Démocratie, justice, France, Afrique du Sud, RD Congo, présidentielle de 2017... Le chef de l'État rwandais Paul Kagamé répond sans ambages à toutes les questions, même les plus polémiques.
Paul Kagamé considère que les Français ont été complices
mais aussi acteurs du génocide.
"Je ne vois pas comment ils auraient pu faire plus de progrès en vingt ans",
souffle, admiratif, le Français Pascal Lamy, ancien directeur général de
l'Organisation mondiale du commerce, en visite fin mars à Kigali. Il est vrai
que sur le plan du développement économique et humain, le Rwanda collectionne
les places de choix dans tous les palmarès de bonne gouvernance. En 2015, ce
pays de 12 millions d'habitants sera ainsi l'un des très rares en Afrique à
avoir atteint la quasi-totalité des Objectifs du millénaire pour le
développement (OMD) définis par les Nations unies. Quand on sait qu'il y a deux
décennies le Rwanda était un vaste charnier à ciel ouvert et un pays
économiquement exsangue, dont le tissu social avait fini par se dissoudre dans
un tsunami de haines, la performance est en soi stupéfiante.
Paul Kagamé, 56 ans, est le principal artisan de ce miracle. Mais cet homme de
fer qui, après avoir gagné la guerre, a reconstruit le Rwanda est aussi, parce
qu'il gouverne seul et sans partage, la cible unique et le seul dépositaire des
critiques, parfois des anathèmes, que lancent tous ceux qui ne trouvent pas leur
compte dans cette refondation. Opposants en exil, anciens compagnons devenus
dissidents, "experts" inconsolables de la perte définitive d'un pion tardif sur
l'échiquier de ce qui fut la Françafrique, mais aussi, plus récemment, voisins
africains irrités par l'arrogance supposée de ce petit pays qui parle comme un
grand et bailleurs de fonds contraints par le politiquement correct de
restreindre leur aide budgétaire (même si cette dernière est, pour une large
part, aussitôt reconvertie en aide sectorielle) : la liste de ceux que Kagamé
dérange est longue, quitte à diaboliser le chef de l'État rwandais et à le
dépeindre en Machiavel des Grands Lacs.
Cet entretien, au cours duquel Paul Kagamé s'exprime, comme à son habitude, sans
aucun détour, a été recueilli le 27 mars à Urugwiro Village. Ce complexe
aujourd'hui entièrement rénové, hautement sécurisé et ultraconnecté, au coeur de
Kigali, abritait il y a vingt ans d'autres bureaux présidentiels : ceux de
Juvénal Habyarimana. Jusqu'à un certain 6 avril 1994.
Jeune afrique : Vingt ans après le génocide, pensez-vous
que le monde extérieur a enfin pris la mesure de ce qui s'est passé ici?
Paul Kagamé : Non, hélas. L'image qui prédomine à l'extérieur est celle
d'un génocide tombé du ciel, sans causes ni conséquences, et dont les
responsabilités sont multiples, confuses et diluées. Une sorte d'épiphénomène.
Cette incompréhension ne tient-elle pas au fait que ce
génocide fut un génocide de proximité, unique dans l'Histoire contemporaine ?
Sans doute. Notre expérience est différente de celle des autres et cette
spécificité a généré de notre part des réponses elles aussi spécifiques, parfois
complexes à expliquer. Il ne faut pas oublier - même s'il s'agit encore
aujourd'hui d'un sujet tabou - le rôle clé, dans les racines historiques mais
aussi dans le déroulement du génocide, de ces mêmes puissances occidentales qui,
aujourd'hui, définissent seules les règles de la bonne gouvernance et les normes
de la démocratie. Elles aimeraient que le Rwanda soit un pays ordinaire, comme
si rien ne s'était passé, ce qui présenterait l'avantage de faire oublier leurs
propres responsabilités, mais c'est impossible. Prenez le cas de la France.
Vingt ans après, le seul reproche admissible à ses yeux est celui de ne pas en
avoir fait assez pour sauver des vies pendant le génocide. C'est un fait, mais
cela masque l'essentiel : le rôle direct de la Belgique et de la France dans la
préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son
exécution même.
