Djibouti, en première ligne

Sa position stratégique le met au centre de la lutte contre la piraterie et le terrorisme dans la Corne de l'Afrique. Résultat : le pays est courtisé par les Occidentaux, qui y déploient leurs troupes. Et menacé par les Shebab somaliens...

 

 


Ismaïl Omar Guelleh, au camp d'entraînement Ali-Ouné, en novembre 2011.

 


L'attentat qui, le 24 mai, a dévasté le restaurant La Chaumière, en plein coeur de la capitale, a été un traumatisme national. "C'est un véritable 11 Septembre, témoigne Omar Hassan, instituteur dans une école de Balbala, à Djibouti. J'étais persuadé que mon pays, contrairement au Kenya, à l'Ouganda ou à l'Éthiopie, en butte aux effets collatéraux de la crise somalienne, était à l'abri d'attaques kamikazes."

Un couple de jeunes Somalis qui s'était introduit sur le territoire quelques jours auparavant s'est fait exploser dans un établissement prisé par les militaires étrangers stationnés à Djibouti. Outre les deux terroristes, un ressortissant turc a été tué, et des dizaines de personnes ont été blessées. Parmi elles, une vingtaine d'Occidentaux.

Viser un établissement fréquenté par les "croisés français"
Le mode opératoire ne laisse aucun doute sur les commanditaires de l'attaque : les Shebab. Le 27 mai, un communiqué de l'organisation islamiste somalienne l'a confirmé : "Nos forces ont mené une opération couronnée de succès contre la coalition occidentale basée à Djibouti." En visant un établissement "fréquenté surtout par des Croisés français et leurs alliés de l'Otan", les Shebab affirment avoir voulu frapper prioritairement les premiers pour "leur complicité dans les massacres" de musulmans en Centrafrique.

Mais pour Ismaïl Omar Guelleh, la cible principale de l'attaque reste Djibouti. "Il s'agit d'une réaction violente à notre participation au processus de stabilisation et de sécurisation de la sous-région", estime le président. Qui exclut d'emblée la possibilité que cet acte terroriste remette en question la détermination de son pays à lutter, aux côtés de la communauté internationale, contre ce qu'il qualifie de "fléau".

Depuis décembre 2011, Djibouti participe en effet à la Mission de l'Union africaine en Somalie (Amisom) en mettant à sa disposition un millier d'hommes. Ces soldats d'élite, qui appartiennent au bataillon Hill, sont déployés dans la ville de Beledweyne (district de Hiran, au centre de la Somalie), où ils ont remplacé des troupes éthiopiennes.

Leur présence a permis d'améliorer de manière significative la situation sécuritaire de la ville ; elle a provoqué l'effondrement de l'influence des Shebab dans une région considérée jusque-là comme leur fief imprenable.

Mais le colonel Osmane Doubad, commandant en chef du bataillon Hill, a le triomphe modeste : "Nous avons réussi là où les autres composantes de l'Amisom [Burundais, Éthiopiens ou Ougandais] ont rencontré des difficultés, car nous partageons la même langue, la même culture et la même religion que les populations locales."

Depuis le déploiement du contingent djiboutien, les Shebab subissent revers sur revers. Ils ont été chassés de Beledweyne, de nombreux réseaux de soutien logistique y ont été démantelés, et les populations locales, désormais moins réceptives à leur propagande, n'hésitent plus à collaborer avec l'Amisom.

Lutter également contre la piraterie
C'est aussi la date de l'attentat qui fait dire aux autorités djiboutiennes que leur pays était bien la véritable cible des Shebab. L'opération kamikaze est intervenue dix-neuf jours après la rencontre, le 5 mai, d'Ismaïl Omar Guelleh avec Barack Obama, à la Maison Blanche.

Au cours de cette rencontre, le président djiboutien a annoncé sa décision de prolonger de dix ans le bail des troupes américaines (basées à Djibouti depuis 2002), plus deux décennies supplémentaires, dont la seconde à renégocier.

Le loyer annuel versé par les Américains pour rester dans le camp Lemonnier - qui vient de faire l'objet d'aménagements importants, pour un montant estimé à plus de 1 milliard de dollars, soit environ 740 millions d'euros - a été augmenté de 25 millions de dollars à partir du 1er janvier 2014, date de l'entrée en vigueur du nouvel accord. L'assurance de voir les quelque 3 000 marines rester durablement dans la région constitue une mauvaise nouvelle pour les Shebab, puisque c'est de cette unique implantation américaine en Afrique que décollent les avions de reconnaissance et les drones Predator qui les traquent sans relâche.

Outre la présence française et américaine, Djibouti accueille également des corps expéditionnaires européens (allemands, espagnols, néerlandais et italiens) de la force Atalante, qui a pour mission de lutter contre la piraterie au large des côtes somaliennes et dans le golfe d'Aden. Les prises d'otages et de navires libérés contre rançon sont autant de sources de financement vitales pour les Shebab.

C'est également dans ce contexte que 700 soldats japonais - le premier contingent nippon déployé hors de ses frontières depuis 1945 - sont positionnés depuis 2009 à Djibouti. Des négociations sont en cours avec la Russie, qui souhaite disposer d'installations de maintenance pour ses porte-hélicoptères mouillant dans la région, et avec la Chine, premier partenaire économique de Djibouti, qui entend posséder sa propre base militaire.

Plus que les "Croisés", c'est davantage le pays qui les accueille que les Shebab ont voulu punir. Face au péril terroriste et malgré les crispations politiques, les partis font bloc derrière le gouvernement, qui serre la garde. Les forces armées et la police ont ainsi consolidé le dispositif de sécurité autour des sites stratégiques, et, dès la nuit tombée, de nombreux barrages filtrent la circulation, avec fouille systématique des automobilistes et de leurs véhicules.

Les frontières avec le Somaliland, à commencer par le poste de Loyada, par où sont passés les deux kamikazes, sont provisoirement fermées. Une catastrophe pour les populations transhumantes, qui n'ont d'autre choix que de patienter en attendant des jours meilleurs.

Bienvenue aux étrangers
L'intérêt croissant des grandes puissances à son égard constitue une aubaine pour Djibouti. Les dividendes de la rente géostratégique alimentent en effet le budget d'un État aux ressources par ailleurs très limitées. La France verse annuellement 38 millions d'euros pour positionner les 2 000 hommes des Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj). Le loyer annuel américain vient, quant à lui, de passer à 63 millions de dollars (46 millions d'euros) à la suite de la visite du président djiboutien à Washington. Les États-Unis se sont également engagés à faire davantage appel aux entreprises et à la main-d'oeuvre locales. La présence d'armées étrangères est également bénéfique à la sous-région, puisqu'elle sécurise l'ensemble de la Corne de l'Afrique. Loin d'en prendre ombrage, l'Éthiopie la voit plutôt d'un bon oeil. "Les bases françaises et américaines rassurent. Elles ne suscitent aucune opposition car elles renforcent l'attractivité de la région pour les investissements étrangers", confirme Mahmoud Ali Youssouf, le ministre djiboutien des Affaires étrangères. Samy Ghorbal, envoyé spécial
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