Capture d'écran d'une vidéo de Boko Haram mettant en scène
son chef, Abubakar Shekau.
Cependant, ils sont victimes d'un manque
de savoir faire devant les méthodes qu'imposent terroristes et insurgés divers.
Défaillance qui doit beaucoup aux divisions d'un pays gangrené de divisions et
lourd d'un passé complexe. Contexte historique, religieux, ethnique, social et
économique difficile dans lequel l'évolution des forces de sécurité depuis 1999
– date de l'avènement d'une démocratie durable au Nigeria, après 15 ans de
régimes militaires – s'est accomplie lentement, tout au long d'un cheminement
d'erreurs et de décisions hasardeuses.
L'organisation des forces
L'Armée de Terre se compose de grandes unités (GU), à savoir, une
division blindée (la 3ème), trois divisions d'infanterie mécanisée (1ère, 2ème
et 81ème) et une division d'infanterie composite à dominante amphibie (la
82ème). S'ajoute la Brigade de la Garde dont les bataillons accomplissent eux
aussi des missions de sécurité intérieure.
En août 2013 est mise sur pied la 7ème Division d'Infanterie, avec 8 000 hommes
prélevés sur les unités existantes à Yola, Mongono, Sokoto et Yobe, avec les
hommes de retour du Mali, ou provenant de recrutements. Elle est chargée de
protéger la zone nord-est, ainsi que les frontières avec le Niger, le Tchad et
le Cameroun. Zone qui auparavant cela était à la fois sous la responsabilité de
la 1re Division d'Infanterie à Kaduna et de la 3ème Division Blindée à Jos.
Cette création rend donc le dispositif plus cohérent. La Joint Task Force (JTF,
ou Joint Military Task Force ; voir plus loin), qui aligne des unités
relativement mieux formées au contre-terrorisme (notamment avec les unités
d'intervention du DSS) et à la contre-insurrection lui est rattachée. Malgré
tout, la tâche à accomplir est énorme : la superficie de la zone représente
environ 155 000 km2 !
Chaque division se compose de trois ou quatre brigades : blindées, mécanisées,
infanterie, amphibie, génie, artillerie, ainsi qu'un bataillon de reconnaissance
blindé, des unités de commandement, de transmissions, de soutien... Dans les
années 1980, la 82ème Division est à dominante aéroportée/aéromobile, avec la
2ème Brigade Aéromobile et la 31ème Brigade Aéroportée. Elles sont composées de
bataillons susceptibles d'être rapidement déployés par aéronefs, et entraînés à
opérer de concert avec les hélicoptères. L'instabilité dans la zone
économiquement stratégique du delta du Niger dans les années 1980 amène à la
transformation de la grande unitié en une entité à dominante amphibie, habituée
à opérer sur le terrain spécifique du delta et de son littoral. Elle ne conserve
qu'un bataillon para-commando (le 72ème).
Ce choix non clairvoyant est aujourd'hui lourd de conséquences. En effet, il
prive le Nigeria de groupements aéromobiles très manouvrants, capables de
traquer en souplesse et depuis les airs des insurgés. Si de telles unités
existaient encore, elles contesteraient fortement la liberté d'action de Boko
Haram ; elles se rendraient avec célérité dans les localités attaquées,
s'affranchissant des déplacements par la route avec le risque inhérent
d'embuscades. D'autant plus que la secte n'a qu'un armement air-sol modeste
(mitrailleuses et mitrailleuses lourdes montées pour l'essentiel sur des
pickups, accessoirement des lance-roquettes antichars RPG-7 contre les
hélicoptères à très basse altitude et faible vitesse).
L'engagement dans les missions de sécurité
Les nombreuses attaques de Boko Haram focalisent l'attention sur
l'engagement de ces forces contre la secte, dans la partie septentrionale du
pays. Situation qui amène à oublier que d'autres graves problèmes de sécurité
intérieure existent également. Illustration de cela : le 7 mai 2013, à Alakyo
(État de Nasawara, au centre du Nigeria), 46 policiers et 10 SWAT du DSS sont
tués (jusqu'à une centaine de membres des forces de sécurité abattus selon
d'autres sources) par la secte Ombats (pratiquant un culte ancestral teinté
d'islamisme)... En dépit de l'amnistie de 2009 (dont il sera question dans un
prochain billet, sur les stratégies anti-insurrectionnelles du gouvernement
fédéral), la situation est loin d'être excellente dans le delta du Niger.
Toutes ces crises, les foyers de crises potentiels, impliquent l'engagement de
la police qui, du fait de ses insuffisances doit être appuyée par l'armée. Elles
impliquent autant de zones dans lesquelles il est nécessaire de maintenir des
forces importantes, avec un entraînement spécifique dans le cas du delta. Autant
de zones dans lesquelles doivent être dispersées des unités, des ressources...
Cependant, les meilleures unités, les mieux entraînées à ce genre de guerre non
conventionnelle ne peuvent être partout à la fois... Avec les pertes, les échecs
et la nature psychologiquement (et physiquement) éreintante de ce type de
guerre, avec les critiques nationales et internationales (en partie justifiées),
avec l'entraînement insuffisant et l'équipement inadapté, le moral des
militaires et policiers en permanence sur la brèche, chute. La nervosité
favorise l'usage excessif de la force contre les suspects qui ne sont pas tous
des terroristes, la confiance vis-à-vis des chefs s'écroule. Le problème
sécuritaire du Nigeria n'est pas "juste" Boko Haram ; c'est une kyrielle de
sectes susceptibles d'être dangereuses, de groupes armées avec des
revendications diverses qui basculent dans le banditisme crapuleux... C'est la
fragmentation et la diversité de ceux que doit combattre le gouvernement
fédéral.
Concernant la traque pour retrouver les jeunes-filles kidnappées, est mentionné
le déploiement de "deux divisions", puis de "quatre divisions". Annonces
largement relayées alors qu'elles s'avèrent douteuses. Deux divisions, en
comptant la totalité des 8 000 hommes de la 7ème, ce sont de 16 000 à 18 000
hommes... Volume qui demanderait un effort logistique bien au-delà des capacités
de l'armée nigériane. Ne parlons pas de "quatre divisions" : il s'agirait alors
de la quasi totalité de l'Armée de Terre ! En réalité, il est question
d'éléments détachés de deux, puis de quatre divisions, dont, semble-t-il, le
72ème Bataillon Spécial, qui renforcent donc la 7ème Division. Cette recherche
des otages est effectuée conjointement avec des unités nigériennes, tchadiennes
et camerounaises. Dans le même temps, l'aviation effectue plus de 250 sorties
au-dessus de la forêt de Sambisa.
JTF, commandos et SWAT
La Joint Military Task Force (JTF) est parfois décrite comme une unité
(ou des unités) de "forces spéciales ". Il n'en est rien. Créée à la mi-2011
dans les États du Borno et de Yobe, elle amalgame des éléments des armées de
Terre, de l'Air, de la Marine, de la Police Mobile et des forces d'intervention
du Department of State Service (DSS ou State Security Service - SSS). Une "JTF"
est une structure temporaire destinée à faciliter la coordination entre les
différentes composantes qui lui sont rattachées. Concept enseigné dans les
manuels d'instruction de l'armée nigériane. Concept appliqué avant cela, par
exemple dans le delta du Niger en mai 2009 avec la création d'une autre JTF dans
le cadre de l'opération Harmony, ou encore en 1996, dans la péninsule de
Bakassi. Une Special Task Force (STF) opère quant à elle dans l'État du Plateau.
Insistons bien: la JTF de Maiduguri n'est pas une unité de forces spéciales.
En dépit d'assertions erronées, le Nigeria ne dispose d'ailleurs que d'un très
petit nombre de militaires réellement qualifiés "forces spéciales ". En 2000,
quatre bataillons d'infanterie (5 000 hommes) sont entraînés par 225 Bérets
Verts américains du 3rd Special Force Group (Fort Bragg). Ce stage survient
juste avant le déploiement des Nigérians en Sierra Leone, afin de mieux les
préparer à leur (difficile) mission. Si le professionnalisme est amélioré, les
hommes ainsi formés ne gagnent pas pour autant le "label " de "forces spéciales
".
Toujours au sein de l'armée, une unité antiterroriste est signalée à Jaji, le
Quick Response Group (QRG). Mais il semble ne s'agir que d'une structure ad hoc,
de type commando ou SWAT (force d'intervention/antigang de police, en théorie
capable d'entrer en action lors de prises d'otages, pour maîtriser des forcenés,
accomplir des missions qui exigent davantage de doigté ou une puissance de feu
supérieure aux forces de police classiques). L'existence d'une autre unité
similaire est rapportée en 2012, au sein de la 82ème Division, à Enugu. À noter
enfin que la police aligne une unité antiterroriste, officiellement désignée
Counter Terrorist Unit (CTU). Là aussi, c'est un SWAT et non d'un élément de
forces spéciales.
Est annoncée en avril 2010 la création d'un bataillon de ce type. Toutefois, il
apparaît finalement qu'il s'agit d'une re-désignation du 72ème Bataillon
Parachutiste en 72ème Bataillon Spécial, implanté à Makurdi. Seule unité
aéroportée depuis la transformation de la brigade parachutiste et de la brigade
aéromobile de la 82ème Division, elle est de type para-commando, intégrant
quelques éléments de forces spéciales. De son côté, la Marine aligne une unité
très spécialisée, le SBS. D'après des documents nigérians, le sigle signifie
"Special Board Service " et non "Special Boat Service". Créée en 2008, ses
membres sont des experts du combat nautique (intervention à bord des navires aux
mains de pirates, sur les plate-formes pétrolières, dans les installations
navales...). Quant au Nigerian Air Force Regiment de l'Armée de l'Air, il peut
s'apparenter à une unité commando chargée de la protection des bases aériennes.
Le CTCOIN
Face à la menace croissante des sectes et groupes armés dont les
capacités s'améliorent, l'armée crée le 10 juin 2009 un centre de contre
terrorisme et de contre-insurrection (Counter Terrorism and Counter Insurgency
Centre ; CTCOIN) à Jaji, dans l'État de Kaduna. À cette occasion fusionnent la
Special Ops Wing et la Counter Terrorism Wing. Le CTCOIN devient emblématique
des efforts fédéraux pour aguerrir les troupes. Malgré tout, l'armée nigériane
n'est pas encore prête à affronter le terrorisme, cette méthode de guerre bien
particulière qui neutralise la plupart des méthodes conventionnelles. Elle n'est
pas formée à faire face aux engins explosifs improvisés (EEI). Elle n'est pas
formée aux tactiques de guérillas, aux kidnappings, souvent de femmes. Elle
manque d'unités aéromobiles dignes de ce nom.
Néanmoins, les responsables politiques militaires les plus avisés ne baissent
pas les bras. Des formations de base au contre terrorisme et à la contre
insurrection se tiennent donc, de plus en plus fréquemment au CTCOIN à Jaji
ainsi qu'à Kachia et à Kontagora. Mais les unités qui en bénéficient ne peuvent
– là encore - être qualifiées de "forces spéciales ". Pas davantage de
"commandos ". Tout au plus s'agit-il de séjour de quatre à six semaines pour une
instruction de base durant laquelle les hommes s'entraînent au tir, suent le
long de parcours d'obstacles, apprennent ou réapprennent des fondamentaux pour
l'entrée et la progression en milieu clos, en zone habitée, s'initient aux
dangers des EEI (engins explosifs improvisés), suivent quelques cours théoriques
sur l'importance du renseignement (une des lacunes de l'armée alors que ce
principe est pourtant en bonne place dans les manuels d'instruction), de
ripostes proportionnées aux attaques...
Manque de forces spéciales
On l'aura compris : pour impressionnants qu'ils soient, des hommes
"baraqués" en tenues noires, caparaçonnés dans des gilets d'assaut et
pare-balles, lourdement armés, cagoulés ne sont pas, dans la plupart des cas,
des forces spéciales. Même s'il s'agit de membres d'unités commandos ou SWAT,
relativement bien entraînés, capables d'accomplir certaines missions
spécialisées, ils n'ont pas le niveau de compétence, les particularités des
forces spéciales.
Jusqu'en janvier 2014, ce manque dans l'armée nigériane (qui fait écho au manque
d'unités aéromobiles) nuit à la lutte contre Boko Haram en particulier et contre
l'ensemble des groupes insurgés en général. Là où les fantassins des bataillons
d'infanterie motorisée et mécanisée, sont patauds, avec seulement des
connaissances très basiques (dans le meilleur des cas) en lutte antiterroriste
et anti-insurrectionnelle, où les commandos sont limités par leur entraînement,
leur matériel, leur cadre d'emploi, eh bien les forces spéciales peuvent opérer
de manière indépendante en zones hostiles, durant de longues périodes, pour des
missions stratégiques (élimination d'un chef ennemi, observation et collecte de
renseignements...).
La révolution du NASOC
Pour palier à cette déficience, est créé début janvier 2014 le Nigerian
Army Special Operations Command (NASOC ; commandement des opérations spéciales)
avec l'aide de l'US Africom. Cette structure constitue une révolution pour le
Nigeria. À terme, elle regroupera l'ensemble des futures unités de forces
spéciales. Elle permettra en outre d'effectuer des entraînements communs à ces
unités, de définir des procédures communes, de faciliter l'acquisition
d'équipements spécifiques aux missions spéciales, leur mutualisation, leur
entretien...
Début mai est évoqué l'entraînement d'un nouveau bataillon de rangers, de 650 à
850 hommes, par les États-Unis. Sitôt qu'ils seront prêts, ils pourraient
rapidement représenter un danger mortel pour Boko Haram dans la réserve de
Sambisa ou aux frontières... Ces commandos seront formés à la tactique des
petites unités, aux patrouilles, aux opérations nocturnes. Dans le même temps,
les Américains enseigneront le "métier" d'instructeurs à des militaires
nigérians qui, à leur tour, devraient préparer 7 000 hommes à la
contre-insurrection.
Bien entraîné, bien commandé, le soldat nigérian peut se révéler être un
combattant exceptionnel. L'histoire l'a souvent prouvé. Avec les orientations
prises depuis l'été 2013, avec des mesures judicieuses à l'instar de la création
du NASOC ou encore avec des plans de modernisation et d'acquisitions cohérents
et enfin, avec la volonté politique (et militaire) résolue de coopération
régionale et internationale (renseignement et formation), le Nigeria met de son
côté toutes les chances de retrouver et de libérer les écolières de Chibok ainsi
que tous les autres otages. Malgré tout, il convient de ne pas oublier la folie
meurtrière de ceux qui les détiennent... C'est donc un très difficile combat qui
se déroule actuellement. Combat qui ne résume pas juste au nombre de soldats,
aux nombre de divisions, à la puissance de feu. Dans cette lutte, quelles que
soient les lacunes de l'armée nigériane, les "bad guys" sont ceux à qui elle
fait face.
Jeuneafrique
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