Jusqu'au vendredi 21 juin, date de l'élection présidentielle en Mauritanie, "Jeune Afrique" publie une série d'entretiens avec les principaux candidats. Le premier interviewé est Biram Dah Abeid, président de l'ONG antiesclavagiste IRA-Mauritanie. À 49 ans, après qu'on lui ait refusé la création de son parti politique, il se présente en indépendant.
En 2012, à la même période, Biram Dah Abeid était encore incarcéré à la prison
civile de Nouakchott, avant d’être libéré au mois de septembre. Pour avoir brûlé
des ouvrages religieux, légitimant selon lui l’esclavage, Biram Dah Abeid avait
provoqué la colère des religieux et de la classe politique. À tel point que le
chef de l’État, Mohamed Ould Abdelaziz, avait annoncé que la charia serait
appliquée. Deux ans plus tard, son mouvement est toujours interdit. Sauf que le
président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste en
Mauritanie (IRA), lauréat du prix des droits de l’homme des Nations unies, est
désormais candidat à la présidentielle du 21 juin. Après avoir battu campagne du
nord au sud du pays, Biram Dah Abeid, qui reçoit à son domicile, semble éprouvé.
Mais pour défendre ses idées, il retrouve toute son énergie.
Jeune Afrique : Vous vous présentez comme le "candidat du
changement". Comment comptez-vous incarner cette rupture ?
Biram Dah Ould Abeid : Comme notre mouvement, IRA Mauritanie, l’a
toujours fait. Par des positions tranchantes, qui rompent avec la langue de
bois, ainsi qu’avec l’attitude de toute la classe politique qui s’est toujours
conformée aux limites imposées par le système dominant. Nous avons toujours
transgressé les tabous et toujours dit très haut ce que les gens aiment dire
tout bas. C’est pour cela que nos actions, perçues comme une hérésie, ont
systématiquement été condamnées par des appels aux meurtres et par des
arrestations de nos militants.
Justement, depuis que vous avez fondé l’IRA, en 2008, vous
êtes considéré comme la bête noire du régime mauritanien. Aviez-vous imaginé
être un jour candidat à la présidentielle ?
Dans la continuité de notre action, notre objectif ultime est de prendre
le pouvoir. On ne peut pas changer le pays sans diriger. Mais avant cela, nous
avons essayé d’imposer nos idées, afin qu’elles deviennent incontournables dans
notre société. Il est vrai que j’étais sûr que mon dossier de candidature allait
être rejeté. Mon discours a toujours été interdit dans les médias officiels et
désormais, même s’il est encore en partie censuré, il est repris par la
télévision et la radio nationale. La validation de ma candidature va totalement
transformer la carte politique mauritanienne.
Vous avez toujours dénoncé la sous-représentation des
Noirs dans les sphères politiques, économiques et administratives. Faut-il
instaurer la parité ?
Il faut d’abord rétablir l’équité. Pourquoi sur 35 ministres, il est de
coutume d’en placer 30 arabo-berbères ? Pourquoi les 18 banques du pays
appartiennent aux Arabo-Berbères ? Pourquoi sur les 13 gouverneurs de région, 12
sont Arabo-Berbères ? Pourquoi sur 54 préfets, 52 sont Arabo-Berbères ? Les
Harratines et les autres ethnies noires doivent se réapproprier leur place.
Comprenez-vous que la grande majorité de l’opposition
boycotte la présidentielle ?
S’ils étaient de vrais opposants, comme nous, ils se seraient fait un
devoir de participer aux élections. Les hommes politiques doivent avoir le
courage de se battre démocratiquement. Ceux qui boycottent et incitent les gens
à ne pas se rendre aux urnes, se rendent complices du pouvoir en place. Nous
devons amener les gens qui veulent voter pour nous, à voter contre Mohamed Ould
Abdelaziz.
Vous dites ne pas faire confiance au processus électoral
et compter sur votre capacité de mobilisation. Envisagez-vous de contester les
résultats du scrutin ?
Mohamed Ould Abdelaziz a fait un recensement discriminatoire, qui a
permis d’enregistrer de manière organisée sur les listes électorales les
segments arabo berbères, au détriment de beaucoup de franges Harratines, Bambara
ou Soninké. Au moins la moitié des Noirs n’a pas été recensée. Alors s’il le
faut, oui, nous contesterons les résultats.
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Propos recueillis par Justine Spiegel, à Nouakchott
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