Complicité ou participation ?
Les deux ! Interrogez les rescapés du massacre de Bisesero en juin 1994 et ils
vous diront ce que les soldats français de l'opération Turquoise y ont fait.
Complices certes, à Bisesero comme dans toute la zone dite "humanitaire sûre",
mais aussi acteurs.
L'autre difficulté de compréhension tient au fait que vous
êtes un chef d'État très différent des autres. En avez-vous conscience?
Je n'en sais rien. Si différence il y a, cela tient à mon expérience et à
l'histoire très particulière de mon pays. Même si, en termes de développement et
de gouvernance, nos défis sont ceux que rencontrent tous les Africains.
Si vos réussites en matières économique et sociale sont
unanimement saluées, il n'en va pas de même de la démocratie au Rwanda. Nombre
d'observateurs estiment qu'il ne s'agit que d'une vitrine à l'usage des
bailleurs de fonds et qu'une opposition est tolérée tant qu'elle ne menace pas
la suprématie du Front patriotique rwandais (FPR). Que répondez-vous ?
De quelle démocratie parlez-vous ? Si j'en crois ce que nous disent les
Occidentaux, la démocratie concerne et implique le peuple : son expression, ses
sentiments, son choix. Mais quand ici, au Rwanda, la population exprime
librement son choix et son orientation, les mêmes rétorquent : non, vous vous
trompez, ce que vous décidez n'est pas bon pour vous. Tant que nous ne nous
coulons pas dans le modèle de démocratie qu'ils ont défini pour nous, nous
sommes dans l'erreur. Cette attitude porte un nom : l'intolérance, le refus de
la différence. Quand je vois qu'ailleurs en Afrique leur conception de la
démocratie s'accommode parfaitement de la corruption, du tribalisme, du
népotisme, voire du chaos, pourvu que les apparences soient préservées, je me
dis que décidément, nous n'avons pas la même vision des choses. Pensez-vous une
seconde que les réussites économiques et sociales que vous évoquez auraient pu
être accomplies sans la participation des Rwandais et contre leur volonté ? La
dignité, l'unité, le droit d'entreprendre, d'être éduqué et soigné, l'intégrité
sont autant de valeurs démocratiques. Nul n'est mieux placé que nous pour savoir
ce que nous voulons et quels sont les moyens d'y parvenir. Il faudra bien que le
monde extérieur s'y habitue, car nous n'allons pas changer.
Votre mandat s'achèvera en 2017 et la Constitution vous
interdit de vous représenter. Vous situez-vous dans cette perspective?
J'ai toujours dit que je respecterai la Constitution. Mais j'ajoute
qu'une Constitution n'est rien d'autre que l'expression de la volonté du peuple
à un moment et dans un contexte donné. Partout dans le monde, dans les vieilles
démocraties comme dans les plus récentes, les lois fondamentales bougent,
s'adaptent et s'amendent sans cesse dans l'intérêt des populations concernées.
En sera-t-il de même au Rwanda ? C'est vraisemblable, je ne connais pas un seul
pays où la Constitution soit immuable.
À propos de la limitation des mandats présidentiels, par
exemple ?
Sur ce point, sur un autre, je l'ignore. Ce n'est pas de moi qu'il s'agit
et je ne suis pas le rédacteur de la Constitution. Pourquoi cette obsession
autour de ma personne ? Ce que vous devez retenir est simple : je respecte et je
respecterai la Constitution. Le reste ne me concerne pas.
Comment expliquez-vous que pas un seul Rwandais ne pense
que vous allez quitter le pouvoir en 2017 ?
S'ils pensent cela, est-ce parce qu'ils estiment que je veux m'accrocher
au pouvoir, ou est-ce l'expression d'un souhait de leur part ? Vous devriez leur
poser la question... Une chose est sûre : in fine, si des propositions en ce
sens me sont faites par les citoyens de ce pays, j'aurai à me déterminer. Je
ferai alors connaître mon choix en fonction des circonstances et de toute une
série de paramètres. Ce moment viendra quand je l'aurai personnellement décidé.
