Confortablement réélu lors d'un scrutin boycotté par l'opposition, le chef de l'État mauritanien se prévaut d'un bilan "positif", notamment en matière de lutte antiterroriste.
Président de l'UA, il a réussi à arracher un accord de
cessez-le-feu dans le Nord-Mali.
Boycottée par les ténors historiques de l'opposition, la présidentielle du 21
juin a été, sans surprise, remportée haut la main par le chef de l'État sortant,
Mohamed Ould Abdelaziz, 57 ans. Pour asseoir sa légitimité et redorer son image,
l'ancien général putschiste avait mis en place un état civil biométrique et
lancé, en avril dernier, un processus de dialogue avec l'opposition, réunie au
sein du Forum national pour la démocratie et l'unité (FNDU). Las !
L'"enrôlement" a été contesté par les Négro-Mauritaniens, et les discussions
avec le FNDU ont rapidement tourné court, l'opposition estimant que les
conditions d'organisation du scrutin ne répondaient pas "aux exigences de
transparence requises".
Dès le lancement de la campagne, "Aziz" s'est tout de même fait un devoir de
sillonner le pays pour défendre son bilan : un taux de croissance de 6 %, des
projets d'électrification et d'infrastructures, la modernisation de
Nouakchott... Sans oublier ses succès en matière de sécurité, la Mauritanie
n'ayant plus connu d'attaques terroristes depuis 2011. Hors de ses frontières,
Aziz, aujourd'hui président en exercice de l'Union africaine (UA), s'est
beaucoup impliqué dans le règlement de la crise au Nord-Mali, arrachant un
accord de cessez-le-feu à Kidal, en mai, à l'issue d'une visite de quelques
heures. Entretien.
Jeune afrique : Pourquoi le dialogue politique destiné à
permettre la tenue d'une élection consensuelle a-t-il échoué ?
Mohamed Ould Abdelaziz : Parce que l'opposition a posé des conditions
irréalistes qu'elle n'avait jamais exigées auparavant. Les quelques partis
"boycottistes" ont pourtant participé à toutes les présidentielles, alors que
celles-ci étaient organisées de manière opaque. Le scrutin du 21 juin a été
préparé par une Commission électorale nationale indépendante (Ceni), constituée
de manière consensuelle en concertation avec tous les partis politiques, y
compris ceux de l'opposition. Or ces derniers ont exigé la dissolution de la
Ceni et le report de l'élection, ce que la Constitution m'interdisait de faire.
Comprenez-vous que les islamistes "modérés" de Tawassoul,
dont le président, Jemil Ould Mansour, est le nouveau chef de file de
l'opposition, aient également refusé de participer à la présidentielle ?
Non, je ne le comprends pas. Ils ont participé aux législatives et ont
obtenu quinze sièges. Un succès relatif, car il n'est pas exclu que l'opposition
"boycottiste" ait donné des consignes de vote en leur faveur. À mon sens,
Tawassoul a bien manoeuvré. Il a d'abord pris ses distances avec une partie de
l'opposition pour l'isoler et obtenir un maximum de représentants à l'Assemblée.
Puis il est revenu à de meilleurs sentiments envers elle pour la pousser à
boycotter la présidentielle. Si nous étions parvenus à un consensus avec
l'opposition, celle-ci aurait sûrement exigé la dissolution de l'Assemblée. Ce
qui n'aurait pas fait l'affaire de Tawassoul.
Président en exercice de l'Union africaine (UA), vous avez
obtenu, en mai, à Kidal, un accord de cessez-le-feu entre trois groupes armés et
le gouvernement malien. Comment vous y êtes-vous pris ?
Nous y avons travaillé quelques heures. Nous sommes arrivés le matin vers 9
heures et sommes repartis aux environs de 18 heures. Je me suis entretenu
individuellement avec toutes les factions, puis je les ai réunies afin d'obtenir
cet accord de paix, qu'elles ont signé sur place. Certes, ce n'est pas une
solution définitive à un conflit qui n'a que trop duré, mais c'est un début. Il
s'agit d'une action ponctuelle, ouvrant la voie à une reprise du dialogue. Nous
espérons que cet accord permettra de réunir à nouveau les parties en conflit,
afin qu'elles puissent stabiliser ensemble leur pays et s'engager dans un
processus de paix durable.
Vous vous êtes entretenu la veille de votre départ pour le
Mali avec le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Que vous êtes-vous dit ?
Je me suis enquis de la situation et lui ai annoncé mon arrivée. À ce
moment-là, je me trouvais au Rwanda et je devais voyager en Afrique du Sud. Mais
face à l'aggravation de la situation, j'ai préféré me rendre directement au
Mali.
Pourquoi avez-vous boudé l'investiture d'IBK ?
