Entre 1954 et 1962, la France ne se voulait pas en guerre en Algérie. Officiellement, il n'était donc pas question d'évoquer le sort des prisonniers du FLN. L'historienne Raphaëlle Branche le fait enfin dans son nouveau livre, "Prisonniers du FLN".
Combattants de l’ALN prise dans les années 1950 en Algérie.
Lors du cessez-le-feu qui mit fin aux combats entre l'armée française et les
indépendantistes algériens en mars 1962, on comptait environ 1 350 prisonniers
(civils et militaires, algériens et français) aux mains du FLN. Et si l'on tente
d'évaluer le nombre de Français enlevés par le FLN et son bras armé, l'ALN,
avant cette date, on peut l'estimer à environ 500 pour les civils et 430 pour
les militaires. Un peu plus de la moitié sont restés à jamais disparus. Ces
chiffres peuvent paraître dérisoires quand on sait que les prisonniers aux mains
des autorités coloniales étaient nettement plus nombreux, sans parler des
millions d'Algériens qui furent obligés de quitter leurs maisons pour vivre dans
des camps de regroupement afin de priver les Djounoud de toute possibilité de se
mouvoir "comme des poissons dans l'eau" sur le territoire algérien...
Le livre que consacre aujourd'hui aux prisonniers du FLN l'historienne Raphaëlle
Branche, déjà auteur d'un remarquable ouvrage de référence sur la torture*, peut
sembler s'attaquer à une question mineure. Ce n'est pourtant pas le cas, car son
travail très documenté montre que la problématique des prisonniers de guerre fut
déterminante à bien des égards pour le déroulement des événements, entre 1954 et
1962. Et pas seulement parce que l'exécution de trois soldats français captifs
de l'ALN, en représailles à l'exécution de patriotes à Alger, fut à l'origine de
l'effondrement de la IVe République française et du retour du général de Gaulle.
À partir du moment où le colonisateur considérait les indépendantistes comme des
rebelles, des hors-la-loi ou des coupeurs de route ("fellaghas"), il était
essentiel pour le FLN de démontrer que son combat était une lutte pour le droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes. Autrement dit que les Français menaient une
guerre contre une armée de libération. Et comment mieux le démontrer qu'en
détenant - et parfois en libérant - des prisonniers de guerre, au sens de ces
conventions internationales que Paris n'entendait pas respecter pour maintenir
la fiction du simple "maintien de l'ordre" en Algérie ? La démonstration avait
de surcroît le mérite de "compenser symboliquement", comme l'écrit justement
l'auteur, le déséquilibre des forces entre les deux parties, quelques dizaines
de milliers de maquisards armés face à un demi-million de soldats. En outre, les
enlèvements de civils ou de militaires entretenaient un climat d'insécurité sur
les routes et dans les campagnes prouvant que l'Algérie était bien la terre des
Algériens.
Électrifiés
Les combattants indépendantistes n'étaient pour autant guère désireux de faire
des prisonniers, même si des "otages" français pouvaient se révéler fort utiles.
Il était difficile d'assurer leur sécurité en menant des actions de guérilla
impliquant une mobilité permanente. Surtout pendant la seconde partie de la
guerre, quand, après le bouclage des frontières par des barrages électrifiés,
les combattants des wilayas furent le plus souvent réduits à la défensive. D'où
la forte mortalité qui frappa ces prisonniers qui partageaient les terribles
conditions de vie des Djounoud. Et qui, après guerre, n'eurent droit à aucune
attention de la France, puisque leur seule existence venait rappeler à quel
point, entre 1954 et 1962, on refusa contre toute évidence de considérer les
"événements" comme une guerre.
* La Torture et l'Armée pendant la guerre d'Algérie, 1954-1962, Paris,
Gallimard, 2001.
Naviguer à travers les articles | |
Sénégal : la production de zircon commence dans les temps | Mali : à l'école du wahhabisme |
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
|