Difficile de vous imaginer en retraité de 60 ans, assis
dans votre ranch du lac Muhazi à surveiller vos vaches...
Et pourquoi pas ? Je m'imagine très bien ainsi.
Depuis l'assassinat de Patrick Karegeya et l'attaque
contre la villa de Kayumba Nyamwasa, deux opposants rwandais exilés en Afrique
du Sud, vos relations avec Pretoria sont exécrables. Vous avez rencontré Jacob
Zuma à Luanda le 25 mars. Que vous êtes-vous dit ?
Nous n'avons pas parlé que de ce problème, mais nous l'avons, cela va de soi,
abordé. Mon opinion est claire : obtenir l'asile dans un État implique une
obligation de réserve et l'interdiction d'y mener des activités subversives
contre son pays d'origine. Ce n'est donc pas le droit d'asile en tant que tel
que je remets en question, mais la latitude, voire les complicités à haut
niveau, dont disposent ces auto-exilés en Afrique du Sud pour déstabiliser le
Rwanda et prôner le terrorisme. Cela, nous le répétons depuis longtemps.
Aviez-vous demandé aux autorités sud-africaines
l'extradition de Karegeya et Nyamwasa ?
Évidemment. Dossiers à l'appui. Ces gens ont été poursuivis et condamnés
au Rwanda.
Mais Pretoria estime que votre justice n'offre pas toutes
les garanties d'impartialité...
À tort. Encore faudrait-il que les Sud-Africains ne donnent pas
l'impression fâcheuse d'être, eux, partiaux. Je veux croire qu'avec le temps le
gouvernement d'Afrique du Sud se rendra compte qu'il a beaucoup plus intérêt à
nous écouter qu'à couvrir les agissements d'un groupe de délinquants.
Des diplomates ont été expulsés de part et d'autre.
Vont-ils revenir à leurs postes ?
Nous sommes en train de les remplacer.
Vos rapports avec l'Afrique du Sud étaient excellents
pendant les années Mandela et Mbeki. Ils se sont dégradés depuis l'arrivée de
Jacob Zuma. Est-ce parce que ce dernier semble avoir fait le choix d'une
alliance stratégique avec la RD Congo ?
Je ne peux pas répondre à sa place. Une chose est sûre : je ne conseille
à personne de se mêler de nos affaires intérieures. Ce que je dis vaut pour
l'Afrique du Sud, mais aussi pour la Tanzanie, la France, la Belgique, les
médias et les ONG qui prennent un malin plaisir à souffler sur les braises.
Quelle est votre part de responsabilité dans l'assassinat
de Karegeya et l'attentat contre Kayumba ?
Aucune. Il n'y a rien, aucun élément, qui relie ces faits à l'État rwandais. Les
autorités sud-africaines ont parlé de preuves : où sont-elles ? La seule chose
qu'elles nous reprochent réellement, ce sont mes propres déclarations à ce
sujet.
Il est vrai que vous n'y êtes pas allé de main morte...
Cela vous étonne ? Je dis toujours ce que je pense. Pourquoi voudrait-on
que nous pleurions le sort d'un homme qui a commandité des attentats meurtriers
à la grenade ? Et peu m'importe si cela excite les journalistes.
Karegeya, Nyamwasa mais aussi l'ancien procureur général
Gerald Gahima et votre ex-chef de cabinet Théogène Rudasingwa furent très
proches de vous avant de devenir vos adversaires résolus. Cela vous inquiète,
ces gens qui vous quittent avec leurs secrets ?
Quels secrets ? Des secrets compromettants pour eux peut-être ? Ces personnes
ont exercé des responsabilités militaires, sécuritaires, judiciaires ou
politiques au sein du FPR, sous mon commandement. Parler d'elles en termes de
proximité personnelle avec moi n'a donc pas de sens. Quant à leurs secrets, vous
les avez entendus, ces gens ont depuis longtemps dit tout ce qu'ils avaient à
dire, et hormis des stupidités, il n'y a rien. Ce que je remarque, c'est que
tant qu'ils étaient en activité ici, jamais, à aucun moment, ils n'ont exprimé
le moindre désaccord avec moi. Leur opposition est apparue le jour où ils ont
été relevés de leurs fonctions, pour des motifs qui n'avaient rien de politique.