La junte qui a renversé le président Amadou Toumani Touré s'est très mal
comportée à notre égard. Nous avons perdu douze prédicateurs mauritaniens, qui
n'avaient comme arme que leur Coran. Ils ont été arrêtés [par l'armée malienne]
et conduits à une dizaine de kilomètres, puis ont été exécutés froidement. Il ne
pouvait pas s'agir d'une erreur. Or le Mali n'a pas ouvert d'enquête, comme nous
le lui avions pourtant demandé. Puis une présidentielle a été organisée, et IBK
a été élu. Je n'ai pas souhaité assister à son investiture, car j'attendais de
voir quelle serait sa réaction par rapport à ces événements. Nous nous sommes
rencontrés par la suite et nous nous sommes expliqués. Il m'a assuré qu'il ne
cautionnait pas ce qui s'était passé, et nous avons commencé à travailler
ensemble.
Comment expliquez-vous que les jihadistes chassés du
Nord-Mali aient épargné votre pays ?
Nous avons été victimes de plusieurs attaques terroristes au début des
années 2000. À l'époque, notre armée n'était pas en mesure de sécuriser le pays.
À partir de 2009, elle a été restructurée, modernisée et préparée au nouveau
contexte sous-régional. Nous avons également créé des unités mobiles spéciales,
les plus à même de réagir à ces attaques. Les jihadistes ont compris que notre
système de sécurité avait beaucoup changé. Et ont préféré quitter notre
territoire.
En tant que président de l'UA, comptez-vous aller en
Centrafrique ?
J'avais l'intention de m'y rendre avant le mois de juin, mais je n'ai pas
pu en raison de la présidentielle. J'y réfléchis toujours, mais je n'ai pas
encore arrêté de date.
Au mois d'avril, vous avez déclaré ne pas exclure
"d'envoyer des troupes en Centrafrique", car la situation y "frôle le génocide."
Ont-elles été déployées ?
Un contingent se prépare à partir, nous sommes actuellement en
concertation avec l'ONU. Nous estimons que c'est un rôle que nous devons jouer.
Quelle solution faut-il privilégier pour rétablir la
sécurité dans le nord-est du Nigeria ?
On peut envisager le dialogue avec les parties qui l'acceptent. Mais face
au terrorisme aveugle il faut utiliser les moyens sécuritaires. En combinant les
deux, on parviendra à trouver une solution. Ce qui a aggravé les choses, c'est
la mauvaise réponse apportée à ce genre de défi. Il faut avoir une armée
puissante et organisée pour pouvoir faire face à cette menace.
C'est ce qui fait défaut aujourd'hui au Nigeria ?
Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que, pour venir à bout de ce fléau, il
faut avoir une armée bien entraînée, disciplinée et déterminée.
Croyez-vous toujours en l'Union du Maghreb arabe ?
Oui, car cette organisation serait bénéfique pour nos peuples. Dommage
qu'elle soit au point mort. Mais ce sont les aléas de la vie politique. Nous
devons et nous allons les surmonter.
Pourquoi n'y a-t-il toujours pas d'ambassadeur mauritanien
à Rabat depuis trois ans ?
Effectivement, nous avions un ambassadeur, mais il est parti à la
retraite. Nous allons désigner son successeur. En attendant, un chargé
d'affaires est sur place. Nous avons d'autres postes d'ambassadeur vacants
ailleurs.
L'initiative du général Khalifa Haftar est-elle la
meilleure option pour la Libye ?
Je ne sais pas s'il est la meilleure option. Mais je sais que le pays a
besoin d'une transition, afin d'être stabilisé et sécurisé, et d'une armée forte
et bien dirigée afin de permettre aux politiques de mettre en place des
institutions.
Quelle a été la contrepartie de l'extradition d'Abdallah
Senoussi ?
Rien d'autre que des relations amicales. L'ancien directeur des services
de renseignements libyens est entré à Nouakchott avec un faux passeport. Il a
été arrêté, placé en résidence surveillée et devait être jugé. Tripoli nous a
envoyé plusieurs émissaires afin de nous demander son extradition. Nous avons
accepté, et ils ont pris l'engagement écrit de le traiter correctement et de le
juger. Il devait de toute façon revenir un jour ou l'autre dans son pays, on ne
pouvait pas le garder indéfiniment chez nous.
Êtes-vous satisfait de l'élection d'Abdel Fattah al-Sissi
en Égypte ?
C'est une très bonne chose pour l'Égypte. Cette élection lui a non
seulement permis de sortir d'une situation difficile, mais aussi de réintégrer
l'UA. Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour cela, en envoyant
au niveau de l'UA une mission d'observation de l'élection.
Israël souhaite devenir membre observateur de l'UA ?
Est-ce envisageable ?
Si cette requête est jugée recevable par l'UA, elle sera discutée.
Propos recueillis par Justine Spiegel à Akjoujt
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