Aujourd'hui installé en France, "Nabil" a autrefois dirigé une katiba de 70 personnes. S'il décrit le maquis comme "l'enfer avant l'enfer", il ne renie rien de son passé.
Appelons-le "Nabil". Il refuse de divulguer son identité et la ville où il
réside, "pour ne pas avoir de soucis avec les autorités françaises". Dans une
autre vie, cet homme né en 1962 en banlieue parisienne a dirigé un groupe
terroriste algérien, avant de bénéficier d'une grâce présidentielle, en janvier
2000. Patron d'une entreprise de BTP en France depuis 2006, il dit avoir
définitivement rompu avec son passé tumultueux. "J'ai tourné la page,
confie-t-il assis dans une brasserie de la capitale. Le maquis, c'est le sang,
la mort, l'ignorance, les règlements de comptes, la faim, la canicule, le froid,
les suspicions, les complots. L'enfer avant l'enfer. Je conseille à ceux qui
sont encore dans le maquis d'y renoncer."
Pourtant, quatorze ans après avoir déposé les armes, Nabil ne renie rien de son
combat et exclut de demander pardon aux victimes du terrorisme. "Des excuses ?
Jamais ! Nous n'avons pas pris les armes contre le peuple, mais contre ceux qui
nous ont réprimés et oppressés." Sympathisant du Front islamique du salut (FIS)
à Sétif au début des années 1990, Nabil est arrêté en février 1992 et incarcéré,
sans jugement, dans un camp de sûreté d'Aïn Mguel, dans l'extrême sud de
l'Algérie. Il y restera trois ans. "Ce centre où se concentrent haines,
violences et rancoeurs a été une école de formation à la guérilla, raconte-t-il.
Les détenus n'avaient qu'une seule envie : se venger de tout ce qui porte un
uniforme."
Libéré fin 1995, Nabil découvre un pays plongé dans la guerre. Il rejoint les
maquis des Groupes islamiques armés (GIA) dans les montagnes des Babors, où
officie alors un dénommé Abou Talha. "Une brute d'une sauvagerie inouïe,
soupire-t-il. Il kidnappait des bergers illettrés et les transformait en
machines à tuer qui ne faisaient jamais de prisonniers." Nabil prend du grade au
fil des mois. Il devient émir d'une katiba de 70 personnes spécialisée dans le
racket et l'extorsion de fonds. "Nous récoltions plus de 4 millions de dinars
par mois [l'équivalent de plus de 37 000 euros aujourd'hui], se souvient-il.
L'argent servait à aider les familles des combattants et à acheter armes,
munitions, vêtements, médicaments et nourriture." Bien sûr, Nabil et ses hommes
mènent aussi des attaques contre les forces de l'ordre, mais lui jure n'avoir
"jamais tué de [ses] propres mains". Une rengaine commune à de nombreux
"repentis"...
"Trouver du travail, autant ne pas y songer"
Rompant les liens avec les GIA, Nabil rejoint à Jijel les campements de l'Armée
islamique du salut (AIS), qui a signé dès octobre 1997 une trêve avec l'armée,
en attendant la grâce. Celle-ci tombe le 11 janvier 2000. Comme 6 000 autres
combattants de l'organisation dissoute, Nabil remet son arme, obtient en échange
un certificat de "grâce amnistiante" et rentre chez lui. Une nouvelle vie
commence. "Mais au tribunal, à la mairie, à la daïra [sous-préfecture], les
agents de l'administration nous mettaient des bâtons dans les roues, dit-il.
Dans la rue, les gens étaient corrects, bien qu'au fond ils nous considéraient
toujours comme des assassins, des parias, des terroristes. Quant à trouver du
travail, autant ne pas y songer."
Grâce à ses réseaux, l'ex-émir décide alors de collaborer avec les services de
sécurité. "Sous la protection de l'armée, nous montions dans les maquis pour
convaincre les combattants de déposer les armes, se souvient-il. Nous avions
réussi à récupérer dix-huit enfants, quinze femmes et une cinquantaine d'hommes,
dont quelques-uns - de vrais sanguinaires - étaient aux côtés d'Abou Talha. Le
soir de leur reddition, ils ont même partagé un couscous avec des officiers.
Toutefois, certains refusèrent la réconciliation car ils ne faisaient guère
confiance aux autorités. D'autres étaient irrécupérables tant ils avaient perdu
toute humanité." Quand il évoque ses ex-compagnons de jihad, Nabil éprouve du
ressentiment et de l'amertume. "Certains de ceux qui étaient sous mes ordres
sont devenus milliardaires, alors que je suis descendu du maquis les poches
vides", soupire-t-il.
Tuer ou mourir
Recrutés dans les villages et les hameaux ou enrôlés de force, bergers et jeunes
analphabètes ont subi des séances d'endoctrinement avant le passage à l'acte.
Les rites initiatiques sont divers. L'un consiste à obliger l'apprenti
terroriste à égorger en public un prisonnier, sous les cris d'"Allah Akbar". Un
autre est encore plus cruel. Face à un supplicié attaché à un arbre, les
nouvelles recrues sont tenues de planter une hache dans le crâne de la
malheureuse victime. Celui qui réussit le test est apte au jihad, celui qui
hésite, refuse ou perd connaissance est exécuté sur le champ, souvent au
couteau. "C'est qu'une balle coûtait 1 000 dinars [environ 9 euros aujourd'hui],
témoigne Nabil. Il ne fallait pas gaspiller les munitions."
Jeuneafrique
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