Comment le système politique fonctionne-t-il ? Et quels en sont les ressorts apparents et cachés ? Des questions auxquelles tente de répondre le chercheur Mohammed Hachemaoui.
Mohammed Hachemaoui, docteur de Sciences-Po lié
au Centre national de la recherche scientifique.
La vie politique, les élections, le mode de gouvernement ainsi que le processus
de décision ont, c'est le moins que l'on puisse dire, un aspect très mystérieux
en Algérie. C'est vrai depuis l'indépendance, en 1962, mais plus encore depuis
que la légitimité historique de l'élite dirigeante a été remise en question par
les émeutes d'octobre 1988 et les évolutions qu'elles ont impulsées : passage au
multipartisme, libéralisation progressive de l'économie, fin de la domination
sans partage des "militaires"...
Une sorte de "boîte noire"
Des changements d'une ampleur sans précédent dans le monde arabo-musulman, du
moins jusqu'à ce "printemps" qui, paradoxalement, a "épargné" le régime
autoritaire algérien, faisant encore mieux apparaître le caractère inoxydable de
cette curieuse et imparfaite démocratie - pseudo-démocratie, diraient beaucoup.
Il n'est d'ailleurs pas exagéré de parler au sujet du régime algérien d'une
sorte de "boîte noire", comme le dit très justement Mohammed Hachemaoui, docteur
de Sciences-Po lié au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), dès
le début d'un livre remarquable qui tente d'expliquer ce qui est apparemment
inexplicable. Autrement dit, comment la politique en Algérie fonctionne-t-elle
vraiment, au-delà des opinions toutes faites (l'armée contrôle tout en
sous-main), des explications simplistes (malédiction pétrolière, "retour
d'Allah") et des fantasmes en tout genre ? En s'y prenant de quelle façon ?
D'abord, pour l'essentiel, en s'interrogeant sur la persistance de pratiques
datant de l'époque coloniale et même précoloniale. Ensuite en se plongeant dans
le pays profond pour découvrir, campagne électorale après campagne électorale,
quels sont les ressorts apparents ou cachés des jeux de pouvoir. Enfin en
repérant et en expliquant les comportements des acteurs nationaux et locaux - en
interaction permanente, et ce en allant enquêter sur le terrain pendant des
périodes assez longues, en l'occurrence dans deux régions fort différentes comme
celles de Tébessa dans l'Est et d'Adrar dans le Sud-Ouest. Une immersion
ethnographique peu banale qui a amené l'auteur à "travailler" des problématiques
guère analysées jusqu'ici.
Clientélisme, maraboutisme et corruption
Les questions auxquelles Hachemaoui a voulu apporter une réponse pour déterminer
"de quoi la fabrique de la politique est le nom" en Algérie ont trait au rôle,
essentiel, des tribus, confréries et magnats. En d'autres termes, il met en
lumière l'importance et le fonctionnement du clientélisme (version moderne du
tribalisme), du maraboutisme et de la corruption dans la sélection et le choix
des représentants élus. Afin d'aboutir "naturellement" aux résultats souhaités
par le pouvoir et les appareils des grands partis, lesquels font tout pour que
perdure le "système" autoritaire en vigueur. D'autant, il est vrai, qu'on peut,
au besoin, corriger ces résultats pour avantager tel ou tel candidat quand on
décide, toujours de façon obscure, à quels bureaux de vote on attribuera les
voix des militaires et autres électeurs votant dans une région dont ils ne sont
pas originaires...
On ressort de la lecture de ces "révélations" avec l'impression de comprendre
beaucoup mieux comment l'élite politique peut "fabriquer" ce système de
gouvernement national ou local si résistant à travers des pratiques subtiles qui
impliquent finalement moins de truquer les élections ou de mentir à la
population que de savoir comment amener cette dernière à réagir majoritairement
comme on le souhaite. Inutile d'ajouter à quel point on ne peut que conseiller à
qui veut percer l'énigme du fonctionnement de l'Algérie contemporaine de façon
rationnelle de se précipiter sur "le" Hachemaoui. On ne sait, en revanche, s'il
est vraiment souhaitable que tous les candidats aux futurs scrutins en fassent
autant...
Jeuneafrique
Naviguer à travers les articles | |
Joseph John-Nambo : "L'opposition gabonaise essaie d'exister comme elle le peut" | Mali - Ag Mohamed Assaleh : "J'annonce haut et fort ma dissidence du MNLA" |
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
|