Vecteur potentiel du redoutable virus Ebola, la viande de brousse a été interdite dans les pays touchés par l'épidémie. Une mesure qui ne décourage pas certains consommateurs.
"Si tu aimes le singe, n'en mange pas. Si tu aimes le babouin, je dis : n'en
mange pas. Si tu aimes la chauve-souris, n'en mange pas !" mettent en garde les
trois musiciens libériens D12, Shadow et Kuzzy of 2 Kings. Sortie il y a deux
mois, leur très entraînante chanson Ebola in Town remporte un véritable succès
dans un pays où le virus a déjà fait 105 morts depuis le début de l'épidémie, en
mars.
Singe, chauve-souris, agouti, rat, hérisson, pangolin ou encore civette... Ces
viandes dites de brousse sont depuis longtemps prisées en Afrique centrale et de
l'Ouest, mais elles sont devenues en quelques mois le cauchemar des autorités
sanitaires. Et pour cause : selon les scientifiques, certains de ces animaux -
au premier rang desquels les chauves-souris - sont un réservoir connu du virus
Ebola. Ce sont eux qui le transmettent ensuite à l'homme.
"Au sein de la population humaine, ce virus se propage par contact direct avec
des liquides physiologiques tels que la salive, la sueur, le sang ou le sperme,
explique Éric Leroy, spécialiste des maladies infectieuses à l'Institut de
recherche pour le développement et directeur général du Centre international de
recherches médicales de Franceville, au Gabon. Entre l'homme et l'animal, le
mode de transmission est le même. Lorsqu'il s'agit d'animaux chassés, c'est
surtout le dépeçage qui représente un danger, car il y a un contact direct avec
les organes et le sang."
La mesure est difficile à faire respecter
Peu après le début de l'épidémie, la Guinée, le Liberia et la Sierra
Leone - suivis par certains de leurs voisins, comme la Côte d'Ivoire - ont tout
simplement interdit la commercialisation et la consommation de viande de
brousse. Mais sur le terrain, la mesure est difficile à faire respecter,
notamment dans les zones rurales où marchés et maquis spécialisés sont encore
approvisionnés et fréquentés.
"Mon père, mes grands-pères, mes aïeux ont toujours mangé des chauves-souris et
ne sont jamais tombés malades ! Moi-même, j'en consomme depuis des années,
s'emporte Serge, un habitant de Guéckédou, en Guinée forestière, dans le sud du
pays. Je ne comprends pas pourquoi tout à coup il faudrait s'en priver. Si la
viande est si dangereuse, pourquoi n'avons-nous pas été prévenus auparavant ?"
Le fait que la maladie touche pour la première fois la région "ne veut pas dire
que le virus n'a jamais été présent, répond Éric Leroy. Mais cette fois, à un
moment précis, toutes les conditions ont été réunies pour qu'il y ait un passage
du virus de l'animal à l'homme".
Une question de goût et d'identité culturelle
Rémy vit lui aussi à Guéckédou. Et comme sa soeur Claude, installée à
Paris, il n'envisage pas de ne plus consommer de viande de brousse. Pour eux,
c'est avant tout une question de goût et d'identité culturelle. "C'est une
manière de garder le lien avec nos racines, avec les plats et les saveurs de
notre enfance, explique Claude. Je sais qu'en Europe c'est souvent mal vu, mais
ici on mange bien des grenouilles, non ?" Dès qu'elle retourne au pays, elle ne
se prive pas d'en rapporter quelques kilos dans ses valises, "pour [sa]
consommation personnelle" et même si c'est strictement interdit. Ce qu'elle
préfère ? Le porc-épic, "à la fois goûteux, ferme et peu gras".
"Lorsqu'on demande à la population de ne plus manger de viande de brousse, cela
suscite des interrogations, et c'est normal, explique Alpha Mahmoud Barry,
médecin épidémiologiste et président de l'ONG Santé Plus en Guinée. Il faut
faire davantage de prélèvements et de tests sur les animaux incriminés pour
apporter des preuves scientifiques. Actuellement, on se contente d'asséner des
consignes dans les médias. Cela ne suffira pas pour faire changer les
comportements."
Naviguer à travers les articles | |
Pourquoi le mauricien Avenport choisit la Chine | Casablanca va construire 80 kilomètres de ligne de tramway supplémentaires |
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
|