L'ex-général Nyamwasa souhaite être entendu par le juge
français Trévidic à propos de l'attentat contre l'avion de Juvénal Habyarimana.
Il prétend détenir des preuves de la culpabilité du FPR.
Quelles preuves ? Celles de sa propre participation à l'attentat ? S'il
est celui qui a abattu l'avion, très bien. Qu'on l'arrête et qu'on le juge.
Le président tanzanien, Jakaya Kikwete, votre voisin à
l'est, a suscité votre courroux en recommandant l'instauration de négociations
entre vous et vos opposants, y compris les Forces démocratiques de libération du
Rwanda [FDLR, milices hutues]. Vous n'admettez pas les conseils ?
Ce que je n'admets pas, c'est l'ingérence. Il n'est pas acceptable que
Jakaya Kikwete et des membres de son gouvernement s'associent de quelque façon
que ce soit avec des génocidaires. Il n'y a aucune raison pour cela. Or, ils le
font, et depuis assez longtemps. C'est une politique à l'égard du Rwanda qui
prend d'autres formes négatives, par exemple l'expulsion massive de milliers de
Rwandais vivant en Tanzanie depuis des décennies et même de citoyens tanzaniens
confondus avec des Rwandais et que nous sommes obligés de leur renvoyer.
Pourquoi agir de la sorte, alors que nous faisons partie de la même communauté
d'Afrique de l'Est ? Pourquoi ne pas discuter des problèmes avant de prendre des
mesures aussi brutales ? J'ai entendu l'autre jour le ministre tanzanien des
Affaires étrangères justifier leur complicité avec les FDLR en expliquant que
son pays avait une longue tradition d'accueil des combattants de la liberté.
C'est à la fois ridicule et tragique. De quoi se mêle-t-il ? Le Rwanda n'est pas
son affaire.
En RD Congo, les forces de l'ONU et le gouvernement de
Kinshasa ont promis d'en finir avec les FDLR après avoir neutralisé la rébellion
du M23. Y croyez-vous ?
Non. Mais je ne demanderais pas mieux que de me voir démontrer que j'ai tort.
La Monusco s'appuie sur une brigade spéciale
d'intervention constituée de troupes sud-africaines, tanzaniennes et malawites.
Son rôle a été décisif contre le M23. Ne pourrait-il pas l'être aussi contre les
FDLR ?
J'ai surtout l'impression que cette brigade a été créée pour défendre les
FDLR.
La considérez-vous comme une menace pour le Rwanda ?
Cela découle de ce que je viens de vous dire.
Le numéro deux des FDLR a récemment déclaré que son
mouvement souhaitait déposer les armes. Faut-il le prendre au sérieux?
Je n'en sais rien. Si c'est exact, tant mieux..
Parmi ces miliciens, les chefs sont pour la plupart des
génocidaires avérés, mais le gros de la troupe est constitué de jeunes qui n'ont
pas connu le génocide ou n'y ont pas participé. Ne faut-il pas faire la
différence entre les uns et les autres ?
Qu'il y ait une différence, cela va de soi. Mais qu'est-ce que cela
change ? Pour tous, la solution est la même : le retour organisé au Rwanda, à
travers un processus de réinsertion qui fonctionne depuis quinze ans et par
lequel sont déjà passés près de dix mille d'entre eux.
La réintégration, donc. Mais sans négociation préalable.
Négocier quoi ? L'innocence ou la culpabilité de tel ou tel ? La justice
? Il n'y a rien à négocier.
L'ancien Premier ministre Faustin Twagiramungu, en exil en
Belgique, demande l'ouverture d'un dialogue national sur l'avenir du Rwanda. Que
lui répondez-vous ?
Pourquoi demande-t-il cela depuis l'étranger ? Il a été candidat à la
présidentielle de 2003, il a perdu, il est allé s'installer en Belgique sans que
nul ne l'y oblige et il voudrait qu'on négocie avec lui par téléconférence ? Ce
n'est pas sérieux.
Lui souhaite rentrer. Mais votre ambassade lui a, dit-il,
refusé le renouvellement de son passeport rwandais.
Qu'il vienne à Kigali avec son passeport belge, où est le problème ? Il
s'adressera ensuite aux services compétents.
Vous avez lancé il y a six mois une campagne intitulée Ndi
Umunyarwanda ("Je suis rwandais"), interprétée par votre opposition comme un
moyen de culpabiliser, voire d'humilier, la communauté hutue. De quoi s'agit-il
?
C'est très simple. Le but de cette campagne est de mettre l'accent sur ce qui
nous unit, la "rwandité", et de faire disparaître ce qui nous divise et qui a
causé le génocide : le communautarisme. Tout en respectant, bien sûr, notre
diversité. Dans ce cadre et dans cet objectif, celles et ceux qui, par
commission ou par omission, ont des choses à se reprocher par rapport au
génocide trouvent là l'occasion d'exprimer leurs regrets et leur attachement au
nouveau Rwanda. Nous ne forçons évidemment personne à faire cette démarche, qui
s'effectue sur une base purement volontaire et individuelle. Le fait qu'à
l'extérieur des groupes exploitent cette campagne dans le sens que vous dites
n'a rien de surprenant. L'ethnicisme étant leur fonds de commerce, il faut bien
qu'ils le défendent.
Si l'on en croit les statistiques officielles, 772 cas
d'apologie du génocide ont été portés devant la justice au Rwanda en 2012
et 2013, soit 25 % de plus que lors des deux années précédentes. N'est-ce pas
préoccupant ?
Non. Car cela signifie que nous ne cachons rien. Nous n'améliorerons pas
la réalité des choses en la masquant. On n'efface pas une telle idéologie en
vingt ans. C'est un combat de tous les jours.
Pensez-vous qu'un jour il n'y aura plus dans ce pays ni
Tutsis, ni Hutus, ni Twas, mais seulement des Rwandais ?
Encore une fois, je l'ignore. Mais ce que je redis, c'est que la
"rwandité" que nous prônons n'est pas la négation des diversités. On peut se
revendiquer Tutsi, Hutu ou Twa, mais à condition que ce ne soit pas au détriment
des autres. C'est tout et c'est clair.
Votre position très critique à l'encontre de la Cour
pénale internationale [CPI] a-t-elle évolué ?
Hélas non. Et chaque jour, chaque année me donne raison. Rien n'a changé
dans le fonctionnement de cette Cour, dont le rôle se résume à ne poursuivre que
des Africains.
Pourtant, la procureure est une Africaine, Fatou
Bensouda...
Cela n'a aucune importance. Beaucoup d'Africains servent des intérêts qui
ne sont pas les leurs. Ce n'est pas une affaire de couleur de peau.
Pourquoi, alors, avez-vous facilité la livraison à la CPI
de l'ex-général congolais Bosco Ntaganda ?
Nous n'avons rien facilité, encore moins organisé. Ntaganda s'est livré
volontairement à l'ambassade des États-Unis à Kigali afin de se rendre devant la
Cour. Nous n'avons rien à voir, ni avec lui ni avec son cas. Notre rôle s'est
limité à autoriser son départ du territoire rwandais.
Pascal Simbikangwa vient d'être condamné à Paris à
vingt-cinq ans de prison pour génocide. Peut-on dire que la France n'est plus un
refuge pour les génocidaires rwandais présumés ?
Nous verrons ce qu'il adviendra de cette condamnation en appel. Pour le
reste, je ne pense pas qu'il s'agisse là d'une évolution particulièrement
positive. Pour un criminel condamné après vingt ans, combien la justice
française en a-t-elle escamoté ? Nous ne sommes pas dupes de ce petit jeu. On
nous présente cette sentence comme un geste, presque comme une faveur de la
France à l'égard du Rwanda, alors que c'est le rôle de la France dans le
génocide qu'il conviendrait d'examiner.
