquelle la dimension militaire est taboue. Or, nous venons de le
voir : la philosophie de l'approche globale implique justement de ne négliger ni
le socio-économique, ni le militaire.
Caricaturalement, à quoi bon former des policiers et des magistrats pour
enquêter correctement sur un vol de chameaux s'ils doivent travailler dans un
environnement où pullulent les jihadistes à bord de pick-ups avec des
mitrailleuses lourdes ? Et inversement : est-il judicieux de n'avoir que des
militaires entraînés et bien armés qui certes ne risqueront pas grand-chose dans
cet environnement, mais ne retrouveront pas les voleurs, ou au mieux... les
arrêteront à coups de rafales d'armes automatiques ? L'un et l'autre – et non
pas l'un ou l'autre – sont nécessaires. Même si la France donne, d'une certaine
manière, une dimension militaire aux efforts européens pour le Niger (voir le
billet précédent), l'UE favorise par trop l'aspect civil. Comme les programmes
de coopération sécuritaires sont menés sans grande concertation avec les
Washington, la complémentarité qui pourrait prévaloir n'existe même pas.
Enchevêtrement de programmes
Par ailleurs, il est un autre handicap de taille : la multiplication des
programmes européens donne le sentiment que beaucoup est accompli. C'est vrai,
beaucoup est fait. Toutefois, "faire beaucoup" n'est pas synonyme de "faire
bien". Les initiatives sont souvent lancées dans l'urgence sans être
nécessairement bien pensées ou sans rassembler les moyens avant de les lancer
(les difficultés de l'Eucap en témoignent), les structures bureaucratiques sont
complexes, fragmentées, redondantes. L'échange d'informations entre acteurs des
différents programmes pourrait être considérablement amélioré.
Cette dernière lacune est particulièrement prononcée entre ceux qui oeuvrent
dans les domaines du développement économique, de la sécurité alimentaire, du
social, et ceux qui traitent des questions sécuritaires : terrorisme, trafics...
Encore une fois, les deux "pôles" que représentent ces catégories devraient être
complémentaires et fonctionner de concert. C'est très loin d'être le cas. Aussi
bien au Niger (Bérangère Rouppert, dans certains de ses travaux pour le Groupe
de recherche et d'information sur la paix – le Grip, l'explicite d'ailleurs très
bien) que dans les autres pays du continent africain.
Le Niger a besoin de ces aides, sécuritaires, sociales et économiques de la part
de l'UE.
Quoi qu'il en soit, le Niger a besoin de ces aides, sécuritaires, sociales et
économiques de la part de l'UE. De 2008 à la fin 2013, le pays reçoit ainsi plus
de 137 millions de dollars. Fin 2013, 248,9 millions de dollars sont attribués à
Niamey pour quatre programmes dont le Pajed II (8,9 millions de dollars). D'où
les remerciements du président Mahamadou Issoufou au président du Conseil
européen, Herma Von Rampuy, le 20 février 2014. Durant leur réunion de travail,
le chef d'État nigérien demande la prolongation de l'Eucap Sahel Niger au-delà
de 2014. Selon lui, les résultats du groupe sont bons. De son côté, Herma Von
Rompuy déclare à propos du Niger que "la question sécuritaire nous concerne
tous". Par ailleurs, l'UE est consciente de la valeur des "efforts fournis par
le Niger, aussi bien pour son développement que pour la sécurité dans la
sous-région". Ce qui se traduit par une aide de 6,87 milliards de dollars aux
pays du Sahel pour la période 2014-2020, aussi bien dans des projets de
développement que de sécurité. L'argent est là, donc. Les rapports avec le Niger
sont cordiaux. Ne manque alors qu'une véritable Europe de la défense qui aurait
un rôle de premier plan à jouer en partenariat avec le Sahel et l'Afrique.
Jeuneafrique
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