Au lendemain du "putsch" interne au Parti socialiste qui a abouti à l’écarter de l’élection au poste de secrétaire général, elle a fait le choix de la discrétion jusqu’à l’issue du congrès socialiste. Alors que celui-ci vient de s’achever, Aissata Tall Sall revient sur les circonstances de son éviction.
Aissata Tall affirme ne s'être pas désistée volontairement.
Sans cesse reporté depuis 2011, le congrès du Parti socialiste sénégalais a fini
par se tenir les 6 et 7 juin, avec comme point d’orgue la reconduction attendue
d’Ousmane Tanor Dieng au poste de secrétaire général.
Une semaine plus tôt, l’élection interne qui l’opposait à sa camarade Aissata
Tall, députée et maire de Podor, avait été interrompue dans des conditions
opaques. Le 29 mai, invoquant un risque pour "l’unité du parti et la cohésion
entre ses militants", le maire de Dakar, Khalifa Sall, en sa qualité de
président du Comité national de pilotage et d’évaluation (CNPE) des opérations
de renouvellement, avait en effet annoncé "l’arrêt de la compétition électorale"
entre les deux postulants, écartant de facto la candidature d’Aissata Tall Sall
et laissant la voie libre à la réélection de Tanor.
Depuis, des scénarios contradictoires circulent dans les rangs du PS. Tandis que
l’entourage de Khalifa Sall affirme qu’Aissata Tall Sall aurait été consentante,
voire demandeuse, anticipant une défaite cinglante face au secrétaire général
sortant, "la lionne du Fouta" dément formellement avoir sollicité son retrait de
la course électorale. À trois semaines d’élections locales importantes qui
permettront de mesurer le poids respectif des partis de la coalition
présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY), le PS offre le visage de la division et
de la confusion.
Jeune Afrique : Comment avez-vous appris l’interruption de
la compétition électorale entre vous et Ousmane Tanor Dieng ?
Aissata Tall Sall : Jeudi 29 mai en début de soirée, un journaliste m’a
contactée pour solliciter ma réaction à un communiqué de Khalifa Sall qu’il
venait de recevoir, annonçant que l’élection se poursuivrait autour de la seule
candidature d’Ousmane Tanor Dieng. Parmi mon équipe, certains préconisaient que
je maintienne ma candidature. Mais puisque la décision venait du parti, nous
avons décidé de nous y plier.
Le CNPE disposait-il de la prérogative de prendre une
telle décision?
Il s’agit d’une instance politique mise en place par le bureau politique
du parti. Que pouvais-je faire ? Je n’allais tout de même pas les assigner en
justice !
Aviez-vous donné un accord préalable au retrait de votre
candidature, comme l’a laissé entendre Khalifa Sall ? Certains affirment même
que vous l’auriez sollicité ?
Je n’ai jamais sollicité ni cautionné le retrait de ma candidature. Je
comptais aller au terme de l’élection. C’est Khalifa Sall qui est venu me voir
pour me demander de me retirer, avant d’annoncer ensuite cette décision. C’est à
lui de s’en expliquer.
Selon vous, la menace concernant la cohésion et l’unité du
parti invoquée par Khalifa Sall était-elle bien réelle?
Là encore, c’est à lui de le dire. Peut-être y a-t-il eu, à la base, des
incompréhensions sur ce processus électoral interne parmi nos camarades. C’est
d’ailleurs pour cela que j’avais demandé que le vote soit précédé d’une
véritable campagne, pour prendre le temps de la pédagogie. Dans certaines
coordinations, mes représentants ont fait état de divergences qui s’exprimaient
de manière assez rude. Est-ce que ces tensions étaient de nature à dégénérer ?
Je ne saurais le dire.
Que répondez-vous à vos camarades qui prétendent que les
premiers dépouillements vous plaçaient très loin derrière Ousmane Tanor Dieng et
que vous auriez cherché une issue honorable à travers cette interruption de la
compétition ?
Si vraiment l’élection avait tourné au camouflet pour moi, pourquoi interrompre
le processus ? Nous sommes en politique, pourquoi voudriez-vous que les
responsables socialistes m’aménagent une porte de sortie honorable ? Je ne me
suis pas engagée à la légère dans cette élection et j’ai toujours dit que si je
perdais, je féliciterais Ousmane Tanor Dieng. Je le répète : je n’ai rien
demandé à personne.
Vous faites partie de ceux qui avaient estimé que la tenue
de ce congrès à la veille des élections locales n’était pas opportune…
Le congrès est l’aboutissement d’un processus de renouvellement des
instances du parti, depuis la base jusqu’au sommet. Il est vrai que chez nous,
cela a pris du temps. Mais au nom de la transparence, j’ai estimé qu’il fallait
prendre ce temps pour renouveler tous les échelons du parti avant d’en venir à
l’élection du secrétaire général. Par ailleurs, je considérais que nous devions
en priorité permettre à nos élus sortants, relativement nombreux, de se
consacrer entièrement à leur réélection. Mais je n’ai pas été entendue.
Subitement, la machine s’est emballée.
Deux ans après les législatives, quelle est la place du PS
au sein de la coalition Benno Bokk Yakaar ?
Cette coalition avait été mise en place pour battre Abdoulaye Wade, ce
que nous avons fait. Puis nous avons considéré que face aux défis qui se
posaient au Sénégal, il convenait de travailler ensemble au redressement du
pays. Pour autant, en tant que parti historique, je ne pense pas que l’avenir du
PS puisse résider dans un assemblage de partis. BBY est une coalition de
circonstance qui n’a jamais été une coalition de gouvernement. Par exemple,
concernant l’acte 3 de la décentralisation, qui était une mesure du programme de
Macky Sall, notre voix n’a pas été entendue. Si nous étions dans une coalition
programmatique, cette question aurait débattue. C’est pourquoi je pense que
chaque parti doit pouvoir retrouver son indépendance, sa liberté d’action et son
identité propre.
Le PS présentera-t-il un candidat face à Macky Sall en
2017 ?
À mes yeux, c’est une nécessité, et un certain nombre de responsables
socialistes sont de cet avis. Le principe d’un candidat de coalition n’est pas à
exclure si les projets et les identités respectives sont compatibles.
Ousmane Tanor Dieng est à la tête du parti socialiste
depuis 18 ans. Considériez-vous la durée de ce règne excessive lorsque vous avez
présenté votre candidature ?
Il est souhaitable qu’il y ait une alternance la tête des partis, comme c’est le
cas à la tête des États. Je me souviens que lorsque le PS était encore aux
affaires, on nous reprochait de disposer d’une belle vitrine démocratique au
Sénégal mais qui, en l’absence d’alternance, demeurait virtuelle. Une démocratie
sans alternance est stérile. Certains envisagent même d’appliquer la limitation
des mandats au sein des partis.
Lors des primaires de 2012, personne ne s’était présenté
face à Ousmane Tanor Dieng. Cette année, vous avez été seule à briguer le poste
de secrétaire général face à lui, avec l’issue que l’on sait. Faut-il en déduire
qu’au PS, il est mal vu de défier le patron ?
Le fait de se présenter face au secrétaire général sortant doit devenir
quelque chose de banal dans nos rangs. Je ne peux comprendre que lors d’une
élection présidentielle il y ait une vingtaine de candidats et qu’à l’intérieur
d’un parti, le fait de se présenter face au numéro un soit perçu comme une
marque de défiance.
Propos recueillis à Dakar par Mehdi Ba
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