Où en sont vos relations avec les États-Unis ? Depuis le
départ de Hillary Clinton et le changement de poste de Susan Rice, il semble que
vous ayez perdu vos deux principaux soutiens à Washington. Résultat : le
département d'État n'hésite plus à vous critiquer.
Il n'y a pas, à ma connaissance, de problème réel entre nous. Ce sont des avions
américains qui ont transporté nos troupes en Centrafrique et notre coopération
sur bien des plans est toujours aussi bonne. Les quelques déclarations
auxquelles vous faites allusion ne sont que des réponses formulées lors
d'interviews. Ce ne sont pas des communiqués officiels.
Vos collaborateurs et les médias rwandais pointent
volontiers ce qu'ils considèrent comme un manque d'objectivité du ministre belge
des Affaires étrangères, Didier Reynders, à l'égard du Rwanda. Partagez-vous ce
jugement ?
Je pense qu'il a commis pas mal d'erreurs, en s'associant notamment aux
manoeuvres anti-rwandaises menées à partir de la Tanzanie. J'estime que sa
position manque d'équilibre, pour des raisons subjectives que je ne connais pas.
Depuis quelques mois, la part de l'aide extérieure dans
votre budget baisse lentement mais sûrement. Or, elle est cruciale puisqu'elle
représente encore 38 % des ressources publiques. Êtes-vous prêt à faire face à
ce déclin ?
C'est un phénomène qu'il faut appréhender dans sa globalité. Cette décrue
ne nous inquiète pas pour deux raisons : d'abord parce qu'elle s'accompagne
d'une hausse de nos ressources propres et des investissements privés, ensuite
parce qu'il existe toute une variété de financements alternatifs auxquels nous
pouvons faire appel pour boucler notre budget. Notre objectif n'a pas changé :
devenir en 2020 un pays autosuffisant à revenu intermédiaire.
________
Propos recueillis à Kigali par François Soudan
Chronologie : le génocide en 10 dates
1er octobre 1990 : La rébellion tutsie du Front patriotique rwandais
(FPR) lance une offensive militaire contre le Rwanda depuis l'Ouganda
4 août 1993 : Un accord de paix et de partage du pouvoir est signé à Arusha
(Tanzanie) entre le régime hutu extrémiste du président Habyarimana,
l'opposition intérieure (Hutus modérés) et le FPR
6 avril 1994 : L'avion du président Habyarimana est abattu par un missile alors
qu'il s'apprête à atterrir à Kigali. Le pays bascule dans le génocide
7 avril 1994 : Les principaux responsables de l'opposition au régime Habyarimana
sont assassinés par l'armée rwandaise, ainsi que dix Casques bleus belges de la
Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (Minuar)
9 avril 1994 : Un gouvernement intérimaire exclusivement composé d'extrémistes
hutus prête serment. Il va étendre le génocide des Tutsis à l'ensemble du pays
9-14 avril 1994 : Des militaires belges, français et italiens procèdent à
l'évacuation de l'ensemble des ressortissants étrangers présents dans le pays
21 avril 1994 : Par sa résolution 912, le Conseil de sécurité de l'ONU réduit
les effectifs de la Minuar de 2 500 à 270 hommes. Quelques jours plus tôt, la
Belgique a décidé de retirer tous ses Casques bleus du Rwanda
11-12 mai 1994 : Le haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme
effectue une mission à Kigali. Il prononce le mot "génocide"
22 juin 1994 : Sur proposition de la France, la résolution 929 du Conseil de
sécurité de l'ONU autorise une intervention armée humanitaire au Rwanda pour une
durée de deux mois afin de protéger les civils et d'assurer la distribution de
l'aide humanitaire (opération Turquoise)
17 juillet 1994 : Après avoir pris le contrôle de Kigali et de Butare le
4 juillet, le FPR s'empare de Ruhengeri et de Gisenyi (Nord) et déclare la fin
de la guerre